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Les Seigneurs de l’Instrumentalité

Manchu (Illustrateur de couverture), Cordwainer Smith ( Auteur), Michel Demuth (Traducteur), Alain Dorémieux (Traducteur), Denise Hersant (Traducteur), Yves Hersant (Traducteur), Pierre-Paul Durastanti (Traducteur), Simone Hilling (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : 
Date de parution : 29/02/2004  -  livre
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Les Seigneurs de l’Instrumentalité

Folio SF continue dans sa nouvelle collection à nous présenter des œuvres de qualité, dont la diffusion ou la réédition devenait indispensable. Le cycle des Seigneurs de l'Instrumentalité est à placer parmi les chefs d'œuvre de la science-fiction. Les livres qu'il faut absolument avoir lus, pas parce que cela fait "bien", mais parce ces récits touchent le lecteur, se gravent dans sa mémoire. Lorsque l'on compare les impressions de plusieurs lecteurs sur ce cycle, les avis diffèrent. Untel a préféré tel récit, tandis que tel autre a été plus ému par telle histoire. Mais ils s'accorderont pour dire que l'ensemble forme une sorte d'OVNI littéraire, qui a peu à voir avec les catégorisations classiques, une perle souvent méconnue, en raison, entre autres, de la difficulté de mettre la main sur l'édition française.

Sous le pseudonyme de Cordwainer Smith se dissimulait Paul M. A. Linebarger (1913-1966) ; publiant sous son vrai nom ses œuvres politiques, articles et essais, il a également utilisé d’autres pseudonymes pour d’autres types de fiction : Karloman Jungahr, Felix C. Forrest, Carmichael Smith, ainsi qu’Anthony Bearden pour la poésie. De plus amples informations sur cet auteur exceptionnel sont disponibles sur le site maintenu par sa fille (http://www.cordwainer-smith.com/).

Les Seigneurs de l’Instrumentalité conte une histoire de l’humanité au cours des 14 000 prochaines années en trente-quatre récits, puisqu’il s’agit plus d’un ensemble de nouvelles que d’un seul roman, mais ces textes se situent presque tous dans le même univers (à part peut être huit histoires, ici réparties entre le volume IV et le volume I, que l’auteur lui même plaçait à part) et certains partagent des personnages.

Cordwainer Smith n'essaie pas d’éblouir le lecteur avec un vocabulaire élaboré ou de l’entraîner par un rythme trépidant. Mais le cycle, sous son apparente simplicité, forme un ensemble magique, où s'entremêlent spiritualité, aventure, romance et toutes les facettes de la psyché humaine. Il réalise le tour de force de créer des dizaines de récits originaux. Il ne fait pas dans l'hyperréalisme et pourtant chacun de ses personnages est humain, vivant, voire lumineux. Voire inoubliable.

La nouvelle édition contient des traductions révisées et une nouvelle organisation des histoires


Les Sondeurs vivent en vain (Les Seigneurs de l’Instrumentalité I)

Non, non, pas Rogov ! et La Guerre n°81-Q (version réécrite) sont des nouvelles qui précèdent le cycle. Les autres récits qui ne peuvent que difficilement être replacés dans la saga (La Science occidentale, quelle merveille !, Nancy, Les Bons Amis, Angerhelm, Le Fifre de Bodhidharma et La Guerre n°81-Q dans la version originale) sont regroupés dans le volume I de la présente édition.

Puis viennent les récits racontant la genèse de l’Instrumentalité : le retour des trois soeurs Vom Acht de leur animation suspendue seize mille ans après la fin du troisième Reich qui les avait placées en orbite (Mark Elf et La Reine de l’après-midi). Il manque le récit qui raconte l’aventure de la troisième soeur, Karla (La Saga de la Troisième Soeur). Ce récit, présent dans les éditions antérieures, a disparu ici. Il est d’ailleurs également absent de l’édition anglaise (NESFA), dont l’ordre des nouvelles est repris dans cette édition. Ce récit, le plus axé sur la spiritualité des trois, était de Geneviève Linebarger seule. Il manque également le récit à suspens du détective sur la sinistre planète d’Olympia. Il est intéressant de se procurer les anciennes éditions pour avoir accès à ces nouvelles, ainsi qu’à la bibliographie par Jacques Goimard de tous les écrits de Paul Linebarger, y compris ceux écrits sous d’autres pseudonymes.

