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Les Sources du temps

Langue d'origine : Français
Aux éditions : 
Date de parution : 28/02/2005  -  livre
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Les Sources du temps

Un des paradoxes du marasme ambiant de l'édition, c’est que des maisons très moyennes, voire pire dans le cas qui nous occupe, parviennent à accrocher à leur tableau de chasse d'insolites ouvrages, dont certains ne sont pas dénués d'intérêt. C'est en quelque sorte, pour vous lecteurs, la prime à la curiosité. Le psylo sous la bouse de vache, sachant que bien souvent, sous la bouse, il n'y a jamais que de la merde.

Mais il faut se méfier des apparences ! Du sieur Leboutet, outre qu'il est Niçois, on ne sait pas grand-chose. Inconnu sur le front de la nouvelle professionnelle. Pas même un fanzineux de renom. Rien. Même nos meilleurs indics locaux n'ont pu nous en dire plus. Dans ces conditions, l'option space opera de 600 pages en guise de premier roman est gonflée, voire foutrement couillue. Et avouez-le… ça a de quoi faire peur. D'autant que rien n'est vraiment engageant dans l'affaire. Une couverture qui évoque plus un traité new-age-neo-baba, et un format qui m'a attiré dans le métro bien des regards intrigués de gens se demandant pourquoi je lisais le dictionnaire dans les transports.

Côté quatrième de couv', l'extase n'est toujours pas au rendez-vous. Mais on fait acte de civisme, et on attaque.

Et l'un dans l'autre, on fait bien !

Pourquoi pas

Pourtant on ne sait trop comment l'histoire de Arm, négociant trans-spatial se faisant aborder dans un bouclard perdu aux confins de l'univers parvient à nous accrocher, mais le fait demeure : on se laisse entraîner.

Marchand stéréotypé, Arm fait donc la connaissance de la non moins archétypique Palm, ancienne programmatrice pour la Marine, canon intersidéral et motarde en V8 puisqu'il faut bien caractériser un peu ses personnages. Bien trop lentement, on apprend que Palm faisait partie d'un équipage d'élite exclusivement constitué de femmes (lire "lesbiennes") chargé de faire la lumière sur de mystérieuses disparitions de navires marchands. On découvre dans la foulée, qu'à l'origine du phénomène, se trouvent les Zongs, une race alien détentrice d'une technologie leur permettant d'évoluer dans les replis du temps, les rendant ainsi invisibles aux yeux de tous. Naturellement la mission du Goudou Spaceship ayant mal tournée, c'est pour régler ses comptes avec un passé douloureux que Palm est venue demander son aide à Arm.

Tout ça c'est du déjà lu. Mille fois même. Pire encore. France Europe Edition n'entretenant qu'un lacunaire cousinage avec le métier d'éditeur, on doit en plus subir les pires avanies : une typo d'un autre âge, un grammage de papier de toile à enduire, une relecture inexistante qui ne recule même pas devant les inversions de noms des personnages, et surtout l'absence totale, abyssale, insondable, pélagique, de direction littéraire. Une béance qui conduit à de dramatiques défauts de structure, et Alain Leboutet enfile une à une les erreurs du romancier débutant. Le manque d'équilibre des parties, la redondance inutile de l'information ou sa propension au Syndrome du Grand Nulle Part par exemple, et qui se caractérise par une absence de décor, de description des personnages et un sens lapidaire de l'élision (il est à noter que le Syndrome du Grand Nulle Part, n'est en fait qu'une forme réactive du Syndrome Flaubert qui consiste très exactement à faire l'inverse, c'est-à-dire noyer son propos sous un océan de descriptions, de préférence fort longues, et si possible truffées de mots compliqués).

Et pourtant…

Et pourtant, ça fonctionne. On pourrait bien-sûr y voir une certaine indulgence pour un livre dont on ressent la longue gestation tout le long de la lecture. Faire montre d'une certaine tendresse pour cet effort sincère et soutenu. Mais ce n'est pas tout. Au-delà de ses carences, et sans compter sur les qualités intrinsèques du texte, Les Sources du temps se laisse lire. On y prend même un plaisir certain, qui, force est de l'admettre, ne peut guère s'expliquer autrement que par un brin de talent qu'entretient Alain Leboutet. Et on ne peut s'empêcher de se demander ce qu'aurait pu donner ce long roman, habilement consolidé par les conseils d'un directeur littéraire. Car même ainsi, Les Sources du temps mérite sa chance. Même ainsi, il soutient sans faillir la comparaison avec certains livres anglo-saxons d'auteurs pourtant plus confirmés (pour ce que ce type de comparaison peut valoir, il va sans dire). Seuls bien-sûr les plus avertis des lecteurs du genre pourront, ou voudront, s'y aventurer, mais ceux-là n'auront pas à rougir. Si ce premier roman pourra gagner sa place dans votre bibliothèque, ce sera bien sur vos rayonnages, et non pas, comme on aurait pu le craindre d'abord, son pied gauche, pour la caler.

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