Weird Science tome 2

Avec le tome 2 de
Weird Science les Editions Akileos continuent leur travail remarquable de publication de vieilles BD de SF déjà entamé avec le premier volume (dont je vous avais parlé en janvier 2013). Nous retrouvons cette bonne BD de SF traditionnelle, au dessin classique.
Weird science était un magazine de EC Comics, qui a eu une quinzaine de numéros entre 1950 et 1953 : ce volume présente, dans leur ordre chronologique de parution, les 4 histoires publiées par magazine dans les n° 9 à 15, soit 28 histoires de voyages spatiaux, temporels, d'extraterrestres, de savants plus ou moins fous, de militaires, sans oublier la guerre atomique, ayant souvent une chute ironique (comme celle de
Le Gob est le meilleur ami du Knogl p. 91), parfois sans doute un peu osée pour l'époque (j'aime bien l'ironie mordante de
Transformation achevée ! p. 50), un certain humour noir (le très drôle
Faites vos prières p. 140) et même l'horreur sociale absolue (
Le dernier homme p. 99). Nous trouvons aux commandes toujours le même binôme de scénaristes : Bill Gaines et Al Feldstein, une équipe resserrée donc par rapport aux premiers numéros. Quant au dessin, sont principalement aux crayons Wally Wood, Jack Kamen et Joe Orlando. Je ne peux que reprendre ce que je disais du tome 1 : un bien beau volume cartonné qui ravivera la nostalgie de cette époque chez les plus âgés d'entre nous et fera découvrir aux plus jeunes l'Age d'argent de la SF !
Barbarella de Jean-Claude Forest

Pour la plupart d'entre nous, Barbarella restera à jamais incarnée par la magnifique Jane Fonda dans le film éponyme de Roger Vadim, film culte si il en est depuis 1968. Mais avant le film, il ne faut pas oublier qu'il y avait la BD de Jean-Claude Forest, sortie en 1964, une révolution à l'époque, qui en séduisit beaucoup et en choqua encore plus. Trop jeune, je l'avais découverte au moment de la sortie du film, en lisant une réédition portant une photo tirée de celui-ci en couverture. Pour fêter le 50ème anniversaire de cette femme libérée, intelligente, courageuse et entreprenante, Les Humanoïdes associés ont eu la bonne idée de ressortir
Barbarella, suivi de
Les colères du mange-minutes, les deux premiers albums de notre aventurière, en un beau volume. Cela devait donc faire une bonne quarantaine d'années que je n'avais pas relu
Barbarella : que dire sinon que, lors de ses pérégrinations interplanétaires, elle a dû découvrir le secret de la jeunesse éternelle. Ni elle ni ses aventures n'ont pris une ride, elle a toujours autant sinon plus de charme que jamais. Quant au dessin de Jean-Claude Forest il est toujours aussi superbe ! Je ne peux que vous engager à explorer la planète Lythion, avec son célébrissime ange aveugle, avant de rejoindre la caravane du Delirium Circus dans son périple extra-solaire, afin de comprendre pourquoi nous sommes tous tombés sous le charme coquin de Barbarella.
