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Les quatre vérités
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Les quatre vérités

Il y avait au 13 de la rue Lepic un pauvre alien qui s’appelait Martien… C’est très certainement ce qu’aurait pu écrire Marcel Aymé s’il avait eu le goût du space opera ! Ce pilier de la littérature française est bien connu pour ses récits fantastique et un sens de l’humour des plus mordants. Il a également travaillé pour le cinéma, et quelques-uns des films auxquels il a participé en tant que dialoguiste et scénariste font désormais partie du patrimoine culturel hexagonal. On citera parmi les plus célèbres de ses recueils de nouvelles rattachées aux répertoires du merveilleux Le Passe-muraille, La Jument verte ou encore le roman La Vouivre. Son inspiration pouvait se montrer indifféremment parisienne ou rurale, mais il en résultait toujours des textes rédigés avec l’encre corrosive qu’utilisent les poètes engagés. Il a notamment écrit pour le théâtre une dizaine de pièces dont certaines ont fait scandale dans la prétendue « bonne société », comme La Tête des autres, un réquisitoire contre la peine de mort, ou cet insolent mais salutaire chef-d’œuvre qu’est le fameux Clérambard.

 

La vérité : un luxe inconfortable…

 

Olivier, chercheur dans l’entreprise pharmaceutique des Trévière, ses beaux-parents, vient de découvrir la masochine, un infaillible sérum de vérité. Sa femme niant avoir été photographiée à Cannes alors qu’elle était censée se trouver chez sa cousine de Limoges, la famille entière décide de se soumettre au verdict de la drogue. Celle-ci, comme prévu, provoque chez les participants un irrépressible besoin de révéler ses sentiments et réflexions les plus authentiques. Cette inhabituelle orgie d’honnêteté sera la source, on s’en doute, de nombreuses situations d’autant plus drôles qu’elles sont gênantes et les quelques personnages qui n’ont pas été intoxiqués par la substance deviendront, à leur corps défendant, les témoins involontaires des turpitudes d’une famille bourgeoise d’allure pourtant respectable…

 

Avec Marcel, c’est l’avènement de la SF de boulevard !

 

Si le théâtre n’est pas totalement absent de la littérature de science-fiction, il faut tout de même reconnaître qu’il s’y fait plutôt rare. Il n’y a guère que Ray Bradbury à s’y être essayé avec un succès relatif et si l’on excepte les œuvres de fantasy du Barde d’Avon ou la tradition française du Grand Guignol, le genre n’a pas vraiment fait école… Marcel Aymé y remédie partiellement avec ces Quatre vérités qui usent (et abusent) d’un prétexte pseudo-scientifique pour donner un nouveau ressort dramatique à la tradition bien établie du vaudeville. C’est à un très amusant festival de portes qui claquent et de placards qui s’ouvrent sur des amants et des maîtresses pris en flagrant délit que nous assistons ici, comme c’était prévisible. Seulement, grâce à Marcel, le genre gagne en modernité car ces portes dérobées disparaissent physiquement pour être remplacées par un irrésistible remède au mensonge. Les sentiments de honte, la culpabilité refoulée, la trahison et autres travers bien humains ne sont plus représentés par de simples placards métaphoriques mais crûment exposés à la face du monde et, parfois, courageusement assumés par les personnages. Il n’y a pas de littérature plus adaptée que la science-fiction pour provoquer cette salubre catharsis, quand le théâtre de boulevard plus traditionnel se contentait de la laisser opérer dans un cadre finalement conforme à la morale bourgeoise. Les quatre vérités de Marcel Aymé, en plus d’être terriblement caustiques, viennent donc enrichir le glorieux patrimoine du Merveilleux Scientifique cher à Maurice Renard en faisant un usage très gaulois de la science… 

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