Sam Cornell vient de signer un western lovecraftien, Gold Rush. L'occasion était belle de lui poser quelques questions...
Actusf : Après La Collision des mondes, te voici de retour avec Gold Rush. Comment est née l'idée de cette histoire ?
Sam Cornell : La spoliation des terres indiennes pendant la conquête de l’Ouest est un sujet sur lequel je souhaitais me pencher. C’est une certaine injustice faite à ces peuples et à leur culture. Et en réalité, si l’on regarde bien, cela ne se limite pas à cette époque ni au nord du continent. Cela a débuté au moment même où les Européens ont mis le pied en Amérique, qu’elle soit du Nord ou du Sud. Dans une courte phrase, je l’avais déjà effleuré dans « La Collision des Mondes », sans toutefois rentrer dans les détails, car ce n’était pas le lieu approprié.
Concernant la période traitée dans « Gold Rush », j’avais il y a quelque temps regardé un documentaire sur une chaîne d’histoire qui abordait cela de façon objective, en présentant les coulisses politiques et les motivations cachées derrière l’appropriation des Black Hills. Tout cela me fournissait un contexte et un lieu précis, mais n’était clairement pas suffisant pour produire une histoire. Il me manquait toujours des personnages et des événements dramatiques à raconter.
Puis, une idée a germé dans mon esprit, diffuse au départ, et de plus en plus nette.
À cette époque, je poursuivais l’écriture de mon prochain roman, « Terre Promise », qui continuait d’accumuler les signes sur les pages de mon traitement de texte. Et puisque c’est un travail de longue haleine, je laisse maintenant reposer un manuscrit chaque année pour tester autre chose. Je voulais me confronter à la novella, un format court, mais pas aussi étroit que la nouvelle.
J’avais en tête, la chute, l’introduction et les grandes lignes, qui, pour l’anecdote, tenaient sur une feuille de carnet A6 griffonnée lors des Mystériales 2022. À l’instar de ce que j’avais déjà fait dans « La Collision des Mondes », tout cela mêlait histoire et fantastique. J’en étais ravi. Il ne me restait plus qu’à le coucher sur le papier, ce que j’ai fait lors de vacances à Séville au cours de l’été 2022.
Actusf : On est dans le Dakota en 1876. C'est un western aux accents lovecraftiens. Quels sont tes rapports au Western et à Lovecraft ?
Sam Cornell : À vrai dire, pendant longtemps, le western ce n’était pour moi que de vagues souvenirs d’Eddy Mitchell et de sa dernière séance, des films qui fleuraient bon la testostérone et le manichéisme tout en vous invitant au voyage dans des paysages somptueux.
Lorsque je suis devenu adulte, de très longs métrages comme « Il était une fois dans l’Ouest », « Little Big Man », « Danse avec les Loups », et même « Impitoyable » m’ont présenté une version plus sombre et réaliste de cette période. Elle m’est alors apparue plus « intéressante ».
Concernant Lovecraft, comme un certain nombre de mes collègues romanciers, je suis tombé dedans adolescent, dans les Années 80, à une période où ses écrits étaient une lecture de niche, moins connue, et moins pop culture. Fasciné par cette imbrication de l’étrange dans le réel, je quittais alors la fantasy pour plonger avidement dans les œuvres fantastiques de Poe, Wells et bien sûr, Lovecraft.
Je pense avoir tout lu de lui. Ses atmosphères lugubres et les sensations qu’il procurait ont nourri ma passion pour son univers insolite, si différent de ceux proposés par d’autres auteurs fantastiques. Depuis, le virus ne m’a plus quitté et je replonge régulièrement dans ses écrits ou ceux qu’il a inspirés.
En ce qui concerne les miens, je ne peux nier que « La Collision des Mondes » et « Gold Rush » évoquent ce genre d’ambiance sinistre, mais ils ne s’inscrivent pas directement dans la mythologie qu’il a imaginée, faite d’entités aux noms imprononçables, d’adorateurs fous et de créatures abominables. C’est pour cette raison que j’emploie plutôt l’adjectif, « lovecraftien », pour les qualifier.
Actusf : On est quelques semaines après Little Bighorn... Est-ce que tu as besoin de documentation sur cette période assez particulière ?
Sam Cornell : Aimant tisser mon récit fantastique dans une trame historique, j’essaie d’accorder un temps important à la préparation et à la recherche documentaire. Ancrer la narration dans l’histoire permet de mettre un coup de projecteur sur des périodes méconnues ou éclairer les ombres de celles que l’on croyait connaître. Cela entretient le flou entre réel et imaginaire. C’est un exercice de style palpitant, mais assez délicat. Il faut garantir un minimum de véracité historique tout en dosant le nombre d’informations fournies au lecteur pour préserver une certaine fluidité.
Pour « Gold Rush », afin de coller au mieux aux événements, je devais donc me renseigner sur la bataille de Little Bighorn et la traque calamiteuse qui s’ensuivit, puis la confrontation dans les Black Hills. Cette recherche peut aller jusqu’aux régiments présents, la biographie de certains personnages ou les munitions employées.
Actusf : Est-ce que c'est difficile de se mettre dans les pas de Lovecraft, de suggérer l'horreur comme il le faisait ?
Sam Cornell : Je n’aurais pas la prétention de dire que mes écrits atteignent sa maestria dans la suggestion de l’horreur. Si le lecteur le ressent ainsi, tant mieux, c’est flatteur, d’autant plus que je ne cherche pas à pasticher Lovecraft ni à m’inscrire dans le Mythe de Cthulhu. Je fais tout mon possible pour développer mon style personnel et mes propres univers.
Mais en effet, je crois que cela réside dans l’équilibre qu’il faut maintenir entre description et suggestion. Il faut en donner suffisamment pour que le lecteur puisse se créer ses propres images mentales, les plus angoissantes possibles, sans trop en dire néanmoins afin de préserver cette aura de mystère qui amplifie l’effet. Je crois surtout qu’il faut provoquer chez le lectorat des sensations et des sentiments plutôt que de le bombarder de détails trop précis.
Actusf : Tu suggères au début du livre une bande originale pour cette lecture, comment l'as-tu composée ?
Sam Cornell : J’ai toujours aimé ce morceau de la bande originale du « Bon, la Brute et le Truand » de Sergio Léone (un film qui traite de la cupidité humaine). Son titre, « Ecstasy of Gold », collait parfaitement au thème de la novella qui se déroule sur fond de ruée vers l’or.
Actusf : Quels sont désormais tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Sam Cornell : Je termine actuellement le premier jet de « Terre Promise », un roman d’anticipation pré et post-apocalyptique qui approche le million de signes. Sur deux trames temporelles distinctes, nous découvrons les destinées tragiques de mes personnages principaux. D’une part, Nathan Travies, un surdoué de la robotique qui deviendra un puissant magnat de l’industrie américaine. Et d’autre part, Mina, une jeune femme, qui, cent cinquante ans plus tard, traversera les États-Unis dévastés pour retrouver son frère. Mais il me reste encore du travail de peaufinage, de correction, et de bêta-lecture, avant de le soumettre…