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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - janvier 2016
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - janvier 2016

Les Epées de Glace L'intégrale d'Olivier Gay (Bragelonne)
 
Les Editions Bragelonne viennent d'avoir l'excellente idée de publier sous le titre "Les Epées de Glace L'Intégrale" un très beau dyptique de fantasy d'Olivier Gay qui avait été plus que mal distribué par son précédent éditeur et donc injustement peu lu. En avril 2014 j'avais écrit un coup de coeur auquel je ne vois, après avoir relu ce volume, aucune raison de changer une ligne. J'écrivais donc : "En 2012 j'avais découvert Olivier Gay avec son premier roman de fantasy "Le Boucher" que j'avais trouvé très intéressant : une belle histoire de vengeance - sur deux trames différentes et se rencontrant -, pleine de violence et de combats, basée sur des personnages à la psychologie complexe. Avec "La Servante", Olivier Gay poursuit le développement de ses personnages et nous conte l'aboutissement de leur vengeance. Si vous êtes amateurs de fantasy avec dragons, elfes et magiciens, inutile de poursuivre la lecture de cette chronique, ces romans ne sont pas pour vous. En revanche, si vous êtes amateurs de littérature superbement écrite, dans un style très réaliste - du sang, des mutilations, de la sueur, des larmes, de la gangrène, des morts pas forcément très belles ni très héroïques, la faim, le froid etc... -, où ce sont les protagonistes du roman qui en font la force, alors vous devez lire la prose d'Olivier Gay. Vous vous attacherez à la personnalité compliquée et froide de Rekk le Boucher, l'homme qui veut détruire tout ce pourquoi il a combattu sa vie entière - l'Empire - pour venger la mort de sa fille commanditée par l'Empereur, et à celle de Shani, la Servante, qui décide d'échapper à son destin de victime programmée dès sa naissance (femme du peuple, que peut-elle attendre de la vie à part misère, travail très dur et violence sexuelle...) pour s'affirmer en tant que personne autonome et capable d'égaler les hommes, y compris à l'épée. Et les autres personnages, qu'ils soient issus de la plus haute noblesse comme le pleutre et vicieux jeune Empereur Theorocle ou sa mère, l'intrigante Impératrice douairière Arika, le duc Gundron, grand bretteur et comploteur, ou le duc Mandonius, piètre combattant mais comploteur émérite, ou qu'ils soient issus du peuple comme Laath, petit voleur et gigolo pris dans une intrigue qui le dépasse mais dont il tire profit autant qu'il le peut, Mahlin, bon soldat et amoureux transi, ou Dareen, cette femme contrebandière hors du commun par son intelligence et son sens de l'organisation, forment un ensemble aux interactions aussi violentes, sanglantes et complexes que logiques dans le cadre de leurs personnalités. De la capitale, Musheim, aux marches glacées de l'empire, à Froideval qui porte bien son nom et interdit les incursions des barbares, nous suivrons le Boucher et Shani dans leur fuite puis dans leur marche de retour, nous les suivrons aussi dans l'évolution de leur relation de maître réticent à élève enthousiaste et obstinée, jusqu'à l'accomplissement final de leur vengeance. Olivier Gay nous donne là de la grande fantasy pour adultes : intrigue parfaitement maîtrisée - ah, le rebondissement final ! -, sans égard aucun pour le lecteur (il massacre sans pitié ses personnages...) mais avec une écriture puissante, il nous entraîne dans une épopée sanglante et tragique, grandiose et pathétique, et surtout très humaine" (j'ai d'ailleurs eu la surprise flatteuse, en recevant le livre, de trouver ces dernières lignes en quatrième de la couverture). Je concluais en disant : "Il est souhaitable de lire les deux romans dans leur ordre de parution afin de pouvoir les apprécier pleinement" ce que cette édition, ornée d'une belle illustration de Magali Villeneuve, permet enfin de faire.
 
L'été Diabolik de Thierry Smolderen & Alexandre Clérisse (Dargaud)
 
Après avoir rendu hommage à la grande SF des années 1950 avec le superbe  "Souvenirs de l'Empire de l'atome" (Dargaud, mon coup de coeur de mai 2013, GPI BD/Comics 2014), Thierry Smolderen au scénario et Alexandre Clérisse au dessin rendent maintenant hommage, avec "L'été Diabolik" (Dargaud), à la fois au genre roi de la littérature populaire des années 1960, à savoir le roman d'espionnage, et à une BD italienne de petit format, dont les vieux lecteurs comme moi se souviennent avec émotion, "Diabolik", sortie en France entre 1966 et 1969. Diabolik était un génie du mal à la Fantômas, toujours vêtu d'une combinaison moulante noire ne laissant voir que ses yeux, qui avait l'extrême bon goût et la classe de se déplacer uniquement dans une Jaguar Type E noire.
 
