Nos années Strange 1970-1996 de Sébastien Carletti et Jean-Marc Lainé

Grâce à Sébastien Carletti et Jean-Marc Lainé qui viennent de nous livrer "
Nos années Strange 1970-1996" (Flammarion), nous avons un panorama exhaustif de ce que furent ces années merveilleuses où les super-héros de Marvel envahirent nos kiosques grâce aux Editions Lug ! Je me revois encore découvrant, époustouflé, tous ces nouveaux super-héros en achetant "Fantask", "Strange" ou "Marvel" que j'eus le bonheur, privilège de l'âge aujourd'hui, d'acheter dès le n° 1 lors de leur sortie. Ce livre, fort complet, nous fait partager non seulement le souvenir de ces publications mais dresse aussi le tableau d'ensemble des parutions de la presse de BD de super-héros avant et après ces années enchantées, à travers les publications de toutes les maisons spécialisées, ces noms devenus mythiques comme Artima ou les Editions des Remparts ! Outre l'aspect comics, les auteurs nous présentent un grand chapitre sur les super-héros qui ont crevé l'écran, qu'il soit de cinéma ou de télé, et un autre sur leur exploitation en produits dérivés, aspect souvent ignoré dans les études françaises alors que nous sommes nombreux à les collectionner. Les super-héros français, trop souvent oubliés, sont mis à l'honneur dans un chapitre particulier.
Inutile de préciser que l'iconographie est somptueuse, avec d'innombrables reproductions en couleurs de toutes ces couvertures qui nous ont tant fait rêver ! Et les auteurs et leur éditeur ont eu l'excellente idée de mettre un index afin de nous faciliter les recherches ultérieures, je tiens à le souligner car c'est encore trop rare alors qu'il s'agit là d'un outil de lecture essentiel lorsqu'on a à faire à plus de 170 pages de texte d'une grande richesse informative. Pour le prix très raisonnable de 25€, voilà un fort beau cadeau de fin d'année !
Série Jane Yellowrock de Faith Hunter

Avec la série "
Jane Yellowrock" de Faith Hunter, dont trois volumes sont déjà sortis aux Editions Eclipse (tome 1 : "
Jane Yellowrock tueuse de vampires" ; tome 2 : "
La Croix de sang" ; tome 3 : "
La Lame de miséricorde"), nous entrons dans l'un de ces univers de bit-lit que j'aime car il utilise d'une manière novatrice des concepts classiques plus un, à ma connaissance, peu utilisé : celui de ce personnage redouté des légendes amérindiennes, le "skinwalker", traduit dans la série par "porteur de peau", autrement dit un humain sorcier/chaman qui a le pouvoir de se transformer à volonté en animal. Et c'est ce qu'est Jane Yellowrock, indienne Cherokee qui abrite dans son esprit la Bête, la personnalité d'une femelle cougar, suite à une opération magique involontaire mais interdite dont elle supporte le poids de la culpabilité; accessoirement ce pouvoir sert à Jane pour s'éclater avec succès dans son travail quotidien, à savoir chasser et tuer des vampires renégats. Elle vit en effet dans un monde où les vampires ont vu être révélée officiellement leur existence en 1962, suite à un incident désagréable impliquant Marilyn Monroe essayant de mordre le président, un pieu manipulé par un garde du corps zélé et une tentative maladroite de faire croire au suicide de l'actrice pour camoufler la vérité ! Nous apprenons cela dans le premier volume et cette existence n'est pas sans toujours susciter des remous dans la société américaine, en particulier au niveau de la citoyenneté et des droits. Dans une Nouvelle-Orléans écrasée par la chaleur et l'humidité, par son passé ancien - l'esclavage et la Confédération - et récent - l'ouragan Katrina vient d'y exercer ses ravages, sans pouvoir être contenu par les covens de sorcières louisianaises, ce qui a créé un certain ressentiment - Jane va, à la demande de Katherine Fonteneau, vampire ancienne et respectée car patronne de la maison close la plus exclusive de la ville, mener son enquête pour retrouver et exterminer un vampire paria, s'attaquant aux autres vampires et à la population, ce qui est toujours mauvais pour le tourisme et les affaires. Comme rien n'est jamais simple, Jane va se retrouver aux prises avec les intrigues politiques internes des familles de vampires de la ville, les rivalités de personnes - ah ces vampires arrogants et comploteurs, ne parlons même pas de leurs domestiques nourriciers humains ou des pensionnaires du "Katie's Ladies" - , la nature du paria qu'elle chasse qui va la faire remettre en question la sienne et se remémorer qui elle est vraiment.

