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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Octobre 2010
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Les coups de coeur de Jean-Luc Rivera - Octobre 2010

Paul McAuley, "La Guerre tranquille" (Bragelonne)

Avec ce superbe roman, Paul McAuley revient au space opera classique: en le commençant, je me suis dit que j'éprouvais un petit sentiment rétro. En effet, pas de grande envolée interstellaire, nous sommes dans un monde "limité" au système solaire, où les hommes ont commencé de coloniser les lunes de Saturne et de Jupiter, où les cultures évoluent très vite par rapport à la Terre d'où des tensions de plus en plus insurmontables, où, même si l'on vient d'inventer un nouveau moteur plus rapide, les déplacements interplanétaires restent désespérément lents, bref rien que du classique. Et, très vite, j'ai réalisé mon erreur: l'auteur nous emmène dans un monde d'une richesse incroyable, de la très belle hard science jouant principalement sur les recherches biologiques et génétiques permettant à l'homme de s'adapter à des environnements très durs en se modifiant lui-même et en créant des chimères tant animales que végétales. D'où les tensions finement exprimées par McAuley entre les conservateurs de tout poil, que ce soient les Verts intégristes des grandes familles terriennes qui ont pris le pouvoir et sont en train de reconstruire la planète ravagée par les catastrophes climatiques et écologiques ou les scientifiques de génie qui avaient fui les dictatures se mettant en place un siècle auparavant pour la liberté des communautés lunaires, et les nouvelles générations qui veulent appliquer leurs idées et prendre le pouvoir des mains des "vieux".

A travers ses personnages, puissants comme le général Arvam Peixoto ou Averne la plus grande des sorcières génétiques, ambitieux comme le diplomate Loc Ifrahim ou le professeur-docteur Sri Hong-Owen, et les "petits" comme la biologiste Macy Minot ou Dave n° 8, l'auteur montre comment tous les personnages, à travers le jeu de leurs égoïsmes et de leurs intérêts personnels, sont tous les instruments les uns des autres et créent une dynamique de conflit impossible à stopper ni même à contrôler. Très vite, le lecteur se prend au jeu des intrigues et des trahisons pour suivre l'évolution des différents protagonistes tant au Grand-Brésil, la puissance terrienne dominante, que dans les villes des lunes saturniennes et se passionne pour l'évolution de cette "guerre tranquille" qui le devient de moins en moins.

La traduction de Jean-Daniel Brèque sert bien le roman et il ne reste qu'à souhaiter que le deuxième volume, déjà écrit par McAuley et sorti en Angleterre, soit très vite traduit et publié afin de nous permettre de savoir ce que deviennent les personnages auxquels nous nous sommes attachés et quelle sera l'évolution du système.


Voraces
d'Oisin McGann (Mango)

Ayant pris quelque retard dans mes lectures, l'ouvrage d'Oisin McGann sorti au mois d'août m'avait échappé jusqu'à maintenant et c'est bien dommage. Cet auteur irlandais est une découverte pour moi ! Dans "Voraces", il nous introduit dans un univers extrêmement original: nous sommes en Irlande au début de l'ère victorienne, un peu avant la Guerre de Sécession, mais il s'agit d'une Irlande et d'une Terre parcourues par des "mécanimaux", créatures vivantes à la fois animales et mécaniques, dont l'illustre Charles Darwin lui-même n'a pu expliquer l'évolution dans la partie de "L'origine des espèces" qu'il leur a consacré... Le lecteur n'oubliera de sitôt la magnifique scène d'ouverture du livre, la capture et le dressage de la Bête de Glenmalure - un gigantesque vélocycle sauvage qui ravage les campagnes - par Nathaniel Wildenstern, troisième fils d'Edward, duc de Leinster, patriarche de la grande famille Wildenstern, richissime propriétaire terrien contrôlant d'énormes intérêts dans les Amériques et en Afrique. Et nous découvrons petit à petit ce monde dominé par les cartels de quelques grandes familles marchandes dont les membres bénéficient d'une longévité et d'une résistance hors du commun, dans le cas des Wildenstern l'or est le métal dont l'application leur permet de récupérer plus vite de leurs blessures.

