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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Février 2016
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Février 2016

Tellucidar de Jean-Luc Marcastel (Scrinéo)
 
Après avoir revisité Alexandre Dumas et d'Artagnan, Jean-Luc Marcastel rend maintenant hommage à un autre de ses auteurs favoris, Edgar Rice Burroughs et les aventures de David Innes au coeur de la Terre, dans les sauvages royaumes de Pellucidar. Le nom de cette nouvelle série annonce clairement la couleur : avec le tome 1 de "Tellucidar" (Scrinéo) nous aurons droit à de l'aventure populaire au sens noble du terme. 
 
Nous sommes au Café"Le Bougnat", rue Mouffetard, où, suite à un article retentissant et critique à propos d'un accident d'exploitation intervenu sur le site auvergnat de la grande compagnie Tellcorp, là où l'on extrait ce minerai révolutionnaire qu'est le tellurium, la source d'énergie propre du futur, le journaliste Simon Aleyrac s'est vu fixer rendez-vous afin d'apprendre la vérité sur cet accident et sur la Tellcorp. Il a été d'autant plus alléché qu'outre un morceau de tellurium, le paquet reçu contenait aussi une griffe de dinosaure "fraîche". Il va donc rencontrer un jeune homme, Lucas, dont la vie a basculé un an auparavant lorsqu'un message de son père disparu est apparu sur un vieil ordinateur et qu'un engin bizarre a surgi du sol dans le stade de Vic-sur-Cère, siège de la Tellcorp. Avec l'aide de son copain Charles, geek accompli et fils du redoutable chef de la sécurité de Tellcorp, et de son oncle Patrick qui se révélera loin d'être le personnage falot qu'il semblait être, Lucas volera au secours de la jeune fille en détresse mais aux capacités de combattante redoutables qui est littéralement jaillie de la terre. Je ne vous en dirais pas plus mais sachez que l'auteur a tissé un excellent roman d'aventures dont nous découvrons les prémices nécessaires dans ce premier tome : outre des personnages sympathiques comme Lucas, Patrick, Charles, Korè la princesse et son majordome Kshaann (très réussi, je vous laisse la surprise de le découvrir) et des méchants antipathiques à souhait comme Michaël Kirov et le très singulier Monsieur M., l'auteur a su intégrer les problèmes contemporains de la surexploitation, par des multinationales avides de profit à court terme, des ressources sans souci de l'environnement et de la manipulation (ou de la création pure et simple dans une société paisible) de conflits ethniques afin de jouer une faction contre une autre pour protéger par ces mêmes multinationales pour protéger leurs intérêts (quelque part Tellucidar évoque furieusement le Guatemala ou le Congo Kinshasa). Inutile de dire que je me suis laissé prendre immédiatement à la prose enlevée de Jean-Luc Marcastel : entre découvrir l'origine du tellurium, les buts de la Tellcorp, la société exotique de Tellucidar et le fait qu'il y a des dinosaures, que demander de plus pour s'évader agréablement en plongeant dans les entrailles de notre Terre ?
 
Un point encore : le livre, en plus de sa couverture par Philippe Jozelon ramassant fort bien l'esprit en une image saisissante, contient de nombreux crayonnés de Jean-Mathias Xavier tant dans le corps du roman que dans un bien beau carnet de croquis en fin de livre. Quand le plaisir des yeux s'ajoute à celui de la lecture, que demander de plus ? Seulement la suite le plus vite possible...
 
