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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juillet 2015
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Juillet 2015

Les super-zéros de Jon Morris
 
Nous connaissons tous les grands super-héros, de Superman (le plus grand de tous à mon avis !) à Spiderman, de Batman aux Quatre Fantastiques. Mais qu'en est-il de ces myriades de super-héros qui peuplèrent les pages des "comics" depuis les années 30 jusqu'à aujourd'hui et qui jamais n'atteignirent la gloire ? C'est à cette question que répond Jon Morris dans Les super-zéros. Ratés, parias, bannis et autres oubliés de l'histoire des comics (Huginn & Muninn), avec un humour absolument nécessaire face à des personnages dont on se demande comment des scénaristes et des dessinateurs (dont les plus grands noms comme Otto Binder, Steve Ditko, Will Murray, Roy Thomas ou Jack Kirby) ont pu se dire qu'ils tenaient là des gagnants. Divisé en trois parties - L'Age d'or, L'Age d'argent et L'Age moderne -, Jon Morris fait revivre une galerie de super-héros absolument hallucinante dans sa diversité et sa nullité : de Amazing-Man qui, en 1939, combat des gorilles verts nazis à Morlock 2001, le super homme-plante qui commence sa vie sous la forme d'une aubergine en 1975, en passant par The Eye (oui, un oeil géant qui lutte contre le crime !) ouFatman, the human flying saucer (un petit gros qui, comme son nom l'indique, se transforme en soucoupe volante lorsqu'il le souhaite...). J'avoue quand même une certaine faiblesse pour la Legion of super-pets car j'aimais bien Krypto, le super-chien de Superman, alors un super-chat, un super-cheval ou un super-singe, tous avec leurs jolies petites capes rouges (mais sans slip sauf le singe, pudeur oblige...), cela comble encore mon "enfant intérieur". Il y en a d'encore plus ahurissants comme AAU Shuperstar, le super-héros aux super-baskets, publicité pour les chaussures de sport AAU en 1977. Et que dire de Squirrel Girl, la jeune fille qui se transforme en écureuil géant ? Chacun a droit à une notice pleine d'humour et de commentaires souvent fort drôles - très bien traduits par Jean-Marc Lainé, grand connaisseur lui-même, qui a su en rendre tout le sel -, des présentations qui laissent rêveur devant le courage de l'auteur : avoir lu, ou ne serait-ce que parcouru, ces milliers de comics représente une tache colossale et parfois à la limite de l'abnégation. Abondamment illustré, ce qui permet de voir tous ces super-zéros, voilà un livre à lire absolument car il présente un pan immense et ignoré de la BD américaine. Et je reconnais - un côté masochiste peut-être - que cela m'a donné envie de lire les aventures de Madam Fatal (le seul super-héros travesti, 1940 quand même), de Stardust the super-wizard (un dessin original et beau), de Slapstick (le super-clown) ou de Thunderbunny (un super-lapin). A quand une anthologie de ces super-zéros ?
 
 
L'instinct du Troll de Jean-Claude Dunyach
 
Jean-Claude Dunyach est bien connu de tous les amateurs de bonne SF depuis longtemps pour ses cycles de nouvelles, sa bonne humeur inaltérable et ses jeux de mots "pourris" dans les conventions et festivals. Il vient de céder aux sirènes de la fantasy en passant avec armes, bagages et talent "à l'ennemi" : "L'Instinct du Troll" (L'Atalante) est un pur roman de fantasy - rien à dire là-dessus - mais tous les codes et les poncifs du genre sont impitoyablement passés à la moulinette dunyachienne et le résultat est un chef d'oeuvre d'humour et de drôlerie. Le sympathique troll héros de la saga est un brave gars, contremaître dans une grande entreprise minière, où il doit d'une part tenir ses équipes de nains, tous des mineurs enragés qui font éclater tous les plannings de creusement, et d'autre part traiter avec son chef, dans les bureaux, un homme qui ne connaît que le respect des règlements et des procédures, un exercice d'équilibre difficile afin d'assurer la bonne marche de sa mine. Et sa première quête, "Respectons les procédures", n'est pas des plus simples : il doit retourner jusqu'aux marais de la Mort sinueuse récupérer tous les justificatifs et autres reçus des frais de sa dernière mission (ramener le Sceptre des Enfers, tombé dans les mains d'un nécromant), faute de quoi il ne sera pas remboursé... Et, comble de l'infortune, il se voit affligé, par l'effet de la plus redoutable des malédictions que peut prononcer un patron, de la compagnie obligatoire d'une des créatures les plus difficiles et incapables qui soit : un stagiaire, humain de surcroît, et neveu de son chef, Cédric ! A partir de là, près de 190 pages de bonheur, où l'on éclate de rire à chaque instant, quatre histoires qui se suivent et dressent un portrait hilarant et au vitriol du fonctionnement des grandes entreprises actuelles - l'auteur étant lui-même cadre dans l'un des fleurons de la technologie française, tout est donc du vécu - et de notre société au travers du prisme de la fantasy. Des embouteillages de trolls qui partent en vacances au camping avec leurs ponts sur des remorques jusqu'aux Archives où l'on garde tout (y compris le carnet où un certain Leonardo dessinait des petits garçons...) en passant par la recherche continuelle des Ressources Humaines de travailleurs mieux adaptés en se livrant à des expériences d'ingéniérie génétique sur des nains (ce qui a donné de petites créatures bleues au langage un peu difficile à comprendre au début), sans compter la pensée politiquement correcte (la page 57 est un bijou), Dunyach n'épargne et ne respecte rien. Et je ne vous parle pas, dans "L'Instinct du Troll", la troisième nouvelle qui a donné son titre au recueil, du détournement inavouable de l'un des épisodes les plus célèbres de la geste arthurienne auquel il se livre afin que notre troll au coeur tendre (contrairement à sa peau) puisse aider une belle histoire d'amour humaine à se réaliser. Cette ode au bon sens commun incarné par notre troll et à ces cadres intermédiaires qui forment l'épine dorsale des entreprises et les font fonctionner devrait être prescrite par les médecins et remboursée par la sécurité sociale car bien plus efficace que n'importe quel anxyolitique. J'ai ri d'un bout à l'autre du livre et il a fallu que je le relise car chaque phrase, chaque remarque, chaque expression est importante : toute la verve et la satire de Jean-Claude Dunyach se retrouvent dans ces phrases ciselées avec soin, aucun mot n'est anodin. A emporter impérativement avec soi en toute circonstance afin d'oublier un environnement hostile (RER bondé, plage remplie d'enfants bruyants, bistrot plein de touristes volubiles). En attendant un second volume en préparation, merci M. Dunyach pour ces bons moments !
 
Jean-Luc Rivera

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