La famille Wildenstern a érigé l'assassinat de ses proches pour accéder à de plus hautes fonctions en règle de vie et de fonctionnement parfaitement codifiées, du darwinisme social avant la lettre. Nathaniel se retrouve donc confronté à l'assassinat de son frère aîné dont tout le monde pense qu'il est responsable: il doit retrouver l'assassin tout en défendant sa propre existence, celle de son second frère, le nouvel héritier, et celle de sa soeur cadette. Oisin McGann, très finement, nous fait découvrir en parallèle les activités répréhensibles - le vol - d'une famille très pauvre, dont les actions, interprétées à travers le prisme paranoïaque des Wildenstern, aboutissent à des résultats dramatiques exposés de manière souvent cocasse. S'y ajoute la découverte de 4 ancêtres Wildenstern dont les corps ont été parfaitement conservés dans les marais tourbeux et dont Gérald, grand médecin et cousin de Nathaniel, va s'occuper avec des résultats aussi surprenants que désastreux. Percera-t-il ainsi le secret de la biologie très particulière des Wildenstern ? Réussira-t-il à percer le mystère des mécanimaux à travers ses expériences à la Victor Frankenstein ?

Une fois commencé le livre, on se laisse fasciner par cette intrigue violente et complexe, ce monde si proche du nôtre et si différent, ses personnages à la personnalité forte sans jamais être caricaturale. Une grande réussite, qui nous laisse sur notre faim en se terminant par un grand nombre de questions sans réponse: j'ai vu sur le site de l'auteur que le second volume est déjà sorti en anglais et j'espère bien qu'Audrey Petit, la directrice de la collection grâce à qui nous avons découvert cette saga, va bientôt nous offrir en français cette suite.


Robin Hobb, "Dragons et serpents. Les Cités des Anciens 1" (Pygamlion)
 
Tous les amateurs de dragons, dont je fais partie, sont à la fête en ce moment. La nouvelle série de Robin Hobb, "Les Cités des Anciens", a parmi ses caractères principaux nos animaux favoris. Et le traitement de ce thème archi-classique par l'auteur montre que, lorsqu'on a du talent, on peut trouver une approche originale. Ici les dragons ont vécu en bonne intelligence, dans le passé, avec des humains à la civilisation fort avancée, les Anciens. Au début du roman, le temps s'est écoulé, les Anciens comme les dragons ont quasiment disparu et le monde a régressé : mais le dernier dragon vient de réunir les derniers serpents géants survivants qui donneront naissance, après un hiver passé dans un cocon, à une nouvelle génération de dragons. Et les humains, qui sont des marchands avisés - les Marchands du désert des Pluies, ce marécage immense aux arbres géants dans lesquels vivent les hommes -, ont accepté de protéger les cocons et de nourrir les dragonneaux en échange de la protection de Tintaglia, le dernier dragon. Dans ce monde étrange, qui nous laisse soupçonner qu'il est le résultat d'une grande catastrophe, commencent à se rassembler les protagonistes de l'histoire comme Thymara, une jeune mutante qui aurait dû être tuée, Alise, épouse d'un riche marchand et passionnée par l'histoire des dragons au point d'en devenir une spécialiste, enfin Leftrin, capitaine d'une vivenef, ces bateaux construits en "bois-sorcier" et dotés de conscience, sans oublier Sintara et Mercor, ces malheureux dragons mal formés qui vont s'engager dans une quête pour une vie meilleure, à la recherche de Kelsingra, la ville parfaite où Anciens et dragons auraient survécu.