Les petites fées de New York de Martin Millar, FolioSF
 
J'avais eu l'occasion de lire, et d'adorer, le roman de Martin Millar, "Les petites fées de New York", lors de sa parution en français en 2009. FolioSF vient d'avoir l'excellente idée de le rééditer et il n'a pris une ride. Il s'agit sans doute de l'un des premiers romans du genre "urban fantasy" puisqu'il date de 1992. Une demi-douzaine de fées de Cornouailles, taille grande poupée, avec des petites ailes et une gueule de bois terrible, émergent d'une nuit d'abus de whisky et de champignons en plein New York, sans avoir aucune idée d'où elles sont et comment elles y sont arrivées... Parmi elles, Heather et Morag, de deux clans rivaux mais amies inséparables bien que se disputant en permanence, vont se lier, l'une à Dinnie, un descendant humain de son clan, les MacKintosh, musicien raté et personnage particulièrement peu avenant au physique comme au moral, l'autre à Kerry, une jeune femme artiste douée, excentrique et gravement malade. Seuls Dinnie, Kerry et quelques autres humains doués plus ou moins de seconde vue peuvent distinguer les fées et leur parler - comme Magenta, clocharde éthylique et cultivée, luttant aux côtés des Grecs contre les Perses d'Artaxerxès dans les rues de New York... Et nous allons suivre Heather et Morag dans leurs mésaventures new yorkaises, elles qui, sortant de leurs campagnes écossaise et cornouaillaise, se retrouvent confrontées à la grande ville, à des usages différents et à une technologie sans pareil (dont les innombrables chaînes porno...) et, voulant faire pour le mieux, vont se révéler être de vraies catastrophes ambulantes. Entre les raisons pour lesquelles elles ont dû fuir d'Ecosse, d'Angleterre et de Cornouailles (la création d'un groupe de celtic radical trash n'en étant qu'une parmi d'autres) et leur attitude "care free" (picole et bagarre), rien ne va s'arranger et, petit à petit, nous allons découvrir que tout le monde habituellement paisible des fées est révolutionné par elles, en un crescendo irrésistible. Martin Millar met en scène un roman hilarant par certains aspects, personnages et situations dignes des films de Mack Sennett - poursuites automobiles avec les fées en passagères clandestines ou bagarres générales -, autres personnages complétement décalés - le magicien du roi des fées anglais introduit la révolution industrielle et la machine à vapeur, mettant les populations féériques au travail dans des usines, et son opposant, Aelric, résiste et fait la révolution en prenant ses idées dans les livres du Président Mao... - mais, en même temps, le roman a un regard extrêmement critique sur la société et la vie new yorkaise de l'époque - clochards partout dans les rues car c'était le moment où l'on vidait les hôpitaux psychiatriques, indifférence aux autres, concurrence effrénée entre les individus - qu'il reflète fort bien aussi dans la vie artistique, tous les concerts et les performances dans les bars du Village. Martin Millar met au service du roman et de l'intrigue une connaissance manifestement étendue du folklore des îles britanniques, ne résistant pas, avec malice, aux poncifs des Celtes buveurs et batailleurs ou des Italiens machistes, et une connaissance tout aussi étendue des groupes musicaux plus ou moins underground de la scène new yorkaise. Je ne peux que vous recommander, pour un bon moment de pur plaisir de lecture, de vous installer avec un bon whisky, des balades écossaises (ou même irlandaises...) en fond sonore, et de partir en compagnie de cette bande de fées celtes, fanfaronnes, picoleuses, bagarreuses et musiciennes de talent, à la découverte d'un New York inhabituel.
 
Le poids du coeur de Rosa Montero (Métailié)
 
Au printemps 2013 sortait "Des larmes sous la pluie" (Métailié), un roman de SF rendant hommage à Philip K. Dick, de l'auteure espagnole Rosa Montero, livre qui eut un beau succès de par sa qualité (cf mon coup de coeur d'avril 2013). Nous retrouvons l'héroïne, une réplicante du nom de Bruna Husky, dans "Le poids du coeur" (toujours chez Métailié), une clone de combat fabriquée dans les laboratoires, à l'espérance de vie de 10 ans. Mais dans ces Etats-Unis de la Terre de 2109, bien que l'égalité des droits leur ait été accordée, les techno-humains sont toujours victimes d'un racisme ordinaire, soigneusement exploité par le Parti Suprématiste Humain. Nous retrouvons Bruna quelque temps après les événements du premier volume, essayant de se remettre des découvertes déplaisantes et des blessures tant physiques que surtout psychologiques qu'elle a subi. Mais elle va très vite se retrouver, dans le cadre de son activité de détective privé, à nouveau mêlée à de sombres imbroglios politico-religieux et au secret le mieux caché de la planète, tout cela pour avoir recueilli dans un élan de pitié irraisonné et irraisonnable une petite fille russe, Gabi Orlov, vivant dans l'une des zones pour les laissés pour compte (air vicié et pollution effarante). Nous la suivrons dans son enquête pour aboutir à la vérité : pourquoi la petite Gabi présente-t-elle un niveau d'irradiation extrêmement élevé dans un monde d'où a été banni le nucléaire ? Et pourquoi devient-elle un enjeu et un moyen de pression sur Bruna de la part des représentants du complexe politico-industriel ? Pourquoi, d'ailleurs, Bruna ressent-elle de plus en plus des émotions que sa programmation lui interdit d'avoir ? Les réponses à ces questions, découvertes tout au long du roman, permettent à l'auteure de dénoncer les ravages de l'exploitation sans contrôle des ressources humaines, polluant ainsi irrémédiablement notre planète - réchauffement climatique et raréfaction des ressources halieutiques ont entraîné la prolifération des méduses, devenues la seule source de protéines disponible - et ceux du fanatisme religieux, de son intolérance et de son hypocrisie : nous découvrirons ce qui se passe et se cache sur la grande station orbitale indépendante de Labari, peuplée par une secte fondamentaliste (au contraire de Cosmos, autre station indépendante au régime tout aussi totalitaire mais hyper-technologique). Rosa Montero nous offre, et c'est l'un des intérêts majeurs de ce roman, des personnages à la psychologie particulièrement fouillée : Bruna, naturellement, cette rep qui veut vivre alors que le compte à rebours des 10 ans s'écoule inexorablement, qui réussit petit à petit à surmonter sa programmation, mais aussi Gabi, une autre petite survivante, totalement humaine mais dont les mécanismes psychologiques de survie ressemblent si fortement à ceux de Bruna qu'ils lui permettront de progresser en aidant Gabi. Outre son ex-amant, l'inspecteur Lizard, et son ami Yiannis, archiviste hors pair et vieillard abîmé par la vie, nous ferons aussi la connaissance d'un "tripoteur" (non, ce n'est pas ce que vous pensez, je vous laisse le soin de découvrir de quoi il s'agit) énigmatique et d'une rep qui obligera, contre son gré, Bruna à faire face à ce qu'elle est en rencontrant son double, lui faisant ainsi réaliser ce qu'elle aurait pu être et l'importance du libre arbitre (même si l'on est programmé...). En bref, un roman intense et passionnant, une réflexion profonde sur l'humanité mais aussi une belle aventure, en somme la SF dans ce qu'elle a de plus beau.
 
