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 Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera - Décembre 2014
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Les coups de cœur de Jean-Luc Rivera - Décembre 2014

Un éclat de givre d'Estelle Faye
 
Un éclat de Givre d'Estelle FayeEstelle Faye, que nous connaissions déjà pour ses roman "La Dernière lame" et "Porcelaine" (pour lequel j'avais eu un coup de coeur en janvier 2013), se lance, avec "Un éclat de givre" (Les Moutons électriques), dans la SF post-apocalyptique. Et elle le fait avec grand talent, une écriture ciselée comme un bijou mise au service d'une tranche de vie d'un personnage, Chet, dans le Paris caniculaire de l'été 2267. Chet est un chanteur de jazz travesti dans les cabarets de ce Paris ravagé depuis la Fin du Monde, à moitié détruit par des catastrophes climatiques et écologiques plus la guerre civil, où survivent tant bien que mal de petites communautés à l'intérieur de l'enceinte du périphérique, l'extérieur formant les Terres Vides, plus ou moins ennemies. Pour les beaux yeux (et une récompense conséquente) d'un garçon attirant qui vient de la Bordure - vous voyez immédiatement où cela se situe, cette partie-là étant du côté du XIIIème - où se sont installés les Frelots - des sortes d'éco-guerriers -, Chet va accepter d'accompagner Galaad ( c'est le surnom qu'il a donné à son chevalier sans peur et peut-être sans reproche) dans l'Enfer, c'est-à-dire la zone de l'ancien Hôpital de la Santé, transformée (dans tous les sens du terme puisque ses occupants sont transformés physiquement "par des chirurgies esthétiques étranges") en une Cour des miracles de "médecins fanatiques, de chimistes [...] et de satanistes remontés des Catacombes" (p. 57), pour y trouver l'origine d'une nouvelle drogue très dangereuse qui permet de résister à la chaleur d'où son succès, un voyage qui l'entraînera ensuite dans l'Eden de La Défense car enfer et paradis sont complémentaires... Chet, qui pleure toujours la perte de son amour, Tess, une jeune fille qui est partie de Paris pour travailler et gagner de quoi monter une expédition en train vers la Sibérie ! En 245 pages d'une densité et d'une intensité sans égale, Estelle Faye va nous livrer une série de portraits magnifiques de personnages tous plus extraordinaires, effrayants ou attirants les uns que les autres - le pianiste de Chet, Damien, l'ami de Chet, Paul, le Sorbon qui connaît le passé et son histoire, l'extraordinaire Sybil, la gamine aux pouvoirs parapsychologiques immenses qui dirige les Enfants Psys, les gardiens de cette grande bibliothèque que l'on appelle Stonehenge (4 tours et une esplanade en bord de Seine...) ou encore Ariane, la maîtresse du "Mermaid", la boîte installée dans la piscine Molitor et qui contient de vraies sirènes - et une succession de paysages et de lieux tout aussi extraordinaires qu'effrayants - la boutique de costumes de Thaddeus à la République et les divers villages qui constituent ce Paris du futur et recomposent un Paris qui évoque celui du Moyen-Age (les gitans de l'Ile de la Cité par exemple) sont dépeints avec précision et font penser à ces tableaux de Brueghel l'Ancien où l'on voit les villageois tels qu'ils sont dans leurs activités, sans aucun fard -, le tout se déroulant comme un film avec des flashbacks. L'auteur, avec beaucoup de talent et d'imagination, nous livre un roman doux-amer à la fois d'une grande violence psychologique et physique et d'une poésie ineffable, mettant en scène un personnage paumé dans sa vie et dans sa tête, Chet, qui hésite sur tous les plans (amour, amitié, sexualité), dans un environnement de gens tout aussi paumés pour la plupart - de son propriétaire, pharmacien maniaque de la propreté, aux habitants de l'Enfer qui se fabriquent des corps physiques hallucinants tout en étant gavés de drogues et d'alcools - mais où les vieux ressorts de la personnalité humaine - trahison, pouvoir, cupidité, manipulation, amour, haine, vengeance et sexe - n'ont pas changé. Je ne peux que vous conseiller de faire comme moi, de vous laisser emporter par la magie du verbe de Chet et d'Estelle Faye.
 
