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Les Mines du temps

Clifford D. Simak ( Auteur), Gilbert Millet (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : 
Date de parution : 31/03/2004  -  livre
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Les Mines du temps

Bien que moins connu qu'Asimov, Clifford D. Simak est lui aussi un auteur de l'âge d'or de la SF. Aujourd'hui, Demain les chiens a éclipsé le reste de son œuvre. C'est dommage car il possédait une vision de la société bien en avance sur son temps et même si certains de ces six romans paraissent aujourd'hui un peu datés, ils n'en demeurent pas moins le témoignage de son ouverture d'esprit et de son intelligence.

Omnibus ou le foutage de gueule Grand Format (24 euros TTC)

D'abord la couverture : simplement ignoble. Millet vient de faire un triple salto dans sa tombe. Et non content de faire une couv' laide au possible, il y en a un rappel sur le dos… Quitte à faire des économies d'argent, faites dans le blanc la prochaine fois, et que l'on ne me dise pas qu'il faut des illustrations pour les amateurs de SF, Présences faisait dans le bleu et vendait parfois très bien.

Ensuite la préface : désolé de le dire mais elle semble avoir été faite à la va vite par Jacques Goimard. Malgré quelques réflexions éclairantes, elle est entachée de contresens indignes. Prenons par exemple la notule sur Ils marchaient comme des hommes, Goimard y balance deux erreurs de tailles. Selon lui They Walked Like Men raconte l'histoire d'une invasion d'extraterrestres qui se termine comme chez Wells par la déconfiture des assaillants, trop sensibles à " une certaine odeur " pour lui survivre. Ben non ! Bien au contraire, cette odeur est pour eux quasi orgasmique et les forcent ainsi à se dévoiler au grand jour. Pour la suivante, il prétend que Parker et Joy sont des " enquêteurs rivaux ", là encore désolé de devoir le dire mais c'est faux : ils flirtent gentiment ensemble et Parker se confie à Joy, cette dernière n'ayant pas la moindre velléité de doubler son (petit) ami.

On sera surpris de ces erreurs grossières de la part d'une telle sommité. Pour mieux comprendre, on se reportera au Bifrost n° 22 Spécial Simak auquel il se réfère dans sa préface. Page 177 à 179 de la revue, nous retrouvons l'article de Jacques Baudou (autre sommité du genre, critique du journal Le Monde) consacré à ce roman : " Si les martiens de Wells étaient vaincus par le germe du rhume, les extraterrestres de Simak sont mis en échec par quelque chose de bien plus surprenant, quelque chose d'aussi extravagant que ridicule : une certaine odeur…". Sans le vouloir, Jacques Baudou a induit Jacques Goimard en erreur. Ce dernier, désirant sans doute se remettre en mémoire un livre lu depuis fort longtemps a mal interprété " mis en échec " qui, dans ce livre, ne signifie pas du tout la mort des extraterrestres. L'autre erreur par contre est entièrement due à Jacques Baudou : " on mesure combien le " combat " entre les journalistes, Parker et Joy, qui ont flairé le scoop de l'invasion […] ". Là encore je réitère, Parker et Joy ne recherchent pas le scoop : le premier est trop occupé a éviter les tentatives d'assassinats et à chercher comment convaincre le monde, sans être interné dans un hôpital psychiatrique, que la terre est menacée par des extraterrestres ; quant à la seconde, elle reste sous le choc de la révélation de Parker : " Joy, laisse tomber tout ce que tu croyais vrai. […] Il y a des ballons qui peuvent se transformer en ce qu'ils veulent. […] A la lueur du tableau de bord je pouvais voir son visage bouleversé, ébahi, angoissé. J'aurais voulu l'enlacer, la serrer dans mes bras pour dissiper son angoisse, son tourment. " Euh… je ne m'imaginais pas comme ça la course au scoop dans le journalisme, ça se passe comme ça au Monde ? On comprendra mieux les erreurs de Jacques Goimard mais les comprendre n'en atténue en rien l'énervement…

Bref, tout ça pour dire que cet Omnibus fleure mauvais le pavé bâclé (et le mot est faible) surtout lorsque l'on s'aperçoit que les traductions datent d'un demi-siècle et qu'il aurait été de bon ton - en tant qu'éditeur digne de ce nom - de réviser, voir de les refaire parfois complètement. Chaîne autour du soleil est certainement le récit auquel cela aurait fait le plus grand bien, la présente traduction étant celle du Rayon Fantastique et allant de tournures simplement lourdes à de véritables fautes grammaticales. C'est d'autant plus gênant lorsque la concurrence - à savoir Folio SF - révise les traductions pour des livres de poches à 7 ou 8 euros, Les Mines du temps est quand même à 24 euros ! Ces romans auraient mérité beaucoup mieux comme écrin.

Heureusement qu'il y a les romans !

Demain les chiens
est l'impérissable chef-d'œuvre. Poétique et juste, Simak en optimiste y décrit une humanité à son crépuscule. Mais peu importe, car conscient de nos faiblesses et de nos bassesses, Simak passe le relais à une nouvelle espèce intelligente : les chiens. Comme il le fera dire à un de ses protagonistes : " Ce qui importait, c'était la conscience de vivre. " (in Dans le torrent des siècles). C'est là la clé de l'optimisme de Simak. Ce n'est pas en l'homme en qui il met sa confiance mais en la vie et la conscience qu'elle que soit son support.

