Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi est certes un premier roman, mais les talents de plumes de l'auteur ne sont pas tout à fait inconnus, puisque, Mathias Malzieu est le lutin frénétique de Dionysos. Et si depuis quelques années déjà le groupe Valentinois a su imposer son univers très personnel dans le petit landernau de rock pasteurisé, les textes de Mathias Malzieu y sont pour beaucoup.

Un gamin rêveur monté en graine

Il écrit comme il imagine. Comme un gamin rêveur monté en graine. Un gamin qui vient de perdre sa maman.

Il vient de perdre sa maman, et se retrouve à attendre sur le parking d'un hôpital de Valence que son père et sa sœur reviennent d'être allés chercher la dernière robe de celle qui vient de partir.

Et lui n'en revient pas qu'elle soit partie. Il aimerait ne pas y croire, mais c'est déjà trop tard. C'est là, sur ce parking, en fouillant les effets personnels de celle qui n'est plus, en scrutant ces petits morceaux de souvenirs laissés aux vivants, qu'il trouve une drôle d'horloge arrêtée. Au dos une inscription. Une invite. Il suffit de chanter, et ça, chanter, Mathias il sait faire. Alors il chante. Et ça marche. Parce que c'est en chantant qu'on fait appel aux services de "Giant Jack, passeur entre les mondes, médecine par les ombres, spécialiste des problèmes de vie malgré la mort."

Jack mesure quatre mètres de haut, parle avec un accent écossais et à la tête de Robert Mitchum. Il mange des arbres en entier, des pommes de pins fourrées à la limace, il a un sens de l'humour un peu morbide, et quoi d'autre encore… Ah oui ! Il donne des morceaux de son ombre gigantesque pour vous protéger du froid de l'absence. C'est multi-usages. Vous pouvez vous en faire des cataplasmes de souvenirs, en faire de la bourre à trous dans le cœur, voler avec, ou vous cacher dedans pour vous planquer de la mort. Et pour les cas désespérés, Jack préconise la lecture, qui garde grandes ouvertes les portes sur ailleurs. Et précisément, Mathias est un cas désespéré. C'est normal. Sa maman est morte.

Respirateur artificiel

Difficile de dire où s'arrête le besoin d'exorcisme et où commence le plaisir de la fiction pour Mathias Malzieu. Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi est avant tout une urgence cathartique. Face à la perte, c'est un premier roman en forme de respirateur artificiel de l'imaginaire que nous livre un enfant perdu. Le chanteur de Dionysos a des réflexes d'écriture. L'habitude des collages d'idées incongrus qui font mouche, du rythme des mots. Il sait les faire chanter. Mais là, il n'y aura pas de musique dessus. Là il faut qu'il se suffisent à eux-mêmes. Et ce qui fait le charme d'un Western sous la neige, se transforme en mécanique de protection. Une distance s'installe. Mais pourquoi pas après tout.

Seulement voilà. Quelques courts chapitres, le temps pour lui de se rappeler qu'il a plus que trois minutes et quinze lignes devant lui, et c'est un écrivain qu'on découvre. A mesure que le temps passe, qu'on va vers la lumière au long de ce sentier initiatique, on a droit à quelques très belles pages, toutes en émotion. A la fois très personnelles et très pudiques. Il nous invite dans son intimité, mais sans gêne. Très simplement. On partage quelques miettes d'un bonheur qui s'est ébréché, mais qui survivra à son passage dans les ténèbres. Oh ! Les vieux réflexes émergent bien encore bien de loin en loin, et à l'occasion même, peuvent agacer un peu, mais l'essentiel est là. Car, à l'image des lambeaux d'ombres qui resteront attachés à Mathias, une fois refermé, Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi laissera accroché derrière lui des lambeaux d'un bonheur serein.

Grave et léger, intime et pudique, triste et drôle, c'est un premier roman intelligent, fin, tout en contraste. Un roman sincère dans ce que ça a de plus noble. A l'image du bonhomme en fait.