
Avec "Les Cent mille royaumes", son premier roman, N.K. Jemisin fait une entrée fort réussie sur la scène littéraire de la fantasy ! Avec sa suite, "Les Royaumes déchus", nous avons ainsi les deux premiers volumes de ce qui constituera "La Trilogie de l'Héritage" (Orbit), une histoire complexe se déroulant dans un univers original et déroutant. Qu'on en juge : "Les Cent mille royaumes" sont un empire dominé par la toute puissante famille des Arameris depuis la Guerre des dieux, plus d'un millénaire auparavant, guerre qui a ravagé la planète et vu s'établir la suprématie d'Itempas, Dieu suprême de la Lumière et de l'Ordre, sur son frère déchu Nahadoth, Dieu des Ténèbres et de l'Ombre. Depuis, celui-ci a été réduit à un esclavage éternel sous une forme humaine, dans le palais de l'Empereur arameri, Ciel, un palais-cité au sommet d'une colonne gigantesque qui le sépare de la ville à son pied. Y règnent, y prolifèrent, naturellement, nombre d'intrigues afin d'obtenir une parcelle de pouvoir, de puissance ou de liberté car, outre les Arameris de sang-pur, la plus hautaine aristocratie, évoluent des demi-sang, des humains normaux et les enfants des dieux, les "génitures" aux pouvoirs étonnants. L'auteur nous fait découvrir le destin de Yeine, une jeune barbare au sang mêlé élevée dans un petit royaume sans importance, appelée à Ciel par son grand-père l'Empereur et outil d'une révolution impensable. Autour de l'héroïne interviennent des personnages pathétiques, comme Nahadoth / Hadro, ou attachants comme Sieh, l'enfant de dieu, sans compter les intrigants arrivistes comme Scimina, chacun poursuivant ses propres buts dans un imbroglio complexe que N.K. Jemisin tisse à merveille, avec une écriture qui ne cède rien à la facilité. De plus, elle s'attache à donner une grande profondeur à ses personnages, à montrer leur évolution psychologique en fonction des interactions de chacun, à montrer qu'il n'y a pas de psycho-rigidité qui ne soit inébranlable... Elle nous amène ainsi à la conclusion du premier livre, une révolution magnifique, avec des descriptions grandioses de certaines scènes clés. On comprend à la lecture pourquoi ce roman a été nominé au Hugo et au Nebula. Dans le deuxième volume, "Les Royaumes déchus", l'auteur nous transporte une dizaine d'années après les événements du premier tome. Les habitants se sont habitués aux changements intervenus et nous découvrons la vie sans histoire d'une jeune artiste aveugle dans la grande cité d'Ombre, au pied du palais de Ciel, cité dans laquelle sont établies toutes les "génitures", ces enfants des dieux aux pouvoirs multiples. Mais la cécité d'Oree Shoth est très particulière puisqu'elle peut distinguer la magie et a un pouvoir étonnant, celui de transformer ses peintures en outils magiques. Et, lorsqu'elle recueille un pauvre vagabond gisant sur un tas d'ordures, sa vie va basculer au milieu des meurtres de génitures et des fanatiques religieux, chacun n'étant pas ce qu'il semble être... Une fois de plus, Jemisin bâtit une intrigue complexe et superbe, aux rebondissements causés par la nature humaine - ou divine -, les émotions et les sentiments ou leur absence, qui constituent pour elle le ressort qui nous fait agir, la raison étant le plus souvent secondaire. Nous assistons ainsi à un deuxième moment crucial de l'histoire de l'Empire et de la famille arameri, en retrouvant certains personnages du premier tome, comme T'Vril ou Sieh. Le monde a changé, les personnages ont évolué et cela permet à l'auteur de continuer sa réflexion sur l'humain et le divin et la manière dont les deux natures interagissent, mais aussi sur la religion et le fanatisme religieux, toujours avec une belle écriture, toujours sans concession à la facilité pour le lecteur. Le résultat est excellent et fort prometteur pour la conclusion de cette trilogie qui devrait sortir en anglais à la fin de l'année. Espérons qu'Audrey Petit nous fera le plaisir de la faire traduire très vite ! J'en profite pour dire tout le bien que je pense de la traduction que je trouve fort bonne. Un grand moment de lecture donc, deux volumes à lire dans l'ordre de parution pour mieux apprécier les subtilités des intrigues.