Dans le torrent des siècles

Un soir, un homme soi-disant venu du futur vient annoncer à Christopher Adams qu'un explorateur disparu depuis vingt ans dans l'espace va bientôt revenir. Et à son arrivée il faudra le tuer sans hésitation. C'est le début d'une effarante course poursuite à travers le temps et l'espace. Car lorsqu'Asher Sutton revient effectivement sur Terre, il n'est plus totalement humain. Plusieurs factions du futur se battent pour orienter la rédaction du livre qui délivre un message primordial pour toutes les espèces intelligentes… Un roman foisonnant et complexe qui parle : de destiné, de livre sacré (dont la dérive peut être vue comme un proche ancêtre du brillant Limbo (1954) de Bernard Wolfe), d'androïdes luttant pour la reconnaissance et de la bassesse tout autant que de la fragilité humaine. Petit clin d'œil de l'auteur : un certain Clifford déclare qu'il a écrit autrefois une histoire à propos de la destiné qui ne valait pas grand chose. Une mise en abîme bien trop modeste pour cet excellent roman.

Chaîne autour du soleil

Après le voyage dans le temps, voici le grand roman de Simak sur les univers parallèles mais aussi celui qui a le plus mal vieilli malgré des trouvailles de génie. L'auteur y imagine une Amérique de 1987 dans laquelle l'arrivée de lames inusables, d'ampoules éternelles va sonner le glas d'une économie qui n'a de solide que l'apparence. Ce très lointain aïeul du Fight Club de Palahniuk pour la mise en place de la révolution que personne ne pouvait attendre nous offre de très bons moments. Simak pose les bases du jeu de rôles (en 1952 quand même), décrit un ensemble d'univers parallèles cohérent et imagine un nouvel Eden pour un nouvel humain. Ce roman pourrait être amputé d'un tiers si Simak l'écrivait aujourd'hui. En effet, pour ne pas perdre le lecteur du début des années 50 dans les révélations successives ou dans les dédales parallèles, l'auteur ne cesse de reformuler chaque nouvelle découverte. Cela alourdit un texte qui est déjà plombé par une traduction d'une rare lourdeur. C'est dommage car remis dans le cadre de son époque, Chaîne autour du soleil fut non seulement novateur mais marquait une étape importante dans l'évolution de la SF.

Le Pêcheur

Même reproche que pour le précédant, les reformulations constantes alourdissent un texte pourtant bon au final. Dans ce roman, pas de fusées, l'homme les ayant abandonnées depuis bien longtemps étant trop fragiles pour l'immensité de l'espace. Devant l'échec de la science, l'Hameçon est un organisme qui a réussi le voyage interstellaire en faisant appel aux facultés psy. Parallèlement, les vieilles croyances ont resurgi de plus belle : les humains craignent ce qu'ils ne comprennent pas et avant tout les mutants qui sont pourtant leur avenir.

Lorsqu'un jour, Blaine revient de mission avec une entité étrangère dans son esprit, il est pris en chasse par l'Hameçon qui désire éliminer toute possibilité d'infiltration. Où trouvera-t-il refuge ? Simak, là encore avec brio, démontre combien l'homme est un loup pour l'homme tout en gardant un optimisme que bien d'autres ont abandonné depuis longtemps.

Au carrefour des étoiles

Intimiste comme peut l'être Demain les chiens, Au carrefour des étoiles abandonne toute la quincaillerie de la science-fiction des années 50. Simak y décrit une campagne (comme bien souvent dans ses romans) qui cache un des secrets les mieux gardés : un relais galactique. Tant que l'humain sera trop jeune, cette plate-forme demeurera cachée et gardée par Wallace, un fermier apparemment immortel… Bientôt, des enquêteurs vont se rapprocher de cette ancienne ferme. Là encore, du très grand Simak qui affiche son pacifisme : les extraterrestres belliqueux semblent bien loin. Tant mieux.

Ils marchaient comme des hommes

Ils marchaient comme des hommes
est la surprise de cet Omnibus. Bien moins connu que les cinq autres romans, Simak arrive à mélanger une ambiance paranoïaque à la Dick et des délires à la Brown. Bienheureux télescopage que cette parodie de polar qui garde un fond de critique de la fragilité du système économique capitaliste. Mis à part l'intemporel Demain les chiens, c'est certainement celui qui a le mieux résisté au temps.

Un Omnibus pas franchement utile…

Pour conclure, le seul avantage de cet Omnibus est d'avoir l'Epilogue de Demain les chiens qui jusqu'ici n'avait jamais été réuni en France dans le même recueil (cette nouvelle fut publiée dans Des souris et des robots chez Lattès collection Titres SF n°49) mais 24 euros les 13 pages ça reste dur à avaler… Cet échec cache un problème sans doute plus profond. Pour faire un travail éditorial qui se respecte, il faut un minimum de budget : de quoi payer un nouveau traducteur par exemple. Malheureusement retraduit ou pas, il n'y a pas de différences sur les ventes, ceci explique cela… En fin de compte, c'est non seulement l'auteur qui en pâtit mais la science-fiction dans son ensemble car le lecteur lambda qui découvre le genre par des textes mal écrits gardera l'image d'une sous-littérature, image que l'on souhaiterait voire disparaître. Cela ne sera pas encore grâce à cette production. Dommage.

…mais des romans ô combien indispensables

Quant à ces six romans de Simak, vous l'aurez compris, ils méritent d'être lus et relus avec une petite préférence pour Demain les chiens, Au carrefour des étoiles et Dans le torrent des siècles.

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