Le lecteur se prend très vite au jeu et se passionne pour ces personnages attachants et curieux, qu'ils soient humains ou jeunes dragons luttant dans un environnement hostile, dans un monde bien décrit et qui nous intrigue. Je suis maintenant très impatient de commencer à avoir des réponses à toutes les interrogations que soulèvent ce premier volume que j'ai lu sans vraiment pouvoir m'interrompre. Fort heureusement, Pygmalion annonce la sortie du tome 2 "Les eaux acides" pour la mi-novembre, encore quelques semaines à attendre, elles seront longues...

Le Dragon des Arcanes
de Pierre Pevel

Je viens de terminer la lecture du"Dragon des Arcanes", dernier volume d'une trilogie superbe intitulée "Les Lames du Cardinal" (vol. 1 "Les Lames du cardinal", vol. 2 "L'Alchimiste des Ombres", tous trois chez Bragelonne).
Pierre Pevel aime les dragons - on se souvient de sa magnifique trilogie de Wielstadt - et il revisite avec bonheur "Les Trois Mousquetaires" de Dumas en y introduisant ses créatures favorites et en se plaçant plutôt du côté du cardinal. Nous sommes dans le Paris de Louis XIII où cohabitent humains, dracs (des êtres reptiliens) et dragons (êtres supérieurs qui peuvent prendre l'apparence d'humains). Les Lames du Cardinal de Richelieu sont une équipe d'intervention très spéciale, chargée d'exécuter les coups tordus du Cardinal et ils sont nombreux. Nous les suivons à travers un dédale d'intrigues qui s'entremêlent pour notre plus grand plaisir: celles de Richelieu bien entendu, celles du roi, celles de la cour d'Espagne à la solde de la loge secrète des dragons de la Griffe noire, celles des Arcanes à l'intérieur de celle-ci, celles de la belle Alessandra, celles des gardiens, celles des Châtelaines et celles des Lames qui ont différents agendas que nous découvrirons petit à petit. Toute la force de l'auteur réside dans ces personnages attachants, que ce soient les héros principaux ou les acteurs secondaires, que ce soient les "bons" ou les "méchants", qui évoluent lentement par la force des choses, par les pressions extérieures et par leur cheminement psychologique. Les notions de bien et de mal se retrouvent mises à mal car la raison d'état et les raisons du coeur prennent le pas - comme dans la vie réelle - sur la morale. Commencée avec un certain humour dans le premier volume, l'atmosphère de la série s'assombrit au fur et à mesure de l'aggravation de la situation pour le royaume de France. Certes les personnages continuent de boire et de faire ripailles, mais le coeur y est de moins en moins. Pierre Pevel nous décrit dans leurs moindres détails le Paris et la France de Louis XIII en les modifiant subtilement grâce à la présence draconesque. Les scènes d'action et de combat sont magnifiques, certains tableaux comme les cérémonies magiques ou le siège de Notre-Dame resteront dans tous les esprits.
Voilà l'un de ces livres dont on se dit: "Allez, encore juste un chapitre" avant de réaliser que l'on vient de passer une nuit blanche pour le lire d'une traite et regretter: "Déjà fini !".
Mais rappelons à Pierre Pevel qu'après "Les Trois Mousquetaires" il y a eu "Vingt après" puis "Le vicomte de Bragelonne"... Nous pouvons donc espérer :-)))
 


Block 109
et Étoile rouge, scénario de Vincent Brugeas et dessin de Ronan Toulhoat, Editions Akileos, 2010
 
Je viens de découvrir cette excellente BD uchronique sur les conseils d'Eric Henriet. Dans "Block 109", nous découvrons un monde où Hitler a été assassiné le 22 mars 1941 et où les Allemands mettent au point les premiers la bombe atomique en juin 1944 puis envahissent la Russie en juillet 1944. A partir de ces points de divergence, Brugeas développe un monde ravagé - Amérique du Nord et Grande-Bretagne ont été atomisés en mai 1945 - et exsangue où la guerre se poursuit toujours en 1953 avec l'Armée rouge dans ce qui semble être la phase finale du conflit puisqu'elle est quasiment aux portes de Berlin. Mais quels buts poursuit donc l'énigmatique Zytek, l'homme qui dirige le Reich de 1 000 ans, en éliminant impitoyablement ennemis intérieurs comme son rival Heydrich mais aussi amis ou sympathisants, y compris la flotte sous-marine allemande ? A travers une histoire touffue, avec de nombreux retours en arrière afin de nous éclairer, nous comprenons à travers 198 pages de dessins superbes, dans des coloris sombres assortis au sujet, pourquoi des monstres humains assoiffés de sang hantent les couloirs du métro berlinois, pourquoi la guerre a été prolongée à dessein et que l'enfer est toujours pavé de bonnes intentions...
 
