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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juillet 2012
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juillet 2012

De Sang et de Larmes de Thomas John
 
Je vous avais fait part, en août dernier, de l'intérêt du premier roman de Thomas John, "La Cité noire". Mettant à nouveau à profit ces vacances pour rattraper quelques lectures en retard, je viens de lire "De Sang et de Larmes" (toujours chez Asgard, dans la collection Reflets d'ailleurs), deuxième volume des aventures de Kroll, le cromleck devenu l'un des seigneurs de la Cité noire de Kan-Pang, de sa soeur adoptive aveugle Ao et de son comparse Perceron d'Oustreval. Disons-le tout de suite : cette suite est très réussie car l'auteur a développé la profondeur psychologique de ses personnages qui évoluent dans leurs sentiments et leurs comportements face aux choix qu'ils ont à faire : comme nous, ils sont pétris d'incertitudes et d'hésitations. Comment savoir si votre interlocuteur ressent bien l'amour ou l'amitié qu'il exprime ou si ce n'est que le résultat d'un calcul ? Alors que Thomas John continue de nous faire découvrir l'entrelacs compliqué des intrigues et complots politiques où chacun essaye de tirer son épingle du jeu, nous réalisons que le combat mortel engagé entre deux des grandes familles de la ville, les Sourgne et les Gordreg, s'inscrit dans un enjeu encore plus grand ! Et nous en saurons ainsi plus sur la Chimère, la déesse à la fois adorée et exploitée par les sorciers, sur la nature de la Fossoyeuse, cette créature mystérieuse qui nettoie la ville de ses cadavres lors de chaque nuit de Lunardente, et sur celle des "dieux" en général, allant de surprise en surprise. Nous découvrons que certains personnages apparemment secondaires du premier tome ont en fait un rôle crucial dans les luttes en cours : il en va ainsi de l'énigmatique Feyziye, le talentueux musicien, ou du peu charismatique régent Haardoth. D'autres se mettent à jouer un rôle prépondérant comme Nibélune de Sourgne dont l'histoire d'amour étonnante et la personnalité complexe et tourmentée m''ont particulèrement plu.
 
J'avais trouvé le premier volume fort dense, celui-ci l'est tout autant car Thomas John continue de mettre en scène une foultitude de personnages et c'est là l'un des autres points forts de son univers des Terres de Jade : contrairement à la plupart des romans de fantasy "classique" qui se contentent de mettre en scène quelques héros qui changent ou forcent le destin seuls, ici il nous montre une société "réelle" où même les individus les plus humbles ou insignifiants peuvent contribuer, par leurs actions, au succès ou à l'échec des "leaders" - un gardien de prison qui parle trop dans une taverne, des ouvriers surexploités et maltraités qui ne veulent plus se laisser faire etc... Le ton de ce roman est encore plus sombre que le premier car il n'est plus égayé par les tentatives grotesques de Perceron qui, au fur et à mesure que ses souvenirs lui reviennent, devient de plus en plus responsable : alors que Kroll se laisse manipuler relativement facilement à cause du fardeau de sa responsabilité dans l'accident d'Ao et que celle-ci s'abandonne à ses sentiments, Perceron est celui qui finalement se prend en charge et s'assume, retournement complet de situation. Tout cela se déroule dans un monde de magie et de cruauté impitoyable, toujours avec les chapitres courts et intenses qui font toute l'efficacité de l'écriture de Thomas John. La complexité de ce roman ne peut s'apprécier qu'en ayant lu d'abord le précédent : il est impératif de les lire dans l'ordre de parution, c'est la rançon d'une belle oeuvre de fantasy adulte. Bonnes lecture et découverte donc, en attendant de savoir ce qui attend nos personnages dans le troisième volume prévu où ils se retrouveront dans la Cité blanche de Nordane et atteindront les Terres de Légende...
 