Faith Hunter, à travers une intrigue basée sur les légendes amérindiennes, le chamanisme et l'histoire douloureuse des Cherokees, nous livre là un roman de bit-lit fascinant : son personnage principal, duel et tourmenté, contrôlant parfois difficilement l'animal, au sens littéral du terme, qui l'habite, et essayant de survivre au lourd passif de son enfance et de sa jeunesse. Jane n'est d'ailleurs guère aidée par sa fascination-répulsion-amour-détestation du premier domestique nourricier, Georges Dumas dit "Gros-Bras", du maître vampire Léonard Pellissier - relations difficiles et ambigües avec celui-ci -, son intérêt croissant pour ce mauvais garçon de Rick Lafleur - mais est-il si mauvais que cela ?. Heureusement que sa meilleure amie, Molly, sorcière de Caroline du Nord, et sa fille Angelina, qui est la filleule de Jane et une enfant aux dons puissants déjà à l'âge de 6 ans, lui téléphonent de temps en temps. Le reste de l'entourage de Jane est tout aussi fascinant que bien campé : les vampires divers dont Sabina, prêtresse vampire hors clan d'un âge impressionnant ou Katie , les humains sympathiques comme Jodi Richoux, inspectrice de police s'occupant des cas surnaturels, ou "Troll", le portier garde du corps de la maison close, sans parler de l'équipe d'intervention d'anciens d'Iraq et d'Afghanistan ou de Rinaldo, le chauffeur de taxi attitré de Jane.
Après avoir résolu avec succès, et beaucoup de dégâts psychologiques et physiques pour elle et son entourage, la question du paria, le volume suivant nous fait retrouver Jane, sa Bête et sa Harley Davidson customisée par un prêtre zen de Harley (!), engagées officiellement par le Conseil des Vampires de la Nouvelle-Orléans : il va falloir à Jane tous ses talents pour retrouver le vampire renégat qui a trahi les lois les plus sacrées de sa race.Cela lui permettra, ainsi qu'à nous, de comprendre le secret le mieux gardé des vampires, celui de leur origine : Faith Hunter a eu une belle idée, élégante et originale, qui explique bien les traits de certains comportements vampiriques comme l'allergie à l'argent ou aux croix ! Jane mettra aussi à contribution la patience et la tolérance de ses amis, d'autant plus que Molly et sa fille sont venues la voir, mais c'est ce qui fait manifestement son charme à leurs yeux, tout en utilisant au mieux sa relation avec la Bête et en essayant de protéger tout ce petit monde.

Le troisième tome est tout aussi réussi que les précédents, nous faisant découvrir de nouvelles espèces surnaturelles à l'occasion du "coming out" officiel de ces ennemis traditionnels des vampires que sont les garous. Jane va avoir fort à faire pour gérer la protection de Léonard Pellissier pendant la visite protocolaire des garous africains alors que les loups américains s'agitent, que les vampires complotent. Il lui faut aussi gérer aussi l'assassinat de l'une des envoyées garous, la disparition de Rick Lafleur, la disgrâce de "Gros Bras" et la réapparition de la "Lame de miséricorde", l'ancien assassin officiel des humains devenus fous en n'ayant pas supporté leur transformation en vampire, sans compter la présence permanente d'Evangelina, soeur aînée de son amie Molly, sorcière peu aimable mais, fort heureusement, excellente cuisinière... Faith Hunter continue de nous entraîner avec bonheur dans un renouvellement des mythes indiens, dans une histoire secrète passionnante qui est celle des vampires, mais elle continue aussi de nous faire découvrir l'évolution psychologique de ses personnages face à des situations et des relations extrêmement compliquées et conflictuelles, résultant du poids de l'histoire et des traditions dans une Louisiane multiraciale et multiculturelle glauque et mystérieuse à souhait.
C'est là, à mon avis, l'une des meilleures séries de bit-lit que l'on puisse lire en ce moment de par son originalité et sa recherche.
Le Dragon Griaule de Lucius Shepard