Les nuits du Boudayin de George Alec Effinger

Je n'avais pas eu l'occasion de lire les romans de George Alec Effinger consacrés à son détective privé Marîd Audran lorsqu'ils étaient sortis en France il y a plus d'une vingtaine d'années. Je me suis donc rué sur l'intégrale que vient de sortir les Editions Mnémos sous le titre
Les nuits du Boudayin, l'intégrale des enquêtes de Marîd Audran (qui comprend trois romans,
Gravité à la manque,
Privé de désertet
Le Talion du Cheikh plus huit nouvelles) et je ne l'ai pas regretté. Le Boudayin est le quartier mal famé, celui des plaisirs licites et illicites, de la Ville, cette cité sans nom défini, quelque part au coeur du Moyen-Orient. Nous sommes dans un futur relativement proche - vers 2100 -, où les états-nations ont éclaté et se sont parcellisés, où les révolutions de tous bords sont permanentes, y compris dans tous ces pays où un islam plus ou moins tolérant est la religion majoritaire. Et c'est dans le Boudayin que vivote Marîd Audran, petit détective privé camé jusqu'à la moelle avec tous les produits qu'il peut trouver, et il est possible d'en trouver beaucoup dans le très permissif Boudayin. Marïd, immigré venant de l'ex-Algérie, métis de Français par son père et d'Arabe (ou de Berbère) par sa mère, se satisfait de sa vie, de ses nuits dans les bars, de ses journées à jouer aux cartes avec ses copains aussi minables que lui. Mais lorsque l'un des ses clients, M. Bogatyrev, petit employé du royaume de Biélorussie et d'Ukraine, se fait assassiner sous ses yeux, juste après lui avoir demandé de retrouver son fils, par un type câblé avec un programme de personnalité mimétique "James Bond", les choses changent : l'une des ses amies, Nikki, va disparaître après lui avoir demandé de servir d'intermédiaire pour racheter sa liberté à son souteneur, d'autres meurtres vont être commis et Marîd est choisi par le parrain du Boudayin, Friedlander bey dit Papa, deux cents ans bien sonnés, pour mener l'enquête avec tous les moyens nécessaires, y compris le câblage du cerveau de Marîd, opération courante mais lui bénéficiera du dernier cri de la technique, alors qu'il avait toujours refusé que l'on trafique son cerveau. Mais on ne dit jamais non à Papa ! Marîd va alors plonger dans un univers de faux-semblants, entre les sexes mélangés (on ne vit pas forcément avec le sexe de sa naissance, il est facile d'en changer !), les opérations d'améliorations physiques ou mentales dont le fameux câblage qui permet de s'enficher des programmes de toutes sortes et les secrets politiques. De passage à tabac en gueule de bois, son enquête va progresser au milieu d'une faune très bigarrée, de Hassan le Chiite, trafiquant, à l'expatrié allemand Reinhardt, trafiquant lui aussi, en passant par les bars de nuit le long de la Rue, l'artère principale du Boudayin, les policiers plus ou moins corrompus et les croyants plus ou moins dévots et pratiquants.
Après sa réussite dans l'affaire sanglante de Gravité à la manque, Privé de désert nous fait suivre Marîd Audran dans son ascension sociale, puisqu'il devient le bras droit de Papa malgré ses réticences - mais on ne dit jamais non à Papa - et se retrouve dans la police de la ville afin de faire la liaison entre Papa, ce qui n'améliore pas ses relations avec ses anciens amis qui lui en veulent de son succès. Il va faire équipe avec un officier intègre - si il y en a, ils sont rarissimes, mais il y en a ! - sur une affaire particulièrement répugnante d'enlèvements d'enfants. Et, bien entendu, tout va très mal tourner pour Marîd et son collègue... Nous allons faire la connaissance, dans ce roman, de l'alter ego de Papa, l'autre parrain de la ville, Abou Adil, son rival de toujours (même âge, mêmes affaires) et découvrir l'ampleur insoupçonnée de leurs réseaux...
Enfin, Le Talion du Cheikh nous fait partager la haine d'Abou Adil et le complot qu'il va monter contre Papa et Marîd, leur chute et la manière dont ils vont appliquer le talion comme il est écrit dans le Coran.
Les nouvelles et les quelques pages du quatrième livre qu'avait commencé d'écrire Effinger complètent utilement la description de cet univers cyberpunk particulièrement riche et fouillé mis en scène par l'auteur. Polar noir de SF, l'atmosphère en est absolument remarquable : nous baignons dans le milieu arabe le plus traditionnel, avec ses discussions interminables pour en arriver à aborder l'essentiel de manière détournée, tout en finesse, des musulmans qui ont su intégrer avec plus ou moins de facilité les technologies les plus avancées - les remarques au cours des romans sur les changements de sexe, les manipulations physiques et mentales, sonnent très juste - et qui font cohabiter non sans mal ni tensions foi rigoriste et société moderne dans un équilibre précaire, tout cela est, près de vingt-cinq ans après qu'Effinger ait écrit, d'une actualité et d'une justesse étonnantes. Les 778 pages de ce beau livre cartonné sont hautement addictives, comme les drogues que prend Marîd, mais je ne peux que vous conseiller d'en faire l'essai afin de vous plonger dans les mille et une nuits perverses et dangereuses du Boudayin.
