Tommaso Pincio est un écrivain et journaliste italien né en 1963 à Rome. Diplômé d'arts visuels, il souhaitait devenir peintre, avant de changer de carrière. On lui doit les romans Un amour d'outre-monde, Le Silence de l'espace et Cinacittà. En parallèle de sa carrière d'auteur, il écrit dans les colonnes de Rolling Stone ou de La Repubblica et traduit Philip K. Dick, Jack Kerouac et Francis Scott Fitzgerlad. Les Fleurs du Karma, son sixième roman, est le quatrième livre traduit en France.
Trois personnages, trois destins...
Dans un monde de poussière, accompagnée par Zxyz, son compagnon qui ne parle qu'avec des consonnes, Laïka Orbit passe d'un motel à l'autre, vers un but inconnu. Incapable de se souvenir de son vrai nom, elle essaye de se rappeler d'où elle vient... et comment y retourner.
Dans les années 1960, Kinky Baboosian quitte le domicile familial à seize ans et rejoint une communauté hippie. Découvrant les joies des drogues et de l'amour libre, elle donne naissance à un garçon et l'élève en dehors du système. Son petit bouddha boudeur deviendra un mathématicien un peu fou et marginal, n'aspirant qu'à la normalité. Son nom ? Zxyz...
... mais la fuite, toujours
Les Fleurs du Karma raconte trois parcours, trois destins qui, au premier abord, ne semblent pas vraiment liés. Le livre s'ouvre sur l'étonnant road trip de Laïka Orbit et de son compagnon.On ne sait pas qui ils sont, où ils vont ni d'où ils viennent mais le pays qu'ils traversent est désespérément sordide. De la poussière partout, qui semble espionner tout le monde, et une économie basée sur le recyclage des déchets. Ils finissent par arriver dans une ville anonyme, banale. L'histoire est intrigante, accrocheuse. Tommaso Pincio est un excellent conteur et même avec peu de détails il arrive à dépeindre un contexte crédible. On se prend facilement au jeu de n'avoir aucun repère et d'être aussi perdu que Laïka. Le peu d'éléments connus nous laisse à penser que l'on est là dans un récit classique de dystopie, avec sa société déglinguée et ses personnages qui cherchent à y échapper.
Sauf que... le récit dérive progressivement vers l'histoire de Kinky Baboosian. Changement de ton, changement de registre. On est désormais sous le soleil de la Californie à la fin des années 1960 au sein d'une communauté hippie. Au travers la vie de cette adolescente fugueuse, Pincio nous projette dans une époque révolue, de liberté et de partage. Le changement est rude, déboussolant. Quel est le lien entre les deux histoires ? Au-delà des repères brouillés, on finit par se laisser happer dans cette décennie optimiste, changeante. On sent une vraie nostalgie dans l'écriture de Pincio et on ne peut que se laisser charmer par le destin de la jeune Kinky.
Et alors qu'on commençait à s'habituer à cette nouvelle époque, à ce nouveau destin, on change encore de lieu et de décennie pour cette fois s'intéresser au fils de Kinky. Cette troisième et dernière partie est peut-être la plus difficile et déroutante de toutes, tellement le personnage que l'on suit, Zxyz, est antipathique au possible. Il n'est pas facile de s'attacher à un tel personnage ou même de ressentir de la pitié, tellement ses actions et son comportement semblent chaotiques. Magicien de génie mais qui vit dans un misérable mobil-home, au mode de vie aux antipodes de celui dans lequel il a été élevé, il semble obsédé par sa mère alors qu'il a fui tout ce qui pouvait lui la rappeler.
La fin en laissera perplexe plus d'un. Jouant sur plusieurs niveaux de réalité, elle n'apporte pas vraiment de réponses, bien au contraire. Si vous pensiez avoir compris quelque chose, trouvé un fil conducteur, détrompez-vous : Tommaso Pincio s'amuse à tout déconstruire dans les dernières pages et à nous faire douter. Qu'est-ce qui était vrai ? A quoi peut-on se raccrocher ? Et, au fond, est-ce important ?
Ainsi, le véritable lien entre ces trois personnages, c'est bel et bien leur état constant de fuite. Fuite de la cellule familiale, fuite du passé, fuite de son époque, fuite de soi. Mais l'ailleurs est-il vraiment meilleur ?
Les Fleurs du Karma est un roman singulier, une vraie expérience de lecture. Difficile de dire, une fois la dernière page tournée, si on a aimé ou pas du tout. Les trois histoires aux liens très lâches, les différentes réalités, la fin un peu rapide qui apporte plus de questions que de réponses... Impossible de rester indifférent face à un tel livre. Alors, bon, mauvais livre ? La question est sans importance. Les Fleurs du Karma séduit par sa narration éclatée, énerve par son sentiment inachèvement mais est finalement sauvé par ses personnages atypiques, vivants, humains tout simplement. Un livre étonnant, pour tous les amateurs de littérature autre.