Grâce à Jean-Daniel Brèque et Olivier Girard vient de sortir aux Editions Le Bélial "
Le Dragon Griaule", de Lucius Shepard : il s'agit de 6 longues nouvelles, dont 5 sont inédites en français, qui forment l'histoire du dragon Griaule. Et quel dragon ! Plus d'un mile de long, son corps gît sur le sol depuis des temps immémoriaux : tué - mais en est-on sûr ? - par un sorcier qui perdit lui-même la vie dans l'affaire, Griaule fait partie du paysage, de la terre s'est déposée sur lui, formant des collines, des arbres ont poussé sur lui, la caverne que forme sa gueule donne sur le labyrinthe de l'intérieur de son corps, hanté par des créatures diverses toutes plus dangereuses les unes que les autres et par des humains dégénérés qui protègent et entretiennent leur dieu. La ville de Téocinte et le bourg de Hangtown se sont développés près de Griaule, dont les écailles et autres débris corporels donnent lieu à un commerce florissant et dont les pensées maléfiques, son esprit étant la seule partie de son être encore en état de fonctionnement, influenceraient en permanence les habitants, les poussant à des actions mauvaises afin de servir les desseins incompréhensibles du dragon. Avec un immense talent, Shepard nous dépeint, à petites touches, l'évolution de Griaule et des humains qui gravitent autour de lui, chaque nouvelle nous faisant progresser dans la chronologie de Griaule, de l'époque où l'on essaya d'en terminer une fois pour toutes avec celui-ci, avec "L'Homme qui peignit le dragon Griaule", par un moyen ingénieux mais long et coûteux, jusqu'à la disparition physique de Griaule, avec "Le Crâne", les hommes étant capables de récupérer et utiliser toutes les parties du dragon. Ma nouvelle préférée de la série est la troisième, "Le Père des pierres" - curieusement celle que l'auteur m'a dit trouver la moins réussie -, que je trouve d'une perversité psychologique remarquable : Griaule ne sert-il pas en fait de "dragon émissaire", les humains lui attribuant leurs faiblesses et le mal qu'ils sont capables de concevoir tout seuls ? Cette nouvelle a d'ailleurs reçu le prix Locus, comme la précédente, "La Fille du chasseur d'écailles", qui nous fait pénétrer dans les entrailles de Griaule, chez ses serviteurs humains. Les 6 nouvelles forment un tout, où l'on retrouve différents personnages à différentes étapes de l'histoire, ce qui confère à l'ensemble une très grande force grâce à ce sentiment de continuité. Pas de grandes batailles épiques, pas de vilains magiciens ou de femmes fatales, l'auteur nous livre des nouvelles de fantasy quasi intimiste, centrées sur un ou deux personnages du commun mais dont l'histoire est disséquée avec un ton détaché qui la renforce : on perçoit ainsi la personnalité de Griaule à l'arrière-plan et petit à petit on pense comprendre son but. Le style de l'écriture est très beau, avec une excellente traduction de Jean-Daniel Brèque.
Cerise sur le gâteau, non seulement la couverture de Nicolas Fructus, avec l'oeil de Griaule nous contemplant, est superbe mais il a aussi illustré chaque nouvelle. Et nous avons en bonus, outre une postface de Lucius Shepard nous donnant la genèse de sa conception de Griaule, une bibliographie de l'auteur par Alain Sprauel. Un grand bonheur de lecture !
Les Mystères de Harper Connelly 4 : Secrets d’outre-tombe de Charlaine Harris