Les Brillants de Marcus Sakey

Pour fêter le 70ème anniversaire de la mythique Série noire, les Editions Gallimard viennent de publier, en un format plus grand que l'habituel, un roman de Marcus Sakey,
Les Brillants, qui est un thriller uchronique ! En effet, à partir de 1980, 1% des enfants naissent avec des dons divers plus ou moins puissants - aucune explication ne nous est donnée quant à la raison de ces mutations soudaines dans ce premier volume -, des surdoués, des anormaux, qui vont petit à petit effrayer les humains normaux au point qu'au niveau du gouvernement fédéral un Département Analyse et Réaction (DAR) a été créé, avec une division "Services Equitables" qui a toute licence pour éliminer physiquement tout citoyen américain Brillant qui enfreindrait les lois. Trente-trois ans plus tard, c'est à ce service qu'appartient Nick Cooper, Brillant de niveau 1 (le plus élevé), dont le don est de lire et d'interpréter instantanément les informations corporelles ce qui le transforme en un combattant et un détecteur de mensonges hors pair, citoyen dévoué à son gouvernement et à la défense de la démocratie, oeuvrant pour offrir un monde meilleur à ses deux enfants. Il est lancé à la poursuite de John Smith, un autre Brillant de niveau 1 qui a massacré de sang froid soixante-treize personnes dont un sénateur, des femmes et des enfants, un terroriste prétendant défendre les droits des Brillants. Et, au cours de cette traque, il va apprendre que sa petite fille de quatre ans est sans doute aucun une Brillante de niveau 1, qu'elle sera donc testée et enlevée à sa famille pour être élevée dans une "académie", école spéciale pour surdoués, un destin qu'il n'apprécie guère pour elle. Cooper va donc faire ce qu'il faut, en bon agent fédéral qu'il est, pour accomplir son devoir et protéger son enfant. Je ne vous en dirais pas plus afin de ne pas vous gâcher le suspense et les surprises que vous réserve ce très bon thriller. Sachez simplement que Cooper va devoir découvrir qui manipule qui, dans quel but. Il va aussi s'apercevoir que bien - lui - et mal - John Smith - ne sont pas aussi bien définis que cela, que toutes les apparences sont trompeuses, qu'il y a des fanatiques partout, et il va devoir répondre à ces questions particulièrement d'actualité aujourd'hui - il suffit de remplacer le mot Brillant par un autre que vous devinerez facilement - qui sont : comment défend-on la démocratie ? Doit-on utiliser les méthodes de ses adversaires pour les défaire, même si elles vont à l'encontre de ses propres principes ? La fin justifie-t-elle les moyens, y compris l'embrigadement forcé et la violation des droits des citoyens ? Et qui est habilité à définir et l'une et les autres ? Quant à la vérité, est-elle toujours bonne à dire, même si l'on sait que cela risque d'entraîner le pire dans la société ? Toutes ces questions, Cooper va les affronter, y répondre et faire ses choix.
Marcus Sakey maîtrise parfaitement bien tous les codes du thriller, y intègre les éléments SF avec habileté - les différents dons des Brillants permettent à l'intrigue de prendre son envol - ; il fait preuve de beaucoup de psychologie dans le développement de ses personnages, en particulier quant aux conséquences que peuvent avoir l'apparition de surdoués qui bouleversent la société - progrès technologiques et médicaux extraordinaires - tout en générant la peur, celle de la différence et de l'infériorité - pourtant j'aime bien John Epstein, le Brillant qui a gagné 300 milliards de dollars en 2011 à la Bourse, faisant exploser le système de l'intérieur. Beaucoup des questions de société qui interpellent en particulier les Américains depuis les années Bush et le "Patriot Act", mais qui nous interpellent aussi dans le contexte actuel, sont posées avec beaucoup de finesse, renforçant l'intérêt de l'intrigue du roman. Voilà un livre que j'ai dévoré en une nuit blanche, pris par l'action je n'ai pu le reposer, autant vous dire que je vous recommande de vous y plonger.
