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Les Eclaireurs

Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 05/02/2009  -  livre
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Les Eclaireurs

Succès critique et public de l’année 2007, Les Falsificateurs avaient installé Antoine Bello dans une situation idéale, celle d’un écrivain français populaire, capable de produire un roman Monde sur les ombres de notre Histoire contemporaine. Son style fluide, son impensable concept du Consortium de Falsification du Réel (CFR) et son imagination fourmillante lançaient alors les bases d’une épopée moderne et feuilletonesque dont on attendait impatiemment la suite.

Trop prévisible

Elle ne s’est pas faite attendre puisque dès février 2009 Sliv et ses copains reviennent pour une deuxième saison très américaine. Les Falsificateurs se terminant à l’orée du nouveau siècle, la suite du récit des activités de cet organisme très particulier se devait d’être fortement impactée par le 11 septembre et ses conséquences géopolitiques. C’est là le premier bémol pour ce deuxième tome, qui possède les qualités du précédent (notamment une certaine science du rebondissement) mais qui en perdant l’effet de surprise et en n’évitant pas quelques écueils, s’avère assez décevant. Là où le premier volume abordait par un angle original, une décennie passionnante, celle de l’utopie de la fin de l’Histoire, la suite est entièrement compactée dans la séquence attentats de New York / préparatifs de la guerre en Irak. Soit 18 mois balayés par le prisme le plus rabâché, celui du glissement entre la sidération face au 11 septembre, le scepticisme et la colère face aux projets néoconservateurs d’exportation de la démocratie par la force. Tout a été dit et dénoncé sur cette escroquerie de l’administration Bush et on constate, un peu ennuyé, que Bello, malgré sa formidable grille de lecture du CFR, n’apporte rien de plus qu’une indignation accablée supplémentaire. La réalité a certes rendu un bel hommage à son invention puisque les autorités américaines se sont surpassées dans l’art de produire des légendes qui justifiaient leurs intentions belliqueuses mais on attendait l’auteur ailleurs que dans la posture politiquement correcte et dans l’effarement de son héros, scandalisé par le cynisme de Washington alors qu’il est censé être lui-même un manipulateur roué de l’Histoire. Le côté boy scout de Sliv, l’ambitieux consensuel qui recherche un sens à sa vie, finit même par ne plus être crédible et plus grave, par être plutôt agaçant.

Un personnage-thèse

Il devient un étendard, un personnage-thèse censé symboliser un Occident qui verrait l’Amérique comme un phare éclairant éternellement la Vérité et le Bien mais qui se sent tout d’un coup trahi par ses mensonges. La caractérisation simpliste des personnages représente d’ailleurs une autre faiblesse du livre. Ainsi les figures du musulman modéré, qui personnifie les dilemmes politico-religieux de l’époque, de l’américain patriote qui voue une foi inébranlable dans la Constitution des pères fondateurs mais qui se met à douter ou encore de la militante professionnelle révoltée par toutes les injustices du monde, sont-elles très prévisibles et ne jouent que des rôles schématiques de dialogue avec le héros.

Eclairé par les Lumières


Autre constat un poil énervant mais tellement symptomatique de l’air du temps : la transfiguration du roman initiatique en dossier des Echos ou de Challenge. Il est frappant de voir comment Bello est tellement imprégné du monde de l’entreprise qu’il en devient pour lui un horizon indépassable. Déjà palpable dans Les Falsificateurs, qui constituait en quelque sorte le cursus scolaire de Sliv avec son lot d’échéances et de compétitions, cet enfermement (inconscient ?) de la narration dans le cadre de l’entreprise moderne devient franchement risible dans Les Eclaireurs. Désormais Fabrice Del Dongo est un jeune cadre stressé dont le rêve le plus fou consiste à intégrer le Comité Exécutif (le Comex pour les intimes) pour discuter projets stratégiques d’égal à égal avec son supérieur, pardon son N+1. La naïveté politique du personnage contraste d’ailleurs avec son irrésistible soif d’ascension au sein du CFR. Mais Sliv veut savoir, il veut enfin comprendre à quoi sert cet organisme, à qui il consacre sa vie depuis plus de dix ans. Cet ultime segment, légèrement déflationniste mais riche de sens, est peut-être la partie la plus réussie du livre et boucle les deux tomes. En puisant sa source dans les Lumières, le CFR devient une métaphore pertinente de la construction démocratique, le régime le plus fragile en apparence puisque sans ferment mobilisateur puissant mais aussi le plus durable car il n’est qu’un vivre-ensemble qui préserve les convictions de tous. Il est donc irremplaçable.

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