J'avais déjà dit (
février 2011) combien j'appréciais la nouvelle série de Charlaine Harris, "
Les Mystères de Harper Connelly", qui sort chez J'ai Lu. Dans cette série fantastique, Harper Connelly est une jeune fille qui, depuis qu'elle a été foudroyée à l'âge de quinze ans et en a réchappé, a le don de trouver les corps des morts et de "voir" leurs tout derniers instants. Elle gagne ainsi sa vie, accompagnée de son frère adoptif: cela lui a permis de sortir d'un milieu familial déplorable, avec des parents qui se droguaient, une soeur disparue. Elle parcourt ainsi le Sud profond, résolvant des disparitions mystérieuses, en butte généralement à l'hostilité des forces de police et à la haine de familles dont les secrets les plus glauques ressortent. C'est là toute la force et l'attrait de cette série : de bonnes enquêtes policières, de vraies énigmes à résoudre - dans le tome 3 par exemple qui tue ces jeunes garçons dans cette charmante bourgade de Caroline du Nord -, dans l'atmosphère fort bien rendue des petites villes de ces états du Sud où "Délivrance" est toujours d'actualité... En même temps l'auteur fait évoluer la psychologie de son héroïne au fur et à mesure que celle-ci gagne en maturité, fait aussi évoluer les autres personnages, que ce soit Tolliver, le frère fidèle, ou Manfred, le voyant amoureux transi de Harper.
Après les belles enquêtes des trois premiers volumes, "Murmures d'outre-tombe", "Pièges d'outre-tombe" et "Frissons d'outre-tombe" - ce volume m'ayant permis de découvrir que je partage avec Harper Connelly, et sans doute l'auteur, une passion pour la délicieuse nourriture bien sudiste de "Cracker Barrel", une grande chaîne de restaurants pseudo rustiques -, le 4e tome, "Secrets d'outre-tombe", nous emmène enfin dans un grand état, le Texas, et dans de vraies villes puisque nous nous promenons, sur les pas de Harper, entre Dallas et Texarkana, à la recherche de la solution à une mort mystérieuse, un bébé disparu et les sordides secrets de Matthew, père de Tolliver et beau-père de Harper. Ce volume permet à Harper de devenir véritablement adulte et à nous, lecteurs, de lire un excellent roman.
Zoo City de Lauren Beukes

Bien que lecteur relativement boulimique, il m'arrive de ne pas lire à sa sortie un roman et de découvrir ainsi avec retard un livre excellent : c'est le cas de "
Zoo City" de Lauren Beukes, sorti en juin dernier chez Eclipse. Voilà l'un de ces romans comme je les aime, totalement inclassable et d'une originalité remarquable : roman de fantaisie urbaine uchronique serait peut-être la moins mauvaise définition si il en fallait absolument une. L'auteur nous plonge sans explication dans notre monde, en tout point identique au nôtre à part un détail : tout individu qui commet un crime se retrouve immédiatement attribuer un animal qui est à la fois son double et son familier; si l'animal meurt, son maître est emporté par le Contre-courant, une sorte de masse d'ombre noire, sans que l'on sache exactement ce qu'il devient ensuite, mis à part les hurlements terrifiants émis par la personne pendant le processus de disparition. La discussion se poursuit sur la date d'apparition du phénomène, années 90, et l'identité du "criminel 0". Nous sommes à Johannesbourg et suivons la vie difficile de Zinzi December, meurtrière et arnaqueuse, qui s'est vu affubler d'un paresseux et du don de retrouver les choses perdues; elle survit au milieu des autres "animalés" dans la misère abjecte, la criminalité et la violence quotidienne de Zoo City, le ghettto où se retrouvent tous les déclassés et les réfugiés. Elle va être embauchée par Odi Huron, producteur de disques à succès reclus dans sa villa, et ses associés - Marabout, une femme inquiétante, et Maltais, un homme de main curieux, vous avez compris quels sont leurs animaux - pour retrouver une jeune chanteuse à succès disparue, laissant sur place son frère jumeau, l'autre moitié du duo vedette. Sur fonds de magie africaine traditionnelle - le muti -, d'arnaque nigériane sur internet, de musique et de drogue, Lauren Beukes nous entraîne à la découverte d'une ville hallucinante, où survivent des personnages paumés, tout à la fois victimes et bourreaux, où se mélangent sans conflit tradition et modernité, magie et technologie, le fait de s'en sortir un jour de plus étant la seule chose qui compte. Le roman est beau et dur, l'histoire personnelle et l'enquête de Zinzi étant entrecoupées de divers articles de journaux, échange de mails etc... qui nous permettent de lieux appréhender ce monde; Lauren Beukes maîtrise parfaitement intrigue et écriture, nous plongeant dans l'univers de l'Afrique du Sud contemporaine et de ses démons - pauvreté, racisme, ignorance, obscurantisme -, utilisant le vocabulaire des diverses ethnies noires du pays ainsi que celui des Boers, rendant ainsi le récit très vivant. Je me suis retrouvé fasciné par ce monde étrange, si proche du nôtre, mais dominé par la peur du Contre-courant et de la punition, ce qui n'empêche pas les gens d'être aussi pourris et mauvais qu'avant.
Une bien belle réussite que ce roman dérangeant, le second de l'auteur et le premier traduit en français, noir mais optimiste, fort bien traduit par Laurent Philibert-Caillat qui, de plus, nous donne en fin d'ouvrage un lexique des principaux mots et expressions sud-africains, fort utile à la lecture. Je veux aussi souligner la beauté de la couverture et de l'illustration de la 4ème de couverture, toutes deux absolument superbes, de Joey Hi-FI, pseudo de l'artiste sud-africain Dale Halvorsen. Bref, une lecture indispensable !
Série Morgane Kingsley de Jenna Black