Oncle Abner, le maître du mystère de Melville Davisson Post

Il m'arrive fréquemment, en tant que lecteur curieux, de m'aventurer hors de mes domaines de prédilection habituels et de découvrir ainsi des auteurs ayant créé des personnages fascinants : c'est le cas avec
Oncle Abner, le maître du mystère de Melville Davisson Post (Rivière Blanche, collection Baskerville). Grâce au travail remarquable de Jean-Daniel Brèque pour monter cette intégrale, j'ai fait la connaissance d'un détective à la Holmes, observateur hors pair et esprit affûté, ce qui lui permet de tirer des déductions infaillibles quant aux coupables des crimes commis à partir d'indices et de détails que nul autre ne remarque. Jusque là rien d'exceptionnel, me direz-vous et vous auriez raison, si l'oncle Abner n'était pas, de par sa personnalité et son environnement, un détective hors du commun : en effet Abner est un éleveur de bétail dans l'un de ces comtés qui formeront plus tard la Virginie occidentale mais qui, avant la Guerre de Sécession, font toujours partie du grand état de Virginie, région montagneuse des Appalaches, bien loin de la capitale dont elle est séparée par les Alleghenies, et donc faisant régner l'ordre et la justice elle-même. Abner est l'un des piliers de cette communauté à l'esprit encore pionnier, homme austère, intègre et respecté, à la foi chevillée au corps, citant les Ecritures et s'appuyant sur elles pour résoudre certaines énigmes criminelles car l'on fait souvent appel à lui face aux nombreux meurtres ou délits qui ont lieu. L'auteur, Post, étant lui-même un gentleman de Virginie occidentale (il y est né en 1869 et y a vécu la majeure partie de sa vie), rend fort bien cette atmosphère du Sud
ante bellum avec ses rudes éleveurs (on se souvient encore dans les demeures du comté de la Guerre d'Indépendance et des luttes farouches contre les tribus indiennes), ses esclaves noirs, son petit peuple blanc, ses propriétaires terriens âpres au gain qu'il soit en argent ou en terres, les tensions entre esclavagistes et abolitionnistes, toute une vie bien différente et oubliée qui nous est restituée. C'est dans ce milieu qu'évolue oncle Abner (les histoires nous sont racontées par son neveu Martin qui a assisté à une partie d'entre elles), qui fait triompher, en homme pieux qu'il est, la justice et non pas toujours la loi, celle de l'Ancien Testament, ce qui rajoute un intérêt supplémentaire au personnage et à ses enquêtes (cf "
Un acte de Dieu" par exemple). Nous retrouvons aussi, au cours des différentes nouvelles, des personnages récurrents comme le fat et courageux juge de paix Randolph, l'inquiétant et compétent docteur Storm (qui parle français car son père fut médecin dans la Grande Armée) ou le vieux prédicateur des collines Adam Bird (qui a des visions et des rêves comme les prophètes, entre autres dans "
Le prophète des collines"). Et si les crimes sont le plus souvent crapuleux, les amateurs que nous sommes de fantastique sont quand même gâtés : les protestants comme Abner croient en Dieu donc ils croient aussi au Diable et à ses oeuvres accomplies par des instruments humains, sans parler de toutes les superstitions des blancs comme des noirs. Manifestement Post connaissait bien tout le folklore de son état et cela nous donne des nouvelles à la tonalité plus fantastique que la moyenne : je citerai par exemple les sorcières qui interdisent la surexploitation de la terre ("
La loi occulte"), l'utilisation d'une dagyde pour tuer et la malédiction divine ("
Le mystère Doomdorf"), les vieilles superstitions écossaises des Highlands (avec un vieux domestique clairvoyant - car il est né coiffé - dont les visions s'avèrent correctes, cf "
Le sentier caché") ou celles attachées aux tumulus créés par une civilisation pré-indienne - les fameux "mounds" - et au respect dû aux sépultures, sans parler des intersignes ("
Le mystère de Hillhouse"). Ces 22 histoires, fort bien écrites et fort bien traduites par Jean-Daniel Brèque, se lisent avec beaucoup de plaisir. Je vous invite donc à faire comme moi (ne vous laissez pas intimider par une couverture que je trouve peu attirante), à monter sur votre cheval et à accompagner l'oncle Abner dans les rudes territoires de la Virginie occidentale pour y faire triompher la volonté de Dieu et l'ordre de la société civilisée.
