Depuis Spin, la sortie d’un nouveau roman de Robert Charles Wilson constitue un évènement dans le monde de la science-fiction (parfois au-delà). Rappelons ici que Wilson a commencé à publier dans les années 1980 d’abord des nouvelles puis des romans. Il a commencé à être remarqué avec Mysterium qui reçut en 1994 le Philip K. Dick Award. Robert Charles Wilson remporte le prix Hugo avec Spin en 2006 et fait désormais figure de Grand de la SF, à à peine plus de 60 ans. On nous présente ici Les derniers jours du Paradis inspiré du Village des damnés de John Wyndham. Allons donc voir ce que Wilson nous a concocté.
Uchronie et paranoïa
2014 : l’Amérique se prépare à célébrer le centenaire de l’armistice qui mit fin à la Première Guerre mondiale avec force feux d’artifice et trompettes. Cela laisse de marbre la jeune Cassie. C’est la nuit, elle ne dort pas et sa tante Nerissa tarde à rentrer. Elle va prendre l’air à la fenêtre et elle voit un homme qui l’observe avec un air étrange de l’autre côté de la chaussée. Il traverse et se fait renverser. De la matière verte s’écoule de son corps : il s’agit d’un mutant extraterrestre, un simulacre de l’Hypercolonie, organisme vivant dans la radiosphère et influençant les évènements mondiaux dans l’ombre. L’Hypercolonie a un adversaire, la Correspondant Society dont les parents de Cassie faisaient partie avant d’être assassinés. Cassie réveille son frère et l’emmène loin de l’appartement de sa tante. Elle rejoint Beth Vance et Leo Beck, autres jeunes dont les parents appartiennent à la Society - le père de Leo, Werner, en est même le dirigeant et le financier occulte. Pendant ce temps, l’oncle de Cassie, Ethan reçoit lui aussi la visite d’un simulacre qui dit venir en paix. Ethan le neutralise avant d’écouter son histoire : l’Hypercolonie est noyautée par un autre super-organisme qui vient demander l’aide des humains.
Dans cet univers, on le voit, pas de Seconde Guerre mondiale et pas de génocides. La société des nations règle tant bien que mal les conflits. Sauf que l’humanité n’est pas seule, elle est guidée par une autre espèce qui profite d’elle, vit en parasite (la comparaison est faite dans le livre avec certaines espèces d’insectes). D’un point de vue narratif, Les derniers jours du Paradis est assez réussi, juxtaposer le point de vue des enfants avec celui des adultes fonctionne harmonieusement. Il ne possède cependant pas le brio de Spin ou de Blind Lake.
Récurrence du motif de l’enfermement chez Wilson
Reste que cet ouvrage permet de faire deux remarques. D’abord Robert Charles Wilson a tendance à réécrire les mêmes livres (ce qui n’est pas un défaut, Hemingway faisait pareil). Les derniers jours du Paradis ressemble à Spin, choisir de raconter du point de vue des enfants est récurrent chez lui depuis La Cabane de l’aiguilleur, etc. La seconde est que notre auteur a besoin d’enfermer ses héros pour écrire. L’enfermement peut être extérieur (le Spin, la couche radioprotectrice de l’Hypercolonie, le voyage dans le temps de la petite ville dans Mysterium) ou intérieur (le héros d’À travers temps est en dépression, fermé sur lui-même). Il semble que Robert Charles Wilson a besoin de décrire un cercle fermé pour pouvoir ensuite créer une tentative d’ « évasion » de ce cercle. Ce n’est pas original en tant que tel mais, quelque part, cela explique aussi son succès : n’avons-nous pas l’impression récurrente nous-mêmes d’être bloqués, enfermés dans un cercle ? Ne sommes-nous nous-mêmes bloqués sur une planète que nous polluons, maltraitons (et Wilson a très bien décrit les conséquences possibles du traitement que nous infligeons à la Terre dans Vortex) ou que nous laissons maltraiter ?
Vaste sujet, qui explique aussi pourquoi Wilson peut autant marquer l’esprit des lecteurs d'aujourd’hui.