Avec la série "
Morgane Kingsley", de Jenna Black, (5 tomes déjà parus chez Milady : dans l'ordre "
Démon intérieur", "
Moindre mal", "
Confiance aveugle", "
Faute avouée" et "
Péchés capitaux"), nous sortons de la bit-lit stricto sensu mais restons dans ces séries plutôt orientées vers un lectorat féminin, ce qui n'empêche pas les lecteurs masculins, comme moi, de les apprécier aussi, surtout quand leur point de départ est original. C'est le cas ici : dans un monde ressemblant furieusement au nôtre, la seule différence est que l'existence des démons est reconnue et que la possession est légale à partir du moment où les règles mises en place par le législateur sont respectées ! Il y a donc des hôtes dont la personnalité s'efface au profit du démon qui devient en charge du corps. Des exorcistes interviennent en cas de possession illégale (non consentie), tuant le démon qui, souvent, laisse l'hôte dans un état psychologique lamentable. La plus connue et la plus efficace des exorcistes américains est une jeune femme dont on apprendra qu'elle a eu une jeunesse difficile et tourmentée, ayant détruit toute confiance en les autres : il s'agit de Morgane Kingsley, vous l'avez deviné. Et dans le premier volume, elle se retrouve hôte involontaire de Lugh : une exorciste possédée, voilà un point de départ fort drôle ! Et non seulement elle va devoir apprendre à gérer sa cohabitation intérieure avec son démon, qui se révélera le roi en exil sur la Plaine des Mortels du royaume démoniaque, mais elle va aussi avoir à composer avec son petit ami humain, Brian, et l'attirance qu'elle a pour tous deux, à mener ses exorcismes et ses enquêtes sur des possessions diverses tout en menant avec Lugh la guerre contre l'un de ses frères qui veut prendre sa place. De plus, au fil des volumes, va se mettre en place un entourage peu courant dans ce genre de séries, avec une sexualité sortant quelque peu des sentiers habituellement rebattus : certes Morgane est farouchement hétérosexuelle mais ceux qui vont devenir tant bien que mal ses meilleurs amis, Adam (qui, de plus, est chef du département de la police en charge des démons!) et Dominic sont gays et vivent une histoire d'amour sado-masochiste torride; de plus, les démons étant asexués chez eux, la différenciation des sexes les laisse quelque peu perplexes, indifférents seraient d'ailleurs un terme plus approprié, ce qui permet à l'auteur de jouer sur un registre de possibilités tout à fait amusantes. Les personnages sont fort intéressants et ont une personnalité complexe, que Jenna