 Tau Zéro de Poul Anderson
 
Je fais partie des admirateurs de Poul Anderson, l'un des plus grands écrivains de la SF américaine dont l'oeuvre immense n'a été que partiellement traduite en français. Les éditions du Bélial sont à féliciter, ainsi que Jean-Daniel Brèque qui traduit ou révise chaque volume - un superbe travail de passion - pour leur entreprise de mise à disposition du lectorat français des romans de cet auteur (je rappelle qu'entre autres sont ainsi disponibles les 4 volumes de "La Patrouille du temps" que tout amateur de SF se doit d'avoir lu au moins deux fois !) dont mêmes les romans les moins achevés sont toujours bons. Et là, avec "Tau zéro", nous avons droit à l'un des chefs d'oeuvre de Poul Anderson, un roman qu'il classait lui-même parmi ses cinq meilleurs. On a tendance à penser à lui comme un écrivain d'aventures aux envolées souvent poétiques à la manière des sagas de l'ancienne Scandinavie dont il était un fin connaisseur, mais on oublie que Poul Anderson avait aussi suivi des cours de physique à l'université et que, toute sa vie, il s'est passionné pour la science et la recherche spatiale. Le résultat est là : "Tau zéro" est un grand roman de "hard science", quasiment impeccable dans ses données pour son époque (ainsi que nous le montre Roland Lehoucq dans une passionnante postface analysant celles-ci). Mais c'est aussi une épopée grandiose où Anderson donne toute la démesure de son imagination puisqu'il nous emmène avec les occupants du vaisseau "Leonora Christina" faire un voyage de trente-deux années-lumière, à une vitesse s'approchant de plus en plus de celle de la lumière - le fameux différentiel Tau qui tend à diminuer en fonction de la vitesse -  jusqu'à l'étoile Beta Virginis afin de coloniser une nouvelle Terre, la première dans l'histoire de l'humanité. Suite à un accident pendant le voyage, notre équipage ne peut plus ralentir et Poul Anderson nous fait vivre leur périple imprévu et ses conséquences.

Comme toujours avec lui, c'est l'occasion de nous présenter sa foi en l'homme et ses capacités à se dépasser : le triomphe de la volonté et du génie humains sur les obstacles qui lui barrent la route, incarné par un homme, Charles Reymont, le "gendarme" dans tous les sens du mot du vaisseau, dont la volonté de fer et le moral d'acier - au moins en public - permettront au vaisseau et à ses occupants d'atteindre une destination, fort différente de celle prévue. Mais c'est là tout le plaisir de ce livre et je ne vous en dirais pas plus, excepté que Poul Anderson analyse aussi très finement les conséquences morales et psychologiques d'une rupture totale et sans possibilité de retour avec la Terre sur un petit groupe. Un roman de pure "hard science" avec des accents intimistes et des envolées épiques : que demander de plus pour notre bonheur de lecteur ? 
 
Le retour des morts de John Ajvide Lindqvist 
Je pense que peu de ses lecteurs, moi compris, ont oublié l'étonnant roman de vampires qu'était "Laisse-moi entrer" de l'auteur suédois John Ajvide Lindqvist. Dans son nouveau roman publié en français, "Le retour des morts" (Editions Télémaque), il s'intéresse, comme le titre l'indique, aux morts-vivants.

Le roman débute avec l'atmosphère électrique, au sens propre du mot, qui accable la capitale suédoise la nuit du 13 août ; et, à 22h49, la tempête atteint son point culminant avant de disparaitre. Or, par un phénomène qui restera plus ou moins inexpliqué, les morts de la région reviennent à une sorte de vie, mais uniquement ceux des deux derniers mois !

A travers les vies bouleversées de trois familles prises en exemple - David Zetterberg et son fils Magnus, dont l'épouse et mère meurt dans un accident de voiture juste avant le "retour" des morts, Gustav Mahler, journaliste, et sa fille, qui ont perdu leur petit-fils, Elvy et sa petite-fille Flora dont le mari et grand-père vient de disparaitre - Lindqvist analyse de manière froide et presque clinique la manière dont la société va vivre un tel bouleversement. C'est cela qui fait toute la force et l'intérêt de ce roman : comment les "revivants", comme on les appelle, qui n'ont ni conscience de ce qu'ils sont ni message particulier à transmettre - ils sont en fait des sortes de corps animés d'une vague vie végétative - vont-ils impacter la société en général et modifier la vie des vivants, d'autant plus que le phénomène est circonscrit à deux mille personnes dans la région de Stockholm ? Quelles seraient nos réactions individuelles, gouvernementales, religieuses, face à cela, un évènement remettant en cause a priori toutes nos convictions ? Ce sont ces réponses que nous apporte Lindqvist en utilisant les trois familles représentatives citées plus haut, représentant les diverses attitudes possibles. Le plus intéressant est sans doute le cas d'Elvy qui a un "don" parapsychologique la rendant encore plus réceptive que les autres aux "émissions" mentales qui semblent se dégager des "revivants". J'avoue m'être passionné pour cette analyse de notre société à laquelle se livre l'auteur, son écriture très factuelle la rendant encore plus effective. La fin du roman est à la fois surprenante et peut-être un peu conventionnelle mais nous laisse face à nos interrogations et à nos doutes, ce qui est le but. Un roman fascinant qui, comme pour les vampires, permet à l'auteur de se démarquer totalement de la littérature de zombies actuelle. A découvrir de toute urgence !
 