La dernière fée de Bourbon de Ophélie Bruneau (Editions du Chat noir) 
 
Avec "La dernière fée de Bourbon" (Editions du Chat noir), Ophélie Bruneau nous propose un bien joli roman à la fois uchronique, fantastique et légèrement steampunk. Cela fait beaucoup pour un seul roman, me direz-vous, mais l'auteure s'en sort avec brio. L'action se déroule en 1873 sur cette île Bourbon qui n'est jamais devenue la Réunion car elle est retournée à la Grande-Bretagne à la fin des guerres napoléoniennes : l'administration de l'Empire n'y est guère tendre, que ce soit pour les partisans du rattachement à la France dont un soulèvement a été écrasé avec férocité quatorze ans auparavant ou pour les créatures surnaturelles, les diwas, impitoyablement pourchassées. La jeune Lisha Payel revient dans son île natale, l'une des enfants arrachés aux familles principales de l'île et éduqués dans de grandes familles britanniques de l'île Maurice en représailles après l'échec de la révolte. A la fois otages et symboles d'une intégration forcée, elle revient pour se marier avec un fringant officier anglais. Petit à petit elle va découvrir le dessous des cartes, la présence de la magie et la puissance des diwas et se retrouver, à son corps défendant, impliquée dans le jeu complexe qui se joue entre partisans d'un retour à la vie en bonne entente avec les diwas, les Pailles-en-Queues, admirateurs de la technologie française, avec ces machines à vapeur qui exploitent jusqu'à la mort la puissance de ces mêmes diwas, et Anglais conservateurs jusqu'au bout des ongles (et des fusils). Kala, sa jeune domestique aux pouvoirs magiques, lui feront découvrir une autre réalité que celle enseignée par l'éducation traditionnelle et lui ouvriront les yeux sur ce que sont véritablement les différentes sortes de créatures dont les salamandres issues du volcan de l'île. Quant à la bonne société de Bourbon qu'elle fréquente, elle découvrira là aussi que les apparences sont trompeuses, surtout lorsqu'il s'agit de beaux garçons comme Sam Havelock, l'écervelé fils du gouverneur fiancé de sa soeur, le bel officier psycho-rigide Gabriel Macey ou son ami d'enfance Jocelyn Turpin, sans parler du sombre et savant jeune médecin, Pierre-Mathieu Ricquebourg. Lisha se retrouvera ainsi confrontée à des choix douloureux, entre devoir et passion, entre famille adoptive et famille d'origine, pour accomplir ce qui doit être fait, c'est-à-dire rester un être humain, quelqu'un de juste et de bon. Ophélie Bruneau nous donne ainsi beaucoup de plaisir avec cette histoire écrite de manière très prenante, aux prémices originales (le lieu, Bourbon, et son histoire alternative mais aussi le traitement de ses créatures surnaturelles), des personnages sympathiques et souvent attachants - la dernière fée de Bourbon est à la fois pathétique et sublime, un bien beau mélange -, sans oublier de mentionner le plaidoyer pour un meilleur respect de la nature (une considération très actuelle) et l'amour de l'auteure pour cette belle île qu'elle connaît manifestement fort bien (j'ai dû plusieurs fois chercher ce qu'était une plante, un animal ou un plat !). A lire pour se dépayser fort agréablement !
 
Jean-Luc Rivera 
 
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