Cupidon Mortel de Thomas Andrew

Vous savez que depuis quelque temps la bit-lit disparaît et est plus ou moins remplacée par un autre genre dont je suis tout aussi amateur, l'
urban fantasy, à l'origine anglo-saxon mais qui commence à être investi par des auteurs français tout aussi talentueux que leurs confrères et consoeurs d'Outre-Manche et d'Outre-Atlantique. C'est manifestement le cas avec Thomas Andrew qui a pris un pseudonyme cachant ses origines nationales et qui nous donne un premier roman,
Cupidon Mortel, annoncé comme
Drek Carter - 1 (J'Ai lu), fort agréable à lire. Nous sommes à New York où Drek Carter menait une vie qui lui convenait tout à fait, technicien dans un labo d'expertise légiste jusqu'au jour où, se rendant à un rendez-vous mystérieux le jour de la Saint-Valentin, rendez-vous qu'il pense être une surprise de sa petite amie, il est assassiné et se retrouve fantôme, errant dans la ville. Six mois plus tard, il va découvrir que le monde n'est pas celui qu'il croyait être et qu'être un esprit ne vous rend pas si invisible que cela : nombre de créatures surnaturelles capables de le voir vivent à NYC, vampires, loups-garous et autres sorciers dont son meilleur ami, l'inspecteur Tony Razzoli avec qui il a fait ses études pour entrer dans la police avant d'être obligé d'abandonner suite à une très grave blessure dans l'exercice de ses fonctions. Avec Tony, qui a hérité du don et de la charge de "Passeur d'Ombres" à la mort de son père (mais sans que celui-ci ne lui ait jamais dit comment cela fonctionnait !), il va mener l'enquête sur des meurtres inexplicables et absolument horribles qui semblent liés entre eux, ce qui n'est guère facile quand on est fantôme et donc au bas de l'échelle sociale surnaturelle... Ce sera pour Drek l'opportunité de découvrir, outre le mobile des meurtres en question, la raison du sien et sa nature véritable. Thomas Andrew nous livre là une intrigue solidement bâtie, racontée à la première personne par Drek avec un ton décalé et plein d'humour (les difficultés de la cohabitation entre un esprit qui peut entrer n'importe où n'importe quand et un policier du style "je ne rentre jamais seul à la maison" sont très bien narrées et hilarantes), avec une galerie de personnages bien campés, allant du la patronne de bar SM vampire nymphomane au métis loup-garou aussi idiot que baraqué ou à la louve galériste d'art, sans parler des humains. J'ai une sympathie particulière pour Aengus, le mage libraire à la mémoire eidétique, grâce aux bavardages éthyliques duquel avec une jeune journaliste française nous avons eu la série
Rebecca Kean (un crossover trop drôle quand on connaît Cassandra O'Donnell) ! Drek est très sympathique et son meilleur ami, Tony, tout autant (et l'auteur, en un clin d'oeil hommage, lui fait même prononcer une phrase inspirée d'une phrase culte d'un film tout autant culte que vous reconnaîtrez tous p. 168), leur évolution et celle de leurs rapports d'amitiés, comme d'ailleurs la manière dont ils interagissent avec les autres créatures, sont bien développées et participent de l'intrigue, avec une chute tout à fait inattendue. Un excellent roman d
'urban fantasy donc, drôle et enlevé, qui se termine sur un suspense insoutenable... Vivement la suite M. Andrew !
Le Cercle de Farthing de Jo Walton

Jo Walton, que nous avions découvert en France grâce à Gilles Dumay qui avait publié l'année dernière le beau
Morwenna (Denoël, Lunes d'encre), revient maintenant avec ce qui fut son premier roman de SF,
Le Cercle de Farthing (toujours chez Lunes d'encre). Le farthing est la plus petite pièce de monnaie anglaise (un quart de penny !), c'est aussi le nom du village où se trouve le manoir dans lequel Lord et Lady Eversley reçoivent famille et amis proches, en ce week end de 1949, peu avant un vote fondamental au Parlement, ainsi que le surnom du petit groupe d'artisans et partisans de la paix séparée qui fut signée "dans l'honneur" en 1941 entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne, suite à la mission de Rudolf Hess. Or Sir James Thirkie, artisan de cette paix et premier ministrable, est retrouvé mort dans sa chambre, assassiné, un poignard clouant une étoile de David sur sa poitrine. L'inspecteur Peter Anthony Carmichael va devoir mener l'enquête dans un monde auquel il n'appartient pas et qui le lui fait bien sentir : certes il y a un coupable tout désigné, David Kahn, banquier et Juif, mari de la fille des Eversley, un scandale permanent chez ces aristocrates bien pensants et plutôt