Les quatre nouvelles suivantes relatent les premiers temps de la conquête spatiale, lorsque n’existaient pas encore les vaisseaux planoformes et que le voyage à travers l’immensité de l’espace exigeait d’immenses sacrifices : la durée de vie dévorée par les années passées en transfert (La Dame aux étoiles), le renoncement à toute humanité (Les Sondeurs vivent en vain), la colonisation coûte que coûte, lorsque l’on n’a pour toute ressource que des réserves illimitées de population (Le Jour de la pluie humaine) ou un triangle infernal entre deux hommes et une femme confinés dans un vaisseau pour des années (Pensez bleu, comptez deux).

Mais le planoforme n’est pas sans danger. Des forces sombres attendent l’humanité entre les étoiles et si les corps des premiers explorateurs reviennent, leur esprit, lui, est peut-être resté prisonnier (Le Colonel revient du grand néant). Pour y échapper, de nouveau, des volontaires doivent aliéner leur humanité (Le Jeu du rat et du dragon). Et il faut conserver une idée de la position du vaisseau dans l’infini (Le Cerveau brûlé). Sinon, on finit par se perdre, et pas seulement dans l’espace (Lui-même en Anachron).

La Planète de Gustible est un récit plus léger, même s’il relate une rencontre qui tourne très mal entre deux espèces intelligentes. Ce thème, d’ailleurs, se retrouve dans Le Crime et la gloire du commandant Suzdal, et dans Une Etoile pour trois, qui est placé dans le tome II. Mais l’ennemi est différent dans chacun de ces cas : condescendant, agressif ou victime des circonstances. Cordwainer Smith semble avoir peu confiance dans les capacités de l’humanité à établir un contact pacifique avec d’autres civilisations...

La notion de sacrifice, voire de martyr, est centrale à la saga des Seigneurs de l’Instrumentalité. Ce n’est pas lorsque les personnages cherchent les honneurs qu’ils y parviennent au statut de héros (Le Vaisseau d’or, Le Crime et la gloire du commandant Suzdal). C’est lorsque, comme les petites D’Joan, ils sont interchangeables et que, de la sorte, ce n’est pas eux-mêmes qui atteindront la notoriété, mais l’idée qu’il représentent, qu’ils deviennent inoubliables (La Dame défunte de la ville des gueux). C’est ce qu’ils font du sacrifice ultime, celui de leur vie, qui a de la valeur, pas l’individu en lui-même (La Dame défunte de la ville des gueux, Sous la vieille Terre). Une idée très chrétienne...

La planète Shayol (Les Seigneurs de l’Instrumentalité II )

Ce deuxième volume contient certaines des plus belles histoires d’amour de la saga. Que ce soit l’amour comme filin de rappel (Le Bateau Ivre), l’amour comme part de la redécouverte de la vie (Boulevard Alpha Ralpha), l’amour condamné et pourtant porteur d’espoir (La Ballade de C’mell, Sur la planète des tempêtes) ou l’amour entre deux êtres auxquels il ne reste plus rien d’autre (La Planète Shayol).

Cordwainer Smith ne décrit pas un monde idéal. L’univers de l’Instrumentalité est cruel. D’une cruauté institutionnalisée, parfois désavouée a postériori (La Dame défunte de la ville des gueux, La Planète Shayol), mais parfois parfaitement admise (La Mère Hitton et ses chatons). Une cruauté dosée pour servir d’exemple à ceux qui dévient du chemin admissible...

Ce volume contient également la trilogie de Casher O’Neill, chevalier pas vraiment sans reproche qui poursuit sa vengeance à travers trois planètes (La Planète aux gemmes, La Planète des tempêtes et La Planète des sables), mais qui trouvera peut être plus au bout du chemin. Contrairement à Rod McBain dans Norstralie, son voyage est de nature plus personnelle, même s’il influe sur le destin de nombreuses autres personnes.

