« Les nuages sont lourds et noirs ; comme ce monde à l’agonie. J’ai froid.
Lucité est déserte, rongée par le temps. Les immeubles m’entourent en enfilades mornes et effondrées. Je ne dois pas perdre une seconde. Mes prochains morts m’attendent. Et s’ils ne le savent pas encore, je dois me préparer à les recevoir au seuil de leur voyage pitoyable vers le néant. Je leur apprends à voler. »
Futur noir. Un tueur professionnel abat plusieurs personnes dans un immeuble de la ville presque morte de Lucité. Parmi elles, Thelonious et Martha, les grands-parents du petit Orvil Fisher. Celui-ci est gravement blessé au bras et doit sa survie à l’intervention rapide du médecin secouriste Lake Harrison. Confié à un chirurgien douteux, mais talentueux, Fisher hérite d’un nouveau bras, copie nanoboostée de l’original. Cependant, Orvil ne parvient pas à oublier son bras fantôme et la mort de ses grands-parents, et n’aura de cesse de rechercher le responsable.
« Tous les jours sont bons pour mourir. »
Sixième tableau de cette fresque funeste que Thierry Di Rollo a choisi d’appeler « La Tragédie Humaine », Les Trois reliques d’Orvil Fisher offre, une fois de plus, le portrait d’un homme perdu dans un futur oppressant, moribond, sans espoir et où la vie humaine n’a plus de signification – si elle n’en a jamais eu.
On le sait, ouvrir un livre de Thierry Di Rollo c’est accepter une vision totalement noire du monde, que certains trouveront glauque et malsaine, tandis que d’autres y verront la marque d’une triste lucidité sur la société des hommes. Qu’on accepte ou non cet état d’esprit, on est obligé de reconnaître à l’écrivain une efficacité, une précision d’écriture et une prise de risques qui ont fait de lui une des voix les plus pertinentes de la science fiction française de ces dernières années – Di Rollo est peut-être même le seul écrivain français à écrire de vraies visions dangereuses. À ce titre, un roman de Thierry Di Rollo est et sera toujours un événement majeur.
« Avez-vous appris au moins quelque chose ? »
Une fois les mondanités d’usage passées, il faut bien avouer, la mine défaite, que la lecture des Trois reliques d’Orvil Fisher présente peu d’intérêt. Certes, le style de Di Rollo s’est affûté et l’écrivain semble arrivé à son meilleur niveau. Certes, replacé dans la vision d’ensemble que constitue la Tragédie Humaine, ce roman apporte des éléments intéressants et complémentaires (le rapport à la mort, aux animaux, aux ressources naturelles, au noir). Certes, de nombreux passages sont intrinsèquement très bons (on retiendra notamment l’entrée en matière à Lucité et les interludes). Mais ça ne suffit pas à en faire un roman. Ça n’a jamais suffi.
Comme Meddik – mais en plus supportable (car plus court ?) -, Les Trois reliques d’Orvil Fisher se concentre sur l’évolution de son personnage principal au fil de différents tableaux tirés de sa vie. Si cette évolution est plutôt pertinente en soi, il manque une histoire pour la sous-tendre et donner ainsi un moteur, un rythme au roman. Une fois passés les deux premiers actes prenants (Lucité et Lorn), la cadence jusqu’à alors soutenue du récit ralentit pour finir par entrer en hibernation, victime des tergiversations mollassonnes d’Orvil qui ne débouchent sur rien de concret, ou si peu.
Se concentrant sur Orvil, ses actes et ses états d’âme, Thierry Di Rollo n’approfondit aucun des éléments qui l’entourent, excepté la relation avec Lauryanne (une Kate Beckinsale-like) dont les aspects sexuels paraissent trop forcés. Les girafes, l’anhumain, les enjeux géopolitiques autour de l’eau, les Noircisseurs, toutes les trouvailles du récit qui éveillent l’attention, et il y en a un paquet, sont effleurées, réduites en fin de compte à un simple décorum non exploité.
« Si cette caricature de monde n’a aucun sens, j’en donne au moins à ce que j’accomplis. »
Arrêtons-nous sur la quête d’Orvil, puisque c’est là-dessus que Di Rollo centre son roman. Est-elle suffisante pour justifier l’intérêt du roman ? Oui, non, peut-être, quoique. Bref, à vous de voir. En résumé, Orvil essaye de trouver un sens à la vie, et au fur et à mesure se retranche dans la conviction que seule la mort donne un sens à la vie. Point positif : la mise en pratique de ce postulat est bien vue et illustrée dans les métiers successifs d’Orvil qui le conduisent tous à semer la mort, dans le passage initial du massacre (les personnages sont décrits // existent au travers de leur mort) ; dans le rapport d’Orvil avec Lauryanne (s’il veut la posséder vraiment, il doit la tuer - car ainsi il donnerait un sens à sa vie). Point négatif : ce postulat n’a rien de nouveau et les réflexions // dialogues sur le sujet finissent rapidement par tourner en rond.
Alors oui la démarche de Di Rollo est cohérente, elle séduit sur le principe, mais elle ne peut pas convaincre, à mon humble avis de lecteur et de fanboy, car sans enjeux dramatiques pour la mettre en relief, elle ne peut pas exister au-delà de son simple énoncé.
On pourra trouver ce jugement sévère – car après tout Les Trois reliques d’Orvil Fisher n’est pas un mauvais roman –, mais après deux romans brillants et où la thématique était défendue par une vraie histoire (La Lumière des morts et La Profondeur des tombes), Di Rollo livre deux romans ternes qui échouent faute d’essayer. Thierry Di Rollo semble se perdre dans une fresque dont on n’entrevoit ni le début, ni la fin et encore moins le sens. Certes, tout cela est peut-être joliment noir, efficace, lucide, éclatant et du genre qui défonce le coccyx d’une science fiction franchouillarde impuissante, mais au final aurons-nous appris au moins quelque chose ?