Freaks Squeele de Florent Maudoux
 
 
Je n'avais pas lu la première version en noir et blanc de "Freaks Squeele" et viens donc de faire une découverte fort agréable grâce à la réédition en couleurs de celle-ci par les Editions Ankama (sous le label "619"), scénario, dessins et couleurs de Florent Maudoux, à la fois scénariste imaginatif et dessinateur talentueux, en plus d'un sens de l'humour sans failles. Avec ces deux premiers tomes ("Etrange université" 1 et 2), il nous introduit dans l'univers de la Faculté d'Etude Académique des Héros, l'une des moins prestigieuses de ce monde où en existent plusieurs et où les héros sont non seulement reconnus mais sont aussi les sujets d'une compétition sans merci pour la reconnaissance médiatique et donc la publicité et l'argent qui s'ensuivent. Les trois personnages principaux dont nous faisons la connaissance sont trois étudiants de première année, Xiong Mao - une jeune Chinoise au nom énigmatique et facilement écorchable dans sa prononciation - Chance - jolie fille avec une mignonne petite paire de cornes - et Ombre - gigantesque créature lupine d'une timidité maladive - qui forment une petite équipe aux résultats scolaires médiocres. Maudoux nous fait découvrir leur vie de tous les jours : cours et examens, relations tendues avec les autres étudiants, rencontres et bagarres avec des monstres improbables, rencontres avec le Manchot - personnage dégingandé et énigmatique, sujet de nombreuses légendes urbaines -, petit boulot de serveuse à la K-Fête pour Chance. Bref la vie d'étudiants normaux dans un environnement anormal à tous points de vue : que ce soit les autres étudiants - une collection de super-héros en devenir tout à fait cocasse et pleine de clins d'œil à toute la galerie DC-Marvel -, l'environnement - un campus où il est peu recommandé de sortir la nuit et des chaînes de télé qui transforment en spectacle de téléréalité les examens - sans parler du directeur de la FEAH, qui ferait honte au bon professeur Xavier, avec sa volonté de faire entrer à tout prix son université dans le club très fermé des grandes écoles de héros mondialement reconnues.
 
Vous l'avez compris, Maudoux prend plaisir - et nous avec - à déformer subtilement tous les codes des comics de super-héros, en y ajoutant une très forte touche de cet esprit que les anglo-saxons qualifie de typiquement "français". Le résultat est à la fois fort drôle et très réussi tout en prenant le lecteur dans les rets d'une histoire se déroulant par épisodes où nous nous prenons au jeu de suivre et découvrir les secrets de chacun. Il ne néglige pas le développement de personnalités assez fouillées chez les principaux protagonistes, que ce soit nos gentils héros ou les "pestes" qui leur pourrissent la vie comme Amanite, la jeune sorcière riche et gâtée, ou l'envieuse Changelin. Cela nous donne deux volumes excellents, se terminant par un "grand finale" magnifique de délire, l'équivalent en BD de celui de "Casino Royale" (le film de 1967 avec David Niven, bien entendu).
 
Une bien bonne lecture de vacances pour faire oublier le climat maussade !

 
Tales from the Crypt
 
Paraissait à la fin des années 1940 et au début des années 1950 un bimestriel intitulé "The Crypt of Terror" puis "Tales of the Crypt", présentant des BD d'horreur, quatre histoires complètes à chaque fois, ancêtre direct des célèbres "Eerie" et "Creepy" qui ont épouvanté la génération suivante. Les Editions Akileos ont eu l'excellente idée de présenter en un beau volume cartonné les 24 histoires contenues dans les n° 17 à 22 (1950-1951). C'est l'opportunité de découvrir les comics qui ont marqué les dessinateurs qui apparaîtront dans les années 60. Les histoires sont, pour nous aujourd'hui, nettement moins horrifiantes qu'à l'époque, souvent centrées sur la folie humaine (comme "L'homme qui était la mort") mais abordant aussi tous les thèmes fantastiques que nous aimons (loup-garou avec "La malédiction de la pleine lune", vampire avec "Groupe sanguin 'V'", vaudou avec "Zombie !" et autre cabine de bateau maudite avec "La créature venue de la mer"). Ce qui deviendra un grand poncif des films d'horreur pour teen agers est celui de la maison abandonnée où les adolescents se doivent d'entrer pour prouver leur courage à leurs pairs ("Maison de l'horreur"). Et une histoire amusante car elle préfigure en partie la découverte d'Otzi, l'homme préhistorique congelé trouvé dans les Alpes autrichiennes, est celle intitulée "Homme des cavernes".
Les scénarios sont souvent ceux d'Al Feldstein (qui dessinera aussi certaines histoires) mais on y trouve aussi Gardner Fox ; quant aux dessinateurs, il s'agit principalement de Johnny Craig, Wally Wood ou Graham Ingels entre autres. J'y ai retrouvé tout le charme, un peu désuet aujourd'hui mais si agréable, d'une époque moins violente et moins "gore" que la nôtre, tout le plaisir d'un voyage dans le temps, à apprécier sans réserve en attendant le volume deux. J'en profite pour signaler que les mêmes Editions Akileos ont aussi publié un volume intitulé "Crime SuspenStories" (un magazine de "crime stories" publié lu aussi à la même époque par EC Comics), tout aussi plaisant à lire.
 