Jasper Fforde avait fait une entrée fracassante dans la science-fiction avec "L'Affaire Jane Eyre" et les aventures de Thursday Next dans le monde des livres. Avec "Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons" qui vient de sortir dans la nouvelle collection Territoires au Fleuve Noir, il nous introduit dans le monde de sa nouvelle héroïne, celui des Royaumes-Désunis où la Grande-Bretagne des années 2000 est restée divisée en d'innombrables (78) petits royaumes, duchés etc... comme lors de la conquête anglo-saxonne, où la magie continue d'être utilisée dans une société dont la technologie ressemble fort à la nôtre et où les dragons se sont vus accorder des réserves à la fin du XVIème siècle. Jennifer Strange est une jeune fille, enfant trouvée, qui s'occupe de faire tourner tant bien que mal l'agence Kazam, du Grand Zambini, magie et sorts, qui emploie une partie des derniers magiciens des royaumes, en cette époque où la puissance de la magie est en train de disparaître. Mais elle va soudainement se retrouver propulsée au devant de la scène et dans un cirque médiatique et politique invraisemblable car les signes annoncent la mort du dernier dragon, Maltcassion, et son tueur - ce genre de choses est rigoureusement réglementé depuis la signature du pacte - ne peut y procéder que dans certaines conditions. Or la réserve de Dragonie est la dernière grande surface de terrains libres de toute occupation et, à la mort du dragon, le premier occupant pourra établir son "claim" en y plantant des piquets pour marquer sa terre. Résultat : on intrigue pour avoir la date et l'heure de la mort en premier, on fait pression sur Jennifer qui n'a aucune envie de tuer ce dragon, fort sympathique au demeurant, avec lequel elle a d'intéressantes discussions. Mais pourquoi la mort de ce dragon intervient-elle à ce point de l'histoire des royaumes ? Pourquoi la magie s'éteint-elle lentement ? Qu'est le sympathique quarkon, l'étrange animal de compagnie de Jennifer ? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles Jasper Fforde répond à sa manière inimitable: univers loufoque mais à la logique implacable, humour à la Monty Python parfois féroce mais faisant toujours mouche - Fforde prend entre autres l'administration britannique pour cible avec les formulaires à remplir pour chaque sorte d'acte magique effectué, un vrai bonheur !, et je ne parle pas de ses descriptions des médias en action, son "Yogi Baird Show" en est un exemple hilarant -, intrigue prenante et bien menée, des personnages tous plus drôles, sympathiques, déjantés, y compris les méchants, les uns que les autres, je me suis bien amusé à lire ce roman d'une traite. J'ai d'ailleurs trouvé, derrière l'humour et l'excellente histoire, une critique de la société britannique actuelle plus appuyée que dans ses romans précédents. Voilà une nouvelle série qui s'engage sous les meilleurs auspices et je félicite Michel Pagel pour sa traduction qui n'a pas dû être évidente, rendre tous ces jeux de mots et clins d'oeil est une tâche ardue. Le résultat en vaut la peine !
D'obsidienne et de sang d'Aliette de Bodard

Entre chiens et loups, Des dieux et des hommes 2 de Jean-Pierre Dionnet et Roberto Baldazzini

Gorilla Artbook

Rebecca Kean 1: Traquée de Cassandra O'Donnell

C'est cette situation que va découvrir l'héroïne, Rebecca Kean, sorcière de guerre d'origine française, réfugiée là incognito avec sa charmante petite fille aux pouvoirs étranges et sa meilleure amie, une louve-garou professeur d'université quelque peu délurée. Et Rebecca va découvrir que cette situation paisible n'arrange pas certaines personnes mal intentionnées: suite au meurtre de sa voisine, une charmante vieille dame aux pouvoirs de voyance trop précis au goût de certains, Rebecca va se retrouver prise dans les intrigues croisées des diverses factions plus une ou deux autres inattendues. C'est d'ailleurs l'une des forces de ce roman que de nous présenter un complot aux ramifications plus originales que souvent, avec un savant humain généticien de génie. L'auteure développe aussi de façon fort amusante l'une des caractéristiques de la bit-lit, l'intrigue amoureuse compliquée, en la poussant à la limite de la caricature: tous les personnages masculins principaux, vieux vampire hyper-séduisant et hyper-puissant, jeune loup-garou adorable, semi-démon avocat d'affaires au "sex appeal" irrésistible etc... tombent amoureux de Rebecca et la jalousie complique donc les choix et les alliances pendant que nous partageons les dilemnes amoureux de celle-ci. Tout le roman est bien écrit, l'intrigue intéressante et bien ficelée, l'action présente de même que l'humour. La fin nous laisse, bien entendu, sur le "cliff hanger" d'usage qui nous fait attendre avec impatience la suite des aventures de notre sympathique sorcière.
Mythe & super-héros d'Alex Nikolavitch
Un essai très intéressant vient de sortir dans la collection "Bibliothèque des Miroirs" aux Moutons électriques: "Mythe & super-héros" d'Alex Nikolavitch qui nous propose une lecture très bien faite des comics de super-héros à travers un décodage basé principalement sur les thèses de Georges Dumézil et Joseph Campbell. L'auteur démontre, de manière tout à fait satisfaisante à mon avis, que la construction des histoires et la typologie des super-héros correspondent à la structure des mythes du monde entier et pas seulement "indo-européens". Sa grande érudition en matière de comics lui permet d'étayer ses thèses de nombreux exemples convaincants et donne envie, pour les lecteurs incultes en la matière comme moi, de découvrir nombre de ces personnages. 187 pages d'étude qui se lisent avec beaucoup d'intérêt !

Jean-Luc Rivera