Lasser - Un privé sur le Nil de Sylvie Miller et Philippe Ward
Au détour de plusieurs anthologies de nouvelles, depuis 2006, les lecteurs avaient pu découvrir l'Egypte si familière et si déroutante de l'univers des "pachas" où Jean-Philippe Lasser mène des enquêtes très particulières. Face au succès, les auteurs, Sylvie Miller et Philippe Ward, le "Noir Duo", ont décidé de céder aux pressions amicales de leur lectorat et nous livre donc le premier roman - en fait plusieurs enquêtes se succédant - de "Lasser. Un privé sur le Nil" (Editions Critic). Nous sommes donc dans cette Egypte de 1935 où a échoué Jean-Philippe Lasser, détective privé gaulois qui a dû fuir son pays suite à la vindicte de l'un des chefs de la mafia gallo-romaine. En effet, dans ce monde, l'empire romain a perdu la Gaule et la Narbonnaise, la Grande-Bretagne est toujours divisée en royaumes divers, de même que le reste de l'Europe et du monde, un univers figé dans les frontières de notre Antiquité par les dieux divers, car ceux-ci sont les dirigeants incontestés de chaque pays et veillent jalousement sur leurs territoires car leur force dépend de la foi et du nombre de leurs fidèles. Mais le monde a évolué et les dieux se déplacent en Bugatti ou en Rolls car ils apprécient certaines des inventions humaines. Ce bon Lasserre, un brave type qui se fait rouler régulièrement dans la farine par ses clientes et est arrivé au Caire en suivant la superbe Ounénet qu'il a sauvé des griffes d'Arcadius, passe son temps au bar du Sheramon, entouré du bavardage incessant des pachas, à siroter cette excellente boisson picte qu'est le whisky en vivotant, assisté par son énergique secrétaire, Fazimel, grande lectrice de la rubrique "gods" du "Papyrus News". Mais sa vie va dramatiquement changer quand la déesse Isis va le charger - impossible de refuser quoi que ce soit à une déesse ! - de retrouver le manuscrit disparu de Thot. Il va donc mener son enquête, malgré les obstacles divers (particulièrement des passages à tabac) mis sur son chemin par Seth. Son enquête suivante sera de retrouver la chatte favorite de Sekhmet, la déesse féline, qui a disparu juste avant le grand concours pour élire le plus beau chat du monde, enjeu capital pour les dieux du monde entier ! Il y gagnera un assistant, Ouabou, autre favori de la déesse (et l'on comprendra pourquoi avec la même surprise que Lasser), chat bavard et impertinent qui ne refuse pas un verre de temps en temps... Ses succès, et les embrouilles pleines de bonne volonté de Ouabou, l'amèneront aussi à la cour de Pharaon, le tout puissant Ramsès XXVII, et de sa ravissante fille Hénout-Mi-Ré. Nous le suivons aussi dans l'une des enquêtes les plus "sensibles" de sa carrière, de nouveau à la demande d'Isis : retrouver "le quatorzième Morceau d'Osiris", disparu à nouveau ce qui cause l'insatisfaction (dans tous les sens du terme) de la déesse. Enfin, couronnement de sa carrière en plein essor, il va résoudre "la Querelle nubienne" : le fils du pharaon nubien ayant été accusé d'avoir voulu empoisonner Pharaon, les dieux nubiens ont fait disparaître le Nil à la frontière ! Certains dieux égyptiens étant plutôt va-t-en-guerre (dont Seth naturellement !) et personne ne voulant céder, question d'honneur, la guerre entre les deux royaumes est inévitable. Lasser mènera, à la demande de Khnoum, le dieu à tête de bélier, entre deux whiskys et deux passages à tabac, une enquête fort délicate afin de dénouer les fils du complot et fera une entrée remarquée et remarquable au Caire. Les auteurs nous laissent sur un "cliff hanger" d'un suspens insoutenable : Aglaé, la déesse grecque, fiancée d'Horus, vient de disparaître. Pas de repos ni pour Lasser ni pour le lecteur qui va devoir attendre mars prochain et "Mariage à l'Egyptienne" (toujours chez Critic) pour connaître la clé de l'énigme.Vous l'avez compris, le livre se lit d'une traite : pastiche fort réussi du "hard boiled", dans un monde tout à fait fascinant dans son délire, plein d'un humour digne de Goscinny et d'Audiard, il est le meilleur remède possible face à la morosité ambiante et au mauvais temps. Installez-vous vite dans un bon fauteuil club, un verre de whisky picte seize ans d'âge sur une table à côté de vous et plongez-vous dans "Lasser". Sentez-vous cette faible odeur de Kyphi qui embaume soudainement la pièce alors que lumière éclatante et chaleur sèche emplissent celle-ci ? La magie des dieux et des auteurs opère, vous êtes chez Jean-Philippe Lasser, Détective des Dieux !
Jean-Luc Rivera
