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Mémoire vive, mémoire morte

Gérard Klein ( Auteur), J. Paternoster (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/09/2007  -  livre
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Mémoire vive, mémoire morte

Après La Loi du talion en 2006, voici que paraît un nouveau recueil de nouvelles de Gérard Klein, Mémoire vive, mémoire morte, dans la collection Ailleurs et Demain. Cet ouvrage, comme le précédent, est une réédition de textes anciens mais puisés ici pour un tiers dans Les Perles du temps, à l’exception notable des Trois belles de Bréhat, inédit publié dans le présent volume.

Passé la belle et géométrique couverture (le rouge Klein des récentes productions A&D va-t-il être breveté au même titre que le célèbre IKB d’Yves Klein ?), le lecteur est confronté à un important travail éditorial : préface, postfaces, dont une bibliographie effectuée par le site XLII. Confronté certes… mais aussi un peu intimidé par cette phrase inaugurale « Attention ce recueil est historique » (même si le novelliste en explicite tout de suite la véritable signification). Le propos relève surtout de la provocation amusée, amusement qui transparaît de façon oulipienne dans certains récits. Plus profondément, ainsi que l’a détecté Jeury, émerge chez Klein un lyrisme, une sensibilité, voire une sensiblerie qu’il s’efforce de maîtriser parfois abruptement.

Futurs incertains

Gérard Klein a divisé son ouvrage en quatre parties, correspondant à des thématiques ou inspirations diverses. En premier lieu Naguère, comprend trois nouvelles très intéