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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - juillet 2018
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - juillet 2018

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas écrit quelques coups de cœur et je m’en excuse auprès de tous ceux d’entre vous qui les lisent et les attendent parfois avec impatience, comme certains m’en ont fait la remarque. Ma seule excuse est que, comme vous, je suis d’abord un lecteur et un fan des littératures de l’imaginaire : les auteurs et leurs éditeurs sont les premiers responsables de ce retard car beaucoup de très bons livres ont été écrits et publiés depuis près d’un an et, étant un faible, je craque toujours pour découvrir un nouveau roman au lieu de me mettre devant l’ordinateur pour écrire des chroniques. Voici donc quelques-unes de mes lectures particulièrement appréciées ces derniers mois, que ce soit en SF ou en fantasy, en adulte ou en jeunesse, d’autres suivront à la rentrée.

 

Les Editions de l’Arbre vengeur ont eu l’excellente de rééditer, avec une belle préface de Natacha Vas-Deyres, l’un des plus beaux romans de Francis Carsac, Ce monde est nôtre. Je n’avais pas relu depuis au moins vingt ans ce chef d’œuvre de la SF française qui n’a pas pris une ride. En effet, suivant la règle qui ne souffre aucune exception de la Ligue des Terres Humaines, afin d’éviter tout conflit interne, il ne peut y avoir qu’une humanité (au sens large d’espèce sapiens) par planète. Or le coordinateur d’origine terrienne Akki Kler et son collègue hiss, Hassil, vont devoir se rendre sur la planète Nérat où cohabitent une espèce humanoïde, les Brinns, les Vasks, descendants de colons basques ayant fui la Terre pour préserver leur mode de vie ancestral, et les Bérandiens, des Terriens dont les ancêtres se sont écrasés avec leurs astronefs sur la planète et se sont organisés sur un mode féodal inspiré par Walter Scott afin de survivre, tout en réduisant en esclavage, par besoin de main d’œuvre, des tribus brinns. Nos deux coordinateurs vont se rendre chez chacune des trois parties afin de les observer et d’écouter leurs arguments avant de trancher à qui appartiens Nérat. Or chaque peuple pense, avec des arguments tout à fait convaincants et sensibles, que « ce monde est nôtre », arguments qui étaient ceux des Algériens et des Pieds-noirs (car ce roman fut écrit en pleine guerre d’Algérie) et qui sont ceux de tous les conflits territoriaux douloureux qui existent encore aujourd’hui à travers le monde. Le roman montre toute la difficulté de trouver une solution équitable et est une grande leçon d’humanité et d’acceptation (ou de rejet) de l’autre : un très bel exemple de la SF dans ce qu’elle a de meilleur, à découvrir ou redécouvrir.

 

Le nouveau roman, très attendu, de Thomas Geha est sorti il y a quelques semaines : Des Sorciers et des Hommes (Critic) est un hommage aux aventures du Souricier Gris et de Fafhrd de Fritz Leiber. Nous suivons les forfaits et les méfaits de Pic Caram, sorcier aux rubans (une forme de magie tout à fait étonnante et puissante) avide de fortune, et de son acolyte et protecteur, Hent Guer, un guerrier hors pair dont les appétits matériels (surtout sexuels, il est amateur de femmes) l’ont conduit à trahir tous ses employeurs et à perdre ainsi ls positions élevées qu’il occupait. Voici donc deux « héros » sans scrupule ni morale qui vont passer leur temps à remplir des missions, parfois plus qu’étranges, pour des employeurs tout aussi étranges, en cherchant comment les doubler pour maximiser leurs profits. Nous rencontrons ainsi toute une galerie de personnages hauts en couleur – mention spéciale à Bikkir la Tuméfiée – et peu sympathiques en général, à l’exception de Drao Druber le Fouillevie, et ce à travers la grande de Colme. Bien entendu, ce genre d’actions suscitent certaines inimitiés solides et nos deux gaillards vont se retrouver avec quelques vengeurs à leurs basques… L’intrigue est solide, tous les personnages attachants dans leur absence de sens moral et/ou d’éthique, et l’humour permanent du roman fait que l’on s’amuse beaucoup à lire les mésaventures de tout ce petit monde, et ce jusqu’à une chute finale plutôt surprenante. Une bonne lecture estivale !

 

 

Beaucoup d’entre nous ont été initiés à l’existence du « nazisme ésotérique » grâce à Jacques Bergier et au Matin des magiciens et j’ai une petite faiblesse pour les romans utilisant ce thème. Eric Giacometti et Jacques Ravenne, que nous connaissions pour leurs enquêtes du commissaire Marcas,  avec Le Triomphe des Ténèbres, premier tome du « Cycle du Soleil noir » (JC Lattès), nous plongent dans cette Europe au bord de la guerre, où, en 1938, l’Ahnenerbe – l’institut de « recherches » subventionné et soutenu par Himmler pour retrouver les traces historiques des Aryens et prouver leur supériorité raciale – envoie dans le monde entier non seulement les preuves archéologiques et anthropologiques du passé aryen mais aussi les objets qui assureront sa suprématie. Par exemple, dans cette Espagne tout juste soumise par Franco au terme d’une guerre civile sans merci, que révèle ce tableau caché au fond du trésor d’un monastère ? Et en quoi le Thule borealis, cet ouvrage rarissime, va-t-il influencer le cours de la guerre ? C’est ce que vont découvrir, et nous avec eux, un énigmatique Français qui a combattu aux côtés des Républicains, un militaire anglais et une archéologue allemande, qui débuteront leur recherche dans le sud de la France, à Montségur, haut-lieu du catharisme. Mêlant habilement à l’intrigue nombre de faits historiques avérés en nous proposant une raison alternative à ceux-ci, nos deux auteurs tissent avec talent une histoire occulte qui pourrait expliquer des décisions incompréhensibles, comme par exemple les raisons véritables du vol de Rudolf Hess vers l’Angleterre. Voilà donc un thriller ésotérique érudit bien ficelé qui nous fait attendre avec impatience le tome suivant.

 

Avec L’Âge des Assassins (Bragelonne), premier tome de trilogie du « Royaume blessé », R.J. Barker nous livre un roman de fantasy tout à fait original. Il nous transporte au château de Maniyadoc, au cœur d’un monde qui a été ravagé par une magie pompant les forces vives de la terre, magie employée par le Sorcier noir qui fût défait par le souverain, encore en vie mais apparemment très diminué par l’âge. Son épouse, la reine Adran ap Mennix, une intrigante qui essaye de bien placer sa famille, a fait appel à Merela Karn, « assassin extraordinaire », venue accompagnée de son apprenti, Girton Pied-Bot ; celui-ci, qui est assez innocent en matière de politique, va se retrouver impliqué dans les complots montés autour de la succession à venir du roi, que ce soit ceux de sa propre famille ou ceux de la famille royale précédente, les ap Dhyrrin, qui aimerait reprendre le trône, sans parler des puissants Seigneurs du Festival, ces commerçants hors-norme qui sont les seuls à de déplacer dans le royaume blessé et donc à assurer les échanges commerciaux. Ce qui fait la force et l’intérêt de ce roman, c’est qu’outre les intrigues courtisanes motivées par la soif insatiable du pouvoir, la vengeance et la jalousie – deux autres motivations puissantes qui fournissent toujours de bons rebondissements -, l’intrigue repose sur la peur engendrée par les ravages de la guerre magique qui eut lieu, peur qui entraîne celle de se découvrir des pouvoir de magicien - et donc l’obligation de les cacher à tout prix – car les Gardiens pourchassent sans pitié et égorgent tous les « Affligés » au-dessus de la terre dévastée afin de lui redonner de la force. Je me suis très vite laissé emporter par l’écriture de R.J. Barker, qui nous raconte l’histoire des événements de Maniyadoc à travers le témoignage et les souvenirs de Girton. Ce premier roman de ce nouvel auteur est particulièrement réussi, vivement sa suite.

 

Floriane Soulas est une jeune autrice française qui fait une entrée remarquée sur la scène de la SF avec Rouille (Scrinéo), un roman steampunk original et noir. Dans ce monde alternatif où les ressources lunaires sont exploitées – grâce à l’influence de Jules Verne la Lune a été conquise et colonisée très tôt -, les métaux nouveaux découverts sur notre satellite permettant des avancées scientifiques impressionnantes ; par la même le fossé s’est creusé entre les riches et les puissants qui habitent sous le Dôme (où l’air est pur) et les pauvres relégués dans la couronne des arrondissements extérieurs, pollués et insalubres. C’est dans l’un des lupanars où viennent s’encanailler les bourgeois qu’a échoué Violante, amnésique, dont s’éprend (s’entiche ?) le richissime comte Armand de Vaulnay, grand industriel. Sa quête de son identité et de ses origines l’entraînera dans tout Paris et, avec l’aide réticente de Léon, le malfrat souteneur au grand cœur en dépit de apparences et de Jules, le jeune tenancier de bar mal famé et passionné d’inventions, elle découvrira la face sombre du progrès et le secret de la rouille… Le roman est très noir, l’auteur n’épargne guère ses personnages ni physiquement ni psychologiquement, et cela donne un livre qui ne se lâche pas. Vous n’êtes pas prêt d’oublier le Paris de Rouille, ses dirigeables et ses égouts, ses animecas et ses savants, et sa Tour Eiffel sous Dôme !

 

La nouveau label « Les Saisons de l’Etrange », proposée, sous la direction éclairée de Melchior Ascaride, par Les Moutons électriques, commence très fort : tous les titres sont intéressants mais j’ai particulièrement apprécié le petit témoignage de Viat et Olav Koulikov, Mémoires d’un détective à vapeur, sur les enquêtes réalisées par Jan Marcus Bodichiev à Londres, la grande métropole anglo-russe de l’an 3000 (vous comprendrez la datation en lisant le livre)… Le monde a bifurqué au XIXème siècle, et l’alliance anglo-russe a modifié la face de monde. Le Tsar et son empire n’ont plus comme rivaux que l’U.R.S.F. (Union des Républiques Solidaires Françaises) dirigée par Pierre Mendès-France où d’ailleurs l’une des enquêtes de Bodichev le conduira. Etant détective privé et expert en sécurité informatique, il sera fait appel à lui pour résoudre des affaires curieuses et passionnantes, allant de crimes météorologiques impossibles à des voleurs modifiés génétiquement, et l’affrontement final (?) avec son Moriarty, Felix, se déroulera sur fond de vol de joyaux en Hollande, territoire neutre. Olav Kulikov a mis en ordre les papiers de son père, Viat, qui fut le témoin et l’assistant de Bodichiev, devenant ainsi son mémorialiste. Il faut souligner la fluidité de la traduction de l’anglo-russe, faite par André-François Ruaud, fluidité telle qu’on pourrait presque croire que l’original était écrit en français.

P.S. : le lecteur amateur de Sherlock Holmes, d’Hercule Poirot et de Nero Wolfe notera des noms qui lui sembleront familiers, ce qui tend à démontrer la cohérence du multivers derrière son entropie apparente.

 

Toujours aux « Saisons de l’Etrange », j’ai aussi lu avec grand plaisir le petit roman de François Peneaud, Les Compagnons de Roland. En juin 1932, Gabriel Dacié, industriel et aventurier justicier, installé dans la Tour Eiffel (faisant ainsi pendant à Doc Savage installé, lui, à la même époque, dans l’Empire State Building), est appelé pour résoudre le vol de l’épée sacrée de Charlemagne, une relique aux propriétés étonnantes. Sur fond de découverte des pouvoirs d’une nouvelle énergie, l’énergie mentalique, quels sont les buts poursuivis par cette société secrète, les Compagnons de Roland ? Pourquoi veulent-ils récupérer aussi Durandal, l’épée de Roland, et son olphant ? Dacié, son partenaire dans la vie comme dans les aventures, Jean De Grange, et Violette, sœur de Jean et scientifique émérite, vont aller de découverte en surprise pendant 175 pages, écrites à la manière plaisante despetits romans d’action populaires de l’entre-deux-guerres.

 