antisémites... Mais il y a d'autres pistes que l'inspecteur va aussi suivre, pistes qui l'emmèneront au coeur du monde impitoyable de la politique au plus haut niveau gouvernemental. Par les yeux de Lucy Kahn, née Eversley, qui aime son mari, le sait innocent et veut le protéger à tout prix, et ceux de Carmichael, nous suivrons, à travers les chapitres qui se suivent en alternance, toute l'enquête et les remous qu'elle suscite aussi bien dans le manoir que dans la société britannique, jusqu'à sa conclusion d'un cynisme inéluctable. Il s'agit là d'un beau roman policier du genre "cozy mystery", nous nous prenons très vite au jeu de l'enquête et de l'élucidation du meurtre, doublé d'une belle étude de moeurs, avec cette fascination que nous éprouvons toujours pour les turpitudes de tous ordres de l'aristocratie anglaise. Le parallèle entre Juifs et homosexuels, deux catégories mises au ban de cette société et victimes de persécutions, est très bien développé et utilisé par Jo Walton, de même que la psychologie des différents personnages : amour, haine, courage, lâcheté, ambition pour ne pas dire arrivisme, préjugés, antisémitisme primaire, compromissions diverses pour survivre dans un environnement dur et souvent hostile, l'auteur joue sur tout le registre avec
maestria afin de nous donner une uchronie dont tous les détails sonnent juste - que ce soit la description de ce qui se déroule sur le continent avec un Reich toujours embourbé en Russie, la vie de tous les jours en Angleterre ou les circuits d'évasion des Juifs européens - et qui est aussi un beau roman de moeurs (j'ai ainsi découvert la différence entre Athéniens et Macédoniens...), avec des personnages qui, à part Lucy, son mari David et l'inspecteur Carmichael, montrent plutôt l'aspect le plus déplaisant et/ou le plus hypocrite de la population britannique, avec une mention spéciale justement pour les membres du Cercle de Farthing. Le roman est fort bien écrit, bien traduit par Luc Carissimo en un texte fluide, avec cet humour sous-jacent souvent un peu sec que l'on qualifie de "british". Une uchronie passionnante à lire, que j'ai dévoré en une soirée !
Retour à Zéro de Thierry Smolderen et Laurent Bourlaud

Dans le cadre de l'excellente série d'adaptations en BD des romans de Stefan Wul chez Ankama dont je vous ai parlé plusieurs fois (dernier coup de coeur en octobre 2014), vient de sortir
Retour à Zéro, sur un scénario de Thierry Smolderen et un dessin de Laurent Bourlaud. Il s'agit sans doute là de l'un des romans les plus méconnus de Wul, peut-être parce qu'il est le premier à avoir été publié au Fleuve Noir Anticipation en 1956. Thierry Smolderen suit fidèlement la trame du roman : Jâ Benal est envoyé, sous un faux prétexte, sur la Lune, qui sert depuis des siècles de bagne sans retour à la Terre, afin de découvrir ce qui s'y trame parmi les survivants qui ont développé leur propre civilisation. Il découvrira des hommes à la science avancée mais à la société rétrograde (les femmes sont des esclaves sans éducation) dont le but unique, sous la direction fanatique de l'Ancêtre (le plus vieux déporté survivant), est de se venger de la Terre. Jâ essaiera de prévenir celle-ci, au milieu du double jeu qu'il doit jouer et alors que les Sélénites jouent aussi double jeu car ils savent qu'en fait il est un espion terrien. J'ai retrouvé avec émotion les horribles gôrs qui m'avaient tant marqué quand j'avais lu le roman tout gosse, ces créatures qui dévorent la plupart des déportés à leur alunissage. On notera aussi que Wul était un précurseur du "Voyage fantastique", un épisode de miniaturisation dans le corps humain qu'Asimov devait ignorer. Quant au dessin de Laurent Bourlaud, je dois dire que ma première impression, en ouvrant l'album, ne fut guère enthousiaste en tant que vieil amateur de la ligne claire. Et au bout de deux pages, je me suis laissé emporter par la magie de son dessin, la qualité de la recherche dans les décors - vous admirerez comme moi la beauté des villes lunaires ou la complexité des scaphandres et des costumes - et celle des couleurs qui donnent un aspect à la fois désuet et ancien à la BD, nostalgie des années 50, au point qu'il paraît difficile, en refermant l'album, d'imaginer un autre dessin pour celui-ci. Le dossier en fin de volume, écrit par les deux complices, sur la manière dont ils ont adapté le roman et leurs sources d'inspiration graphiques et cinématographiques est éclairant en la matière et m'a laissé admiratif. Un bien bel album qui vous surprendra !