Black développe au fur et à mesure des volumes : évolution de Morgane mais aussi de Lugh, adaptation malaisée de Brian à la situation de coucher avec Morgane tout en ayant un Lugh fort appréciatif quelque part dans le cerveau de sa copine, rôle très ambigu de Raphael (frère de Lugh et soutenant - ? - celui-ci dans sa lutte), rôle des parents de Morgane, partisans fanatiques des démons, nouveaux humains et démons, amis ou ennemis intervenant au cours des volumes, tout cela contribue à transformer cette série de manière passionnante.
Ecrite avec humour, explorant avec brio les possibilités qu'ouvrent la faculté des démons de changer de corps à volonté, voilà une série innovante mais qui n'est pas à mettre entre toutes les mains - pudibonds, intolérants et adolescents non avertis s'abstenir... -, tous les autres, en revanche, ne boudez surtout pas votre plaisir.
L'Encyclopédie du fantastique de Jacques Baudou

Après nous avoir donné l'année dernière une excellente "
Encyclopédie de la fantasy", Jacques Baudou nous livre maintenant une tout aussi bonne "
Encyclopédie du fantastique", toujours chez Fetjaine. Avec son érudition habituelle, il procède à un examen et une présentation fort complète de la littérature fantastique et de ses sous-genres, depuis ses débuts au 18e siècle jusqu'à nos jours, couvrant fort en détail ses évolutions et mutations. Comme si cela ne suffisait pas, il aborde la littérature mal connue des pays hors zone francophone et anglo-saxonne et, de plus, nous parle aussi abondamment des adaptations au cinéma et à la télévision ainsi que des créations originales du genre dans ces deux médias plus la BD. Un panorama fort complet en 191 pages écrites serrées, agrémenté d'une iconographie abondante : à l'approche des fêtes de fin d'année, un bien beau cadeau à faire et à se faire !
Sans Forme de Gail Carriger

Il y a quelques mois, j'avais découvert avec enthousiasme l'originalité de Gail Carriger dans "
Sans Ame" (février 2011) ; avec "
Sans Forme", deuxième volume du "
Protectorat de l'ombrelle" (Orbit), nous retrouvons, trois mois après ses aventures précédentes, Mlle Alexia Tarabotti, devenue entre-temps lady Maccon, comtesse de Woolsey car elle épousé lord Maccon, son grand loup-garou écossais séduisant, beaucoup plus dévergondée en privé mais toujours comme il faut en société, bien que toujours aussi extravagante et originale selon les critères victoriens, devenue aussi la muhjah - conseillère paranaturelle - du Cabinet fantôme de la Reine. Accompagnée de sa meilleure amie, Mlle Ivy Hisselpenny, aux chapeaux toujours aussi hideux, et de sa peste de soeur Félicité, elle va partir à la suite de son mari dans cette contrée barbare et mal éduquée qu'est l'Ecosse, nous faisant ainsi découvrir le pays et la première meute de lord Maccon. De plus, comble de l'avanie pour Alexia, outre son insupportable - car elle a un goût parfait et est une excellente coiffeuse - femme de chambre française, elle va être obligée de composer et de sympathiser avec Mme Lefoux, française elle aussi comme son nom l'indique, scientifique de pointe au talent immense (elle sait même réparer un transmetteur éthérographique dernier modèle !) : comment résister à l'inventrice d'une ombrelle de combat aux nombreux gadgets et armes parfaitement camouflées sous une apparence quasi inoffensive ? Gail Carriger, avec son talent et son humour, nous invite à nous poser les mêmes graves questions qu'Alexia Tarabotti : comment faire choisir un chapeau décent à Ivy ? En quel équipage doit voyager une dame prenant le dirigeable ? Servira-t-on du haggis au dîner ? Quelle attitude adopter face à des loups-garous écossais en kilt dévoilant, de manière révoltante, cette partie intime de l'anatomie qu'est le genou ? Et, accessoirement, quelle est la cause de la grande humanisation de Londres qui, soudainement, a rendu mortels pour un temps tous les vampires et loups-garous, exorcisant aussi de manière définitive un certain nombre de fantômes ? Pourquoi cela se déplace-t-il, semblant suivre une meute rentrée des Indes et d'Egypte après un service de plusieurs années ? Pourquoi Lord Maccon a-t-il abandonné sa meute d'origine ?
Nous en apprendrons aussi sur le passé de M. Tarabotti père et de quelques autres personnages de l'entourage d'Alexia, sur les Templiers qui gouvernent l'Italie, sur le pouvoir des paranaturels en général, sans compter une histoire d'amour totalement improbable, tout cela en 300 pages souvent hilarantes mais toujours avec la finesse dans le détail historique qui faisait l'intérêt du premier volume. Le développement - dans tous les sens du mot - inattendu de la fin de ce volume nous fait attendre avec curiosité et impatience les suivants, déjà sortis aux Etats-Unis.
Le clan Kahill de V. K. Forrest

