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Matriarchie, suivi de La Fourmilière
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Matriarchie, suivi de La Fourmilière

Dans l’abondante liste des correspondants de Lovecraft figurait un jeune auteur dont le nom serait plus tard rendu célèbre grâce à l’adaptation de son roman Psychose par Sir Alfred Hitchcock. Mais la carrière de Robert Bloch ne s’est pas limitée à cet unique sommet, et son parcours ressemble beaucoup à celui de ses confrères Ray Bradbury et Richard Matheson. Comme eux, il a beaucoup travaillé pour le cinéma et les meilleures séries télévisées de l’époque (Au-delà du réel, Alfred Hitchcock présente, Star Trek…), mais il a surtout écrit un nombre considérable de nouvelles et de romans. Bien qu’il ait été plus connu pour ses thrillers et ses récits fantastiques, Robert Bloch aura aussi laissé à la postérité un magnifique roman sur l’âge d’or du cinéma muet, Le Crépuscule des stars, ainsi que des récits de science-fiction que l’on aurait tort de négliger.

 

Il ne faut pas diviser les problèmes, ça les multiplie !

En 1997, la population de la Terre est si nombreuse que la crise du logement oblige la majorité des travailleurs à effectuer quotidiennement plus de six heures de trajet depuis leur domicile. Comme prévu par les projections les plus optimistes, les embouteillages sont monstrueux, la forêt amazonienne a été rasée, la situation en Afrique n’est guère plus reluisante et l’alimentation naturelle est désormais réservée aux oligarques… Seul le mouvement des rebelles Naturalistes semble encore lutter pour revenir à un mode de vie plus raisonnable, mais ils sont impitoyablement éliminés par les tenants du système en place. C’est dans ce contexte déprimant que Harry Collins tente de se défenestrer. Il reprendra conscience dans le merveilleux environnement d’un sanatorium à la campagne ! Mais les créateurs de cette thérapie paradisiaque ont des objectifs secrets et entraîneront Harry malgré lui dans un projet visant à régler définitivement l'amenuisement de l'espace vital…

Et si la seule façon de résoudre les difficultés était d’en créer de nouvelles ? C’est ce que semble insinuer Robert Bloch dans La Fourmilière, une novella parue en 1958 dans les pages du magazine Amazing science fiction. Depuis cette date, l’humanité a plus que doublé et dans les récits de nos auteurs modernes, le thème de la surpopulation s’est affiné en mettant plus précisément l’accent sur ses conséquences dramatiques : pollution, dérèglement climatique, flux migratoires, épuisement des ressources naturelles… Malgré la présence un peu datée de nombreux dialogues informatifs, La Fourmilière n’est heureusement pas dépourvu de rythme et l'importance du thème parvient sans peine à maintenir l’intérêt du lecteur, porté par les nombreux rebondissements et quelques touches d’humour noir bienvenues. Cette Fourmilière laisse après les dernières lignes un souvenir durable qui alimentera certainement l’engagement écologique des lecteurs les plus sensibles.

 

Allez, hop’op’op’ ! Les femmes au boulot, les hommes à la cuisine !

Lorsque Dale s’éveille d’un sommeil cryogénique induit pendant la guerre mondiale de 1971, il a la surprise de découvrir une société dans laquelle la hiérarchie sociale (celle des siècles précédents, bien entendu…) est inversée : les hommes sont désormais entièrement soumis aux femmes. Mais aussi surprenante que soit cette Matriarchie totalitaire, est-elle aussi féministe qu’elle le semble ? Les femmes ne se sont-elles pas contentées d’inverser les rôles en reprenant sans les modifier les comportements masculins qu’elles critiquent ? Quelques renégats ne sont pas dupes, d’autres tentent de rétablir l’ordre ancien... Pris entre ces deux options manichéennes, Dale trouvera-t-il une voie plus raisonnable ?

D’un point de vue stylistique, Matriarchie est un texte plus satisfaisant que le précédent, même s’il ne correspond plus tout à fait aux attentes narratives d’un lecteur du vingt et unième siècle. L’histoire commence cependant avec dynamisme et se poursuit avec d’amusantes théories, distillées sous forme de dialogues à prendre au second degré. Car l’auteur ne se dispense pas d’ironiser sur les relations entre hommes et femmes, chacun des deux sexes en prenant pour son grade ! En effet, si l’on accuse parfois les livres d’histoire d’avoir longtemps minimisé le rôle des femmes, une histoire émasculée qui ferait l’impasse sur les hommes, ou leur attribuerait l’exclusivité du Mal, serait tout aussi caricaturale. Bien entendu, certains des problèmes évoqués n’ont plus la même pertinence qu’à l’époque de la rédaction de ce récit et plus personne n’est choqué de constater que les femmes mènent une vie professionnelle au lieu de rester au foyer… Il y a un bon demi-siècle, c’était encore loin d’être acquis, et ces éléments nous permettent de constater le chemin parcouru. En science-fiction, un certain nombre d’auteurs, mâles et femelles, se sont penchés sur la question de la domination sexuée. La plus grande partie de ces romans ont un point commun, c’est celui de n’envisager les relations entre les sexes que sous l’angle des rapports de force et de pouvoir. N’y aurait-il donc aucune alternative ? Robert Bloch nous livre néanmoins un pamphlet réjouissant et qui a encore toute sa place dans nos bibliothèques modernes.

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