American Fays d'Anne Fakhouri et de Xavier Dollo
 
American Fays d'Anne Fakhouri et de Xavier Dollo Je suis depuis quelques années un lecteur passionné, entre autres, d'"urban fantasy" car j'apprécie la liberté de création et d'imagination qu'elle donne aux auteurs. Nous en avons un parfait exemple avec le roman écrit à quatre mains par deux auteurs déjà appréciés individuellement pour leurs oeuvres, je veux parler d'Anne Fakhouri et de Xavier Dollo qui viennent d'écrire ensemble "American Fays" (Editions Critic). Ils nous emmènent dans un lieu inhabituel (dans nos genres) et mythique, le Chicago des années de la Prohibition, un Chicago d'où Al Capone a été banni mais où il garde d'une main de fer ses affaires et ses employés, un Chicago où vivent aussi au grand jour (ou la nuit, c'est selon...) nombre de créatures dites surnaturelles, bien intégrées dans la société et ce à tous ses échelons y compris ceux de la pègre. Et c'est là qu'interviennent les personnages de notre histoire, le gang des No Ears Four (Bulldog, brave géant un peu simple, Jack The Crap, tueur élégant et glacé, Bix, jeune gandin hâbleur) qui, sous la conduite de leur chef Old Odd, vieux gangster dévoué à ses hommes, à ses principes et à Jude, la gérante du speakeasy "Jude & the Dudes" dans lequel il a investi ses économies, élimine sans guère respecter les consignes de la Ligue de Protection fayrique tous les leprechauns et autres pixies qui empiètent sur le territoire de Capone, sans parler bien sûr des gangs irlandais ou siciliens... Une nouvelle mission de Capone, par l'intermédiaire de son fidèle "consigliere", Antonio Lombardo, retrouver qui est et qui commandite l'assassin de personnalités favorables à la Prohibition et anti-Capone, en faisant porter le chapeau  celui-ci, leur est confiée. A partir de là le gang va mener une enquête qui va le conduire sur des territoires insoupçonnés et révéler leurs vraies personnalités. Outre l'intérêt de l'action - qui tue, pourquoi, comment -, c'est dans cette psychologie et cette évolution des personnages principaux que réside la force - et la finesse - de ce roman. Nous découvrirons pourquoi Old Odd poursuit d'une haine farouche les créatures fayriques, victimes d'un racisme tenace de la part d'une bonne partie de la population, pourquoi Bix aime le jazz et ce que cela lui apporte, qui sont vraiment, et pourquoi le sont-ils devenus, Bulldog et Jack, en particulier grâce à quatre chapitres, un par personnage, qui constituent l'un des temps forts et l'une des plus belles parties du roman, des chapitres qui m'ont rappelé (mais sans doute est-ce un hommage voulu des auteurs) ce film magnifique de George Pal datant de 1964, "Seven Faces of Dr. Lao" (le titre français est "Le cirque du Dr. Lao") où les habitants d'un petit village voient se dérouler leur vie dans une autre époque, sans doute l'Atlantide. La musique, avec le jazz, est omniprésente dans le roman, le grand Satchmo y jouant le rôle de figure tutélaire, cette musique faite par et pour les noirs, ces autres victimes du racisme : on trouve d'ailleurs à la fin du volume une bien jolie playlist. Le lecteur n'oubliera pas non plus de sitôt d'autres personnages du roman, en particulier la figure de La Vieille-du-Tas-d'Ordures (cette fée qui vit dans et des déchets de notre société de consommation), celle de la nymphe Thyia, ou encore celle de la grande  Déesse, qui a fui la vieille Europe et ses pogroms fayriques avec son peuple pour retrouver les mêmes menaces et les mêmes préjudices dans cette Amérique de la liberté... Il ne manque même pas à l'intrigue l'industriel avide de pouvoir (avec ses préjudices, Arbogast est une sorte d'Henri Ford) et le savant fou, cet Alsacien haineux et vengeur de Baruch Stein, qui a maîtrisé des techniques magiques interdites et a utilisé la science pour les améliorer, une autre excellente idée de nos auteurs qui montrent comment et pourquoi les méprisés peuvent prendre leur revanche. Nos auteurs réussissent même le tour de force de transformer Capone en un personnage intelligent et sympathique ! Ajoutez à tout cela une bonne dose d'humour dans l'écriture (j'ai trouve particulièrement drôle la citation, p. 74, du chapitre du "Traité de Morale Fayrique" sur les accointances entre les Gnomes et la finance...) et cela vous donne un roman intelligent, original et amusant, bâti sur le modèle du roman noir dont il détourne les codes, une lecture plaisir comme on aimerait en avoir plus. Avec cette édition en "hard cover" ornée d'une belle illustration de Xavier Collette qui a bien saisi l'esprit du livre, voilà une belle réussite d'Anne Fakhouri et de Xavier Dollo en cette fin d'année !
 
Jean-Luc Rivera
 

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