Il se termine par l’un des récits co-écrits avec Geneviève Linebarger, Jusqu’à une mer sans soleil, nouvelle empreinte de désespoir, qui ne peut bien se terminer que dans la mort.

Norstralie (Les Seigneurs de l’Instrumentalité III)

C’est dans ce troisième volume que le lecteur prend réellement conscience de la culture du sous-peuple. Les sous-êtres ne sont plus seulement des martyrs et des victimes expiatoires comme dans La Dame défunte de la ville des gueux, ou des agents infiltrés remplaçables (La Ballade de C’mell). Ils ont pris leur destin en main, ils ne sont plus téléguidés par divers Seigneurs, ils sont devenus des êtres uniques, plus seulement des symboles. Mais cette réalisation ne peut pas se faire à travers les yeux de quelqu’un habitué à les fréquenter et à les considérer comme quantité négligeable : il a fallu une vie entière au brillant Seigneur Jestocost pour comprendre. Seul un innocent, une victime peut parvenir à cette compréhension, mais ce dont les sous-êtres ont besoin, c’est de quelqu’un qui dispose d’assez de pouvoir pour les défendre...
Le jeune norstralien Rod McBain est peut être cet homme providentiel. Son voyage initiatique lui permettra de découvrir la Terre telle que personne ne l’a jamais vue. Mais cette révélation ne peut pas venir sans combattre, et sans sacrifices.
Norstralie raconte le cheminement de Rod vers l’âge adulte, ce qu’il y gagna et ce qu’il y perdit, et à travers lui toute l’humanité.

Légendes et glossaire du futur (Les Seigneurs de l'Instrumentalité VI)

Ce volume est en fait composé de deux parties distinctes : six nouvelles de Cordwainer Smith, parmi celles qu'il est difficile de placer réellement dans le cycle des Seigneurs de l'Instrumentalité, suivies de La Concordance de Cordwainer Smith, qui comprend un index et une chronologie de l'Instrumentalité et que Anthony Lewis a peaufinée soigneusement sur plus de trente ans. Ces six nouvelles forment un ensemble varié, qui donne un aperçu des thèmes favoris de l'auteur.

La Guerre 81-Q est un condensé d'action de six pages seulement et parvient montrer la vanité du concept de guerre, même lorsqu'elle est faite de la manière la plus civilisée possible. C’est une version différente de celle présentée dans le volume I que vous trouverez ici.
La Science occidentale, quelle merveille ! est peut être l'une des nouvelles de science-fiction de Smith les plus légères. La stupéfaction que peut éprouver un martien devant notre monde est sans limite. Surtout s'il tente de se faire une idée logique en observant successivement les habitants des deux blocs opposés par la Guerre Froide. Avec beaucoup d'humour, l'auteur parvient à faire sourire le lecteur des efforts si bien intentionnés du visiteur, tout en étrillant les travers des deux conceptions.
Nancy et Les Bons Amis sont des variations sur la même question, mais sont très différentes de style et de structure. Peut-on trouver le bonheur par l'imagination seule ?
Angerhelm est, de nouveau, sur le fond de la Guerre Froide. Sur des militaires et diplomates qui ne reconnaîtraient pas une expérience spirituelle si elle venait frapper directement à leur satellite. Et sur deux frères, aux vies complémentaires…
Enfin, Le Fifre de Bodhidharma, fifre magique et révélateur qui finit mal. Ou bien ?

J’arrête ici, je me suis déjà bien trop étendue. Il est impossible de résumer ces récits en faisant passer toute l'émotion qu'ils contiennent. Je ne peux vous donner qu'un conseil : procurez-vous l'œuvre de Paul Linebarger et faites en bon usage. Quel que soit votre type de récit préféré, fantasy, fantastique, science-fiction, que vous soyez accro de cyberpunk ou de hard SF, essayez le cycle des Seigneurs de l'Instrumentalité. Vous ne le regretterez pas.

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