Dans le second album de la série "Block 109", nous faisons un retour en arrière et nous retrouvons sur le front russe au mois de février 1945, au sein de l'escadrille Normandie-Niémen. Là encore, le scénariste, qui connaît manifestement très bien l'histoire de la 2ème guerre mondiale, détourne avec bonheur les faits pour leur faire prendre une direction différente mais plausible.
 
La série devrait comprendre au total 3 albums supplémentaires, éclairant chacun un point particulier de cette histoire alternative fort cohérente et fort sombre exposée dans le premier volume. Avoir foi en l'avenir de l'humanité est un acte désespéré et désespérant dans cet univers glauque où l'homme renaîtra, comme le phénix, littéralement, de ses cendres. La philosophie sous-tendant la solution proposée est certainement politiquement incorrecte aujourd'hui mais transcende les barrières politiques puisqu'on la retrouve aussi bien chez les écologistes extrémistes, partisans de la disparition de notre espèce pour sauver tout le reste, que chez les plus enragés des nazis partisans d'une solution finale élargie...

Une uchronie dérangeante, à découvrir !


Le Châtiment des Flèches de Fabien Clavel

Cette rentrée littéraire est, dans les genres que nous aimons, d'une qualité remarquable ! Je viens de lire - un de plus - un très beau livre, celui de Fabien Clavel, "Le Châtiment des Flèches" (Pygmalion Fantasy). Une belle fantasy historique, originale car elle se situe dans la Hongrie de l'an 1000, au moment de la conversion de ses populations grâce à l'action de son roi, Etienne, qui sera ensuite canonisé. L'auteur met en scène le roi et ses opposants, transformant à petites touches l'histoire que nous connaissons en un combat entre la religion antique chamanique des Magyars et la nouvelle religion du Dieu unique, entre le traditionalisme des vieux guerriers et la modernité incarnée par les chevaliers bavarois, entre la culture locale et les influences étrangères imposées, entre le respect de la nature et le gâchis des ressources au travers de la domestication de celle-ci par l'homme (l'extermination des troupeaux d'aurochs en est un exemple magnifique dans le roman). D'une écriture superbe, avec des scènes grandioses, des combats épiques et des envolées lyiques, Fabien Clavel nous conte la lutte d'Etienne contre ses rivaux des autres tribus, son combat spirituel de chrétien convaincu contre le grand esprit magyar incarné par le rapace géant Turul, dans un monde où domaines spirituel et temporel sont indissociables, où les frontières entre le bien et le mal sont tellement entremêlées qu'elles en deviennent totalement indistinctes pour les protagonistes: l'auteur met en scène, avec le personnage central - et fictif - de Farkas l'archer extraordinaire, de manière poignante, le dilemne qui se pose face à une évolution à marches forcées et les choix forcément cornéliens qui en découlent. Tout le roman, qui est d'une actualité saisissante par rapport à notre monde contemporain, et utilise comme fondation  les chroniques de l'époque et des travaux historiques, nous amène à la conclusion que les vrais monstres ne sont pas ceux des créations littéraires mais des hommes, les fanatiques qui veulent à toute force le bien de leurs semblables, leur conception du bien étant, naturellement, la seule valable.
Illustré par une belle couverture d'Alain Brion, voici un roman que l'on n'oubliera pas de sitôt.

Jean-Luc Rivera

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