L'une des grandes qualités de la bit-lit est la remise en cause des poncifs de la littérature vampirique et le joyeux brassage d'idées et de concepts que cela entraîne. C'est cette originalité que j'apprécie dans une série que je viens de commencer, celle du "
Clan Kahill" (tome 1 : "
Eternelle", tome 2 : "
Impitoyable", tous deux chez Milady) de V. K. Forrest. Cette auteure, qui vit dans le Delaware, l'un des deux plus petits états des USA, y a placé la petite ville touristique de Clare Point qui, outre son attrait historique pour ses visiteurs humains, présente pour nous, lecteurs, l'intérêt d'être la ville fondée par le clan Kahill, venu d'Irlande au 17
e siècle, fuyant les persécutions des chasseurs de vampires. Car la particularité des Kahill, c'est d'être tous des vampires, suite à la malédiction de Dieu qui s'est abattue sur eux pour les punir de leurs péchés - ils avaient eu l'outrecuidance de combattre saint Patrick lors de l'évangélisation de l'Irlande. Après une période de révolte et d'orgies de massacres, ils se sont calmés et cherchent depuis la rédemption et le pardon de Dieu. Pour ce faire, ils se sont fondus dans la masse des humains depuis que leur navire s'est échoué sur la côte atlantique, vivent en semi-autarcie à Clare Point et forment une société secrète qui pourchasse et exécute tueurs en série, pédophiles et autres criminels qui passent entre les mailles du filet de la justice. L'héroîne, Fia, a intégré le FBI dont elle est un agent apprécié mais qui doit jongler entre sa nature vampirique, son métier et ses devoirs vis-à-vis de sa famille et de sa communauté. C'est là tout l'intérêt de cette série: bonnes enquêtes policières - des tueurs en série de vampires dans le premier tome, un serial killer de familles entières, le Fossoyeur, dans le deuxième -, l'atmosphère et la mentalité de ces petites villes provinciales américaines fort bien rendues, des personnages attachants à la psychologie tourmentée - des vampires qui essayent de faire le bien, de s'intégrer tout en conservant leur identité, bien entendu des amours inter-espèces contrariées et/ou impossibles, le poids de l'immortalité et des souvenirs qui ne s'effacent pas. Tout

cela est fort bien traité par l'auteure, dans des intrigues prenantes, où elle joue avec les concepts : la manière dont les vampires Kahill doivent vivre, avec leur renaissance à l'âge de l'adolescence vie après vie et les problèmes que cela soulève ou les liens sacrés du mariage qui ne peuvent être dissous, même après des centaines d'années, tout cela crée une communauté de vampires très soudés entre eux, dont les dons - changer de forme, télépathie, voyance, etc. chacun a le sien, plus ou moins différent de celui des autres - sont mis à profit. Et la manière dont le tabou absolu de ces maudits - boire le sang des humains - est parfois enfreinte nous cause les mêmes affres qu'à eux, tellement l'auteure nous les a rendu sympathiques et, n'ayons pas peur du mot, humains.
En résumé, une série de bit-lit policière tout à fait intéressante et originale, à découvrir.
Jean-Luc Rivera