« Peindre. C’est le mot magique. Peindre des scènes avec des mots. C’est le meilleur conseil que je puisse donner. Peindre les scènes avec des mots. Ainsi la scène apparaîtra dans l’esprit du lecteur qui pourra dire Je la vois. » Brian Jacques dévoile en ces termes ses secrets d’écrivain sur son site. Nous ne lui dénierons pas ses qualités de peintre, aussi doué pour les portraits que pour les paysages, mais nous voyons cet auteur prolifique plus comme un bâtisseur d’univers. Dans la plus pure tradition du compagnonnage, il a fait le tour du monde pendant sa carrière de marin, et de retour à Liverpool où il est né en 1939, a exercé de nombreux métiers, accumulant un matériau impressionnant d’images et d’idées. Il pose la première pierre de Rougemuraille pour un groupe d’enfants aveugles, élèves d’une école où il livrait le lait.
Cette saga animalière compte à ce jour dix-sept tomes, a été traduite en dix-sept langues, a été adaptée en opéra et en feuilleton télévisé. Elle a déclenché enthousiasme et engouement chez les jurés de nombreux prix littéraires, chez des millions d’enfants mais aussi chez leurs parents et professeurs puisqu’en France, elle a été recommandée par l’Education nationale comme une approche du bestiaire médiéval.
Les éditions Mango poursuivent leur réédition de cette œuvre aussi ambitieuse que palpitante en grands volumes, chacun couvrant un cycle. Ainsi Mattimeo rassemble Salik le Barbare, Le Général Becdacier, Le Royaume du mal.
Enfants enlevés et abbaye assiégée
Salik le Barbare entend avoir sa revanche sur les habitants de Rougemuraille et pour ce faire décide de s’en prendre à ce que ceux-ci ont de plus précieux et de plus fragile : leurs enfants. Déguisés en saltimbanques, lui et ses complices arrivent à endormir la méfiance de toute la communauté et, à l’aide de drogues, la plonge dans un profond sommeil. Au réveil c’est l’affliction : les enfants ont disparu, Hugo le cuisinier et lici Camparaigne sont morts. Mathieu, Basile et Jeannette s’élancent à la poursuite des kidnappeurs en direction du royaume de l’infâme Malkaris à qui Salik a l’intention de vendre ses prisonniers.
Profitant de l’absence des guerriers de l’abbaye, une escadrille de pigeons tente de s’approprier les lieux. Commence un siège où la ruse des habitants affronte la violence bête des assaillants.
Des renforts inespérés viennent rallumer l’espoir de la communauté doublement en danger. Suffiront-ils pour déjouer les plans de Salik, de Brindacier et de Malkaris ?
Attention, vous pourriez vous aussi vous retrouver pris au piège…
Ce livre, comme tous ceux rattachés à Rougemuraille, est dangereux. Une fois plongé dedans, vous perdez le contrôle, votre volonté ne vous obéit plus, terrassée par votre envie de découvrir l’issue de ces envoûtantes aventures, de les parcourir d’une seule traite.
Première source de cette paralysie de votre volonté, la succession d’évènements qui s’enchaînent selon un rythme rondement mené. Les situations se nouent et se dénouent avec beaucoup de subtilité, trompant souvent les attentes ou les intuitions du lecteur. Dans ce tome, les alliances, les traîtrises et les renforts inversent les rapports de force d’une ligne à l’autre.
En plus d’une imagination fertile qui tisse le fil des intrigues comme une araignée sa toile, Brian Jacques a le sens du détail. Le rets qui captive votre esprit compte mille raffinements qui instaurent une ambiance toute particulière. La vie quotidienne des animaux est décrite très précisément et le menu de leurs banquets ou la liste des crus de la cave vous mettra l’eau (et le vin) à la bouche.
Enfin, la force irrésistible de Rougemuraille réside dans la galerie de ses personnages. Du trognon Bébé Boule et son joyeux babil, au sentencieux Messire Hubert et ses versifications de circonstance, en passant par le fanfaron Basile, chacun des protagonistes – figures principales de la saga aussi bien que apparitions fugaces - de nombreuses raisons et façons de vous plaire ou vous déplaire… Et ce, sans tomber dans le manichéisme, car les héros traversent des moments de doute, sont en proie à leurs contradictions. Les rapports des animaux entre eux jouent un rôle primordial dans le récit, démontrant par exemple que l’union fait la force. Même si leurs capacités sont liées à leur nature animale (les taupes étant par exemple réquisitionnées pour creuser), leurs comportements et leurs sentiments restent très humains dans la lignée des fables d’Esope ou celles de Jean de la Fontaine. Cet anthropomorphisme permet la complexité de l’histoire et instaure l’identification. D’ailleurs, Brian Jacques explique son choix de souris au cœur de son œuvre : « Les souris sont mes héroïnes parce que, comme les enfants, elles sont petites et doivent apprendre à être courageuses et à utiliser leur intelligence. »
Chaque épisode de Rougemuraille déroule sur ce principe une histoire savoureuse pour aider les plus petits à grandir en douceur et les plus grands à renouer avec le meilleur de la littérature jeunesse.
La chronique de 16h16