 
 
La Couleur de l'âme des anges de Sophie Audouin-Mamikonian
 
Malgré que je sois un relativement gros lecteur, il m'arrive de laisser de côté un livre pendant quelques mois avant de le reprendre et de découvrir que j'ai eu tort : c'est le cas avec "La Couleur de l'âme des anges", de Sophie Audouin-Mamikonian, premier volume de la nouvelle collection "R" chez Robert Laffont, sorti au début de l'année. Ne vous laissez pas bêtement repousser par une couverture assez quelconque - péché de jeunesse sans aucun doute - car le roman est l'un des plus originaux que j'ai lu du point de vue des idées. Jeremy, jeune cadre financier de génie, ayant une double origine française et américaine, met en oeuvre ses talents d'investisseur aux dents longues à New York où, un soir, il est décapité par un tueur ninja d'un seul coup de katana ! Et il se retrouve perdu dans notre monde, mort, sous la forme d'un "Ange" c'est-à-dire d'un esprit, ce qui est le sort de tout le monde. Inutile de dire que la planète est plutôt surpeuplée, avec tous ces esprits qui n'ont pas grand chose à faire à part se nourrir et s'occuper des affaires des vivants. Et c'est là que l'auteur fait preuve d'une grande imagination : les "Anges" sont de diverses couleurs mais principalement rouges (la colère et la haine) ou bleus (l'amour et la bienveillance), suivant en cela les traditions ésotériques sur les couleurs de l'aura humaine trahissant les sentiments de la personne. Tout dépend de ce qu'ils absorbent pour survivre, leur alimentation consistant en ce qu'ils appellent la "Brume" c'est-à-dire nos sentiments et nos passions ; autrement dit, nous devenons, après la mort, des sortes de vampires psychiques, errant sans but défini. Jeremy va ainsi rencontrer un Ange bleu très âgé qui va l'aider puis un certain nombre d'autres de ces Anges - dont Albert Einstein ! - pendant qu'il apprend à la fois à survivre dans ce nouvel environnement et à mener l'enquête pour découvrir pourquoi il a été assassiné. Nous irons ainsi de surprise en découverte, dans cet univers où les "Anges" sont guettés par l'ennui, la folie et la disparition vers un ailleurs toujours indéfini, où ils mettent à profit la puissance accumulée grâce à l'âge et à l'expérience pour nous influencer - voilà un explication intéressante des malheurs et des bonheurs dans notre monde : nous subissons l'influence des Bleus et des Rouges qui s'assurent ainsi une nourriture abondante, mais aussi une matière première qu'ils peuvent façonner à leur guise -, où les passions et l'ennui sont exacerbés par le temps qui s'écoule, où vivants et défunts mènent chacun leur jeu pour des raisons qui leur sont propres et que nous découvrons petit à petit, la surprise étant toujours au rendez-vous. L'auteur réussit le tour de force d'intégrer les connaissances traditionnelles de l'occultisme et les hypothèses de la parapsychologie et des NDE à une intrigue à la fois policière et politique, utilisant astucieusement le fait que vous pouvez ainsi rencontrer non seulement les membres disparus de votre famille mais aussi des personnages célèbres - entendre un duo Presley-Sinatra est un plaisir rare - et les possibilités qu'offrent la possibilité de modeler son environnement grâce à la "Brume". La personnalité d'Allison, la jeune fille dont Jeremy va tomber amoureux fou, m'a paru peu crédible dans la New York moderne mais les autres personnages, dont Jeremy, son père et son grand-père, Einstein et Lili, sont intéressants, et les "méchants", dont je vous tairai les noms pour ne pas vous gâcher la surprise, sont excellents.
 
Sophie Audouin-Mamikonian a réussi son pari de créer un univers très original dans lequel elle déroule une intrigue prenante : qui, comment et pourquoi, a commandité le meurtre de Jeremy. Voilà un livre destiné aux "jeunes adultes" mais qui devrait séduire aussi leurs parents. 
 
 
Jean-Luc Rivera

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