Au début de l'album nous découvrons ce qui est arrivé au jeune Antoine Lafarge, quinze ans, lors de l'été 1967, passé sur la Côte d'Azur avec son ingénieur de père, été été où il se trouva un copain en la personne de son adversaire au tennis,le sympathique et fantasque Erik, et où il perdit et son pucelage avec une jeune Américaine et son père, disparu un soir. Nous avons alors plongé dans les arcanes des services secrets français que fréquentait son père et restons tout à fait perplexes face à cet homme tout de noir vêtu, qui, dans sa Jaguar Type E noire, semble rôder autour des Lafarge. Toute l'énigme se résoudra, à l'ébahissement d'Antoine, une vingtaine d'années plus tard.
 
Comme toujours avec Thierry Smolderen, le scénario est plein de clins d'oeil et de références, un ravissement pour les nostalgiques comme moi, mais qui n'interdisent pas la lecture plaisir à ceux qui n'ont pas connu cette époque et cette BD (je dirais même que c'est une excellente manière de les découvrir). Quant au dessin d'Alexandre Clérisse, il rend fort bien par son tracé et ses couleurs vives tout l'esprit de ces années psychédéliques où tout était possible. Un bien joli album à lire de suite car il tient toutes ses promesses !
 
Grand Central Arena de Ryk E. Spoor (Atalante)
 
En tant que lecteurs de SF, une partie d'entre nous évoque souvent avec nostalgie - et le regretté Jacques Sadoul y est pour beaucoup avec ses anthologies soignées - l'époque des pulps (ces magazines des années 1920 à 1940) où les auteurs écrivaient une SF "naïve", pleine de grandes aventures spatiales et de bons(ou mauvais) sentiments, où tout était possible. EE Doc Smith fut l'un des plus grands de ces écrivains, acquérant une notoriété énorme avec sa grandiose série des "Skylarks" (dont seul le premier fut traduit en français au Rayon fantastique en 1954 sous le titre "La curée des astres" mais cela devrait changer cette année grâce à Rivière Blanche) dont les quatre volumes parurent entre 1928 et 1965. Ryk E. Spoor, grand admirateur de Smith à qui ce roman est dédié, a voulu nous faire retrouver, avec "Grand Central Arena" (L'Atalante), cet émerveillement (le fameux "sense of wonder") que nous n'avons plus vraiment en lisant la SF  d'aujourd'hui, souvent formatée par les ateliers d'écriture. Et il remplit très bien son pari avec les aventures de l'équipage du "Graal", le premier vaisseau supra-luminique terrien qui, lors de son vol d'essai, se retrouve dans une salle gigantesque (une sphère de 20 000 km de diamètre) de l'Arène, ce lieu colossal (est-il même dans notre univers ?) où toutes les races extraterrestres qui ont découvert le secret du vol plus vite que la lumière arrivent. Cette Arène permet à la fois aux différentes espèce de commercer pacifiquement et de s'affronter culturellement, religieusement et militairement. Avec ses règles à découvrir par empirisme mais dont le strict respect est assuré par une force supérieure ne se manifestant que rarement, il va falloir à Ariane Austin, devenue, par la force des événements et de son caractère, la capitaine du "Graal" et de son équipage de savants, une bonne dose de courage, d'ingéniosité et de volonté pour comprendre et s'adapter à cet environnement aussi incongru qu'hostile et triompher de toutes les embûches. Innombrables races extraterrestres plus exotiques les unes que les autres (j'avoue avoir particulièrement apprécié Mairakag, patron du restaurant le plus réputé de l'Arène), savants géniaux et combatifs, méchants arrogants et répugnants, décors plus que grandioses, honneur et droiture, fourberie et duplicité, tout est réuni pour nous faire rêver sans complexe, comme l'avait fait Doc Smith auparavant, avec cependant des ingrédients modernes : le personnage principale est une héroïne qui bat tous les hommes à plate couture, nanotechnologies, clones et IA sont présents. L'hommage est beau et réussi, l'un des personnages s'appelle d'ailleurs Marc DuQuesne (le méchant savant des "Skylarks") et Ryk Spoor s'amuse malicieusement à nous expliquer à nous expliquer pourquoi il est là ! Le seul message de l'auteur est "Amusez-vous en me lisant !", il a parfaitement atteint son but.
 
Jean-Luc Rivera 
 
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