Depuis quelques mois, Lovecraft et l’univers dérivé de son œuvre font un retour en force chez les éditeurs car ils continuent de fasciner auteurs et lecteurs. Karim Berrouka, avec Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu (ActuSF), détourne avec jouissance tous les codes lovecrafiens pour nous donner un pastiche fort drôle. Ingrid Planck est une jeune femme d’aujourd’hui, sans rien de remarquable (pour ne pas dire tout à fait banale), au physique comme au mental, enchaînant des petits boulots temporaires pour survivre. C’est après qu’elle ait été réveillée à 6h du matin par des flics de la D.G.S.E. pour être interrogée sur son ex petit ami que son univers va basculer. Entre le l’Américain bizarre, qui vient d’Innsmouth, et l’invite à une soirée de présentation de l’American Dagon Scuba Diving Society, et l’invitation pour un week-end d’orgie dans le domaine des Satanistes de l’amour, en Crète, elle va découvrir qu’en effet, bien sûr, elle est très spéciale car née le bon jour, à la bonne heure, à la bonne seconde, et qu’elle est donc le Centre du Pentacle que vont se disputer les cinq factions, soutenant chacune l’un des grands dieux du panthéon lovecraftien, qui s’agitent autour du retour de Cthulhu. Ingrid, dont le petit copain, Tungdal, va réapparaître aussi mystérieusement qu’il avait disparu, va devoir s’impliquer dans ce combat épique, pour ne pas dire cosmique, et prendre une décision capitale quant à l’avenir de l’humanité, sans parler du sien. Karim Berrouka a lu avec attention Lovecraft et reprend des détails des différentes nouvelles afin de les retourner à sa façon, nous présentant ainsi ce qu’auraient pu devenir les différents sectateurs et adorateurs quatre-vingts ans plus tard ! Le livre est excessivement drôle, lecture parfaite pour se détendre, que vous soyez d’ailleurs ou non un amateur de Lovecraft.

 

Il faut aussi penser aux lecteurs un peu plus jeunes : avec les deux premiers tomes de « La Faucheuse » (La Faucheuse, suivi de Thunderhead, tous deux sortis chez R), Neal Shusterman nous plonge dans un monde où l’immortalité est devenue possible pour tous et la vie totalement sécurisée grâce à la super-intelligence artificielle, le Thunderhead, qui suit et communique avec chacun. Mais comme les fonctions de reproduction des humains ne sont pas remises en cause, afin d’éviter la surpopulation, les sages fondateurs de cet « Eden » ont créé un corps de faucheurs, des tueurs autorisés, après un entraînement long et sévère, à faucher des vies afin de maintenir l’équilibre, en se basant sur les anciennes tables actuarielles des assurances, ce qui permet en théorie de savoir, par tranche d’âge et de population, combien doivent être éliminés au cours de l’année. Mais, comme vont le découvrir la jeune Citra et son collègue Rowan lors de leur apprentissage de faucheurs, les Maîtres ne sont pas tous parfaits et le corps des faucheurs connait des dérives inacceptables, ce qui pose l’éternelle question de « Qui garde les gardiens ? ». Pas le Thunderhead, en tout cas, puisqu’il a été conçu par ses créateurs comme ne pouvant interférer avec les faucheurs. Nous suivrons donc Citra et Rowan dans leur évolution, chacun faisant des choix différents pour atteindre les mêmes buts. Toute la force de Neal Shusterman réside dans cette psychologie des personnages et dans les choix qu’ils doivent faire : outre nos deux apprentis, qui ne vont l’être que dans le premier tome, nous suivrons aussi leurs Maîtres, l’Honorable Dame Curie et Maître Faraday, dans leurs tentatives de réforme (ou plutôt de retour à l’esprit originel du corps des faucheurs), et leurs opposants. L’auteur pose aussi, de manière très subtile, la question du libre-arbitre – en a-t-on un, et si oui dans quelles limites, à partir du moment où l’on est connecté en permanence à une intelligence toujours de bon conseil et qui vous connaît intimement puisqu’elle monitore aussi bien votre corps que vos pensées - et des limites de la non-intervention, plus particulièrement dans le deuxième volume où nous retrouvons le Thunderhead, prisonnier de sa programmation. De plus, il a mis en scène un monde fascinant, où tout est supposé être parfait mais qui, en réalité, est devenu un enfer car chacun est conscient en permanence et donc obnubilé par sa mortalité car les faucheurs sont omniprésents, intouchables et insondables. Le deuxième volume se termine sur un coup de théâtre extraordinaire qui nous fait attendre avec une impatience non déguisée la conclusion de la trilogie.

 

Etant un amateur de nanars depuis fort longtemps, j’avais l’impression de connaître le sujet : impression totalement erronée à la lecture du réjouissant Nanars Wars, d’Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle (Nouvelles Editions Wombat) dont le sous-titre révèle le sujet : « Quand les grands succès d’Hollywood se font plagier »… Nos deux auteurs se sont intéressés à toutes les versions non autorisées (comment auraient-elles pu l‘être d’ailleurs ?)  des films mettant en scènes des héros iconiques classiques comme Tarzan, Zorro ou King Kong et nous en présentent des « versions » turques, indiennes ou bangladeshies. Les super-héros n’ont pas été épargnés, Superman, Barman ou Superwoman, de même que les grands succès comme E.T. (j’ai eu le bonheur ou le malheur de voir la version turque citée, un grand moment du cinéma !), Indiana Jones, Star Wars et autres, y compris un Harry Potter mexicain. Il faut saluer comme il se doit l’abnégation des deux auteurs qui ont réussi à se procurer des copies souvent rares de films venant de pays comme la Turquie, le Bangladesh, l’Inde, le Mexique ou l’Indonésie et ensuite, et surtout, les ont visionnés. Leurs textes de présentation de chaque film sont des monuments d’humour et de drôlerie, toujours dénués de méchanceté, avec des commentaires parfois incisifs mais qui trahissent toujours la stupéfaction qu’un réalisateur ait trouvé de l’argent (sans doute pas beaucoup) pour tourner de telles choses qui font d’Ed Wood un grand professionnel ; quand vous admirez en plus la riche iconographie du livre, vous ne pouvez qu’avoir envie de découvrir à votre tour ces chefs d’œuvre du kitsch, que d’expérience il faut regarder à plusieurs avec les boissons adéquates en quantité suffisante pour tenir la distance. Un grand plaisir de découverte d’un pan ignoré du cinéma mondial et, pour plagier à mon tour un spécialiste de la publicité bien connu, « Si à cinquante ans on n’a pas vu Banglar Superman, c’est qu’on a raté sa vie ». Je m’en vais de ce pas essayer de me rattraper et de la réussir.

 

La science-fiction soviétique, si chère à Jacques Bergier qui avait l’avantage de pouvoir la lire dans le texte, est mal connue dans notre pays car peu traduite. Grâce à l’ouvrage de Viktorya et Patice Lajoye, Etoiles Rouges. La littérature de science-fiction soviétique (Piranha), nous pouvons découvrir la richesse de ce qui s’est publié entre le début du XXème siècle, sous le régime tsariste jusqu’à la fin de L’URSS en 1992. Le livre est une mine de découverte, de ce qu’ils appellent le « petit âge d’or de la NEP » jusqu’à ce qui se publie sous Staline, avec des anecdotes étonnantes comme celle de cet auteur, Ian Larri, qui envoie en 1940 des lettres anonymes au Petit Père des Peuples, chacune accompagnée d’un chapitre de son roman de SF sur Martien qui découvre l’état pitoyable du pays cent-dix-sept ans plus tard (inutile de préciser qu’il a visité la Sibérie dès que le NKVD a découvert qui il était… : on y voit qu’il se publie principalement des romans historiques, révolutionnaires et réalistes, à l’anticipation à très court terme. Nos deux auteurs consacrent aussi un chapitre étonnant aux romans de SF réactionnaires écrits par les émigrés russes. Sont abordés ensuite des auteurs importants que nous connaissons un peu en France, Kazantsev et ses anciens astronautes, les grands frères Strougatski dont l’importance est fondamentale, Kir Boulytchev et son étonnant héros, Pavlich, un médecin civil. L’analyse des Lajoye est tout à fait pertinente, démontant que la SF soviétique est une SF d’ingénieurs, qui privilégie la science par rapport à la fiction ; ils nous exposent d’ailleurs le débat qui eut lieu dans les années 1960 entre « physiciens » et « lyriques » où ce qui est important est la respectabilité du genre. Leur étude se termine par la SF « noire » (dystopique) des années 1980 et se conclut sur l’apparition, récente, d’une SF « impérialiste », uchronique et steampunk, flirtant avec le nationalisme et la grandeur de la Russie d’avant 1917.

Aux analyses des auteurs s’ajoutent des résumés des romans cités, beaucoup n’étant pas traduits et ayant peu de chances de l’être un jour, afin de faciliter la compréhension par le lecteur de cette histoire de la SF russe et soviétique et de pouvoir ainsi suivre son évolution. Avec son beau cahier iconographique, voici un ouvrage indispensable à quiconque s’intéresse à l’histoire de notre genre favori, d’une lecture fort agréable, qui vous donnera envie de lire les anthologies de nouvelles que Viktorya et Patrice Lajoye ont publié chez Rivière Blanche (Dimension URSS, 2009, Dimension Russie, 2010, Dimension Avenirs radieux, 2016), anthologies complétant bien cette étude.

 
 
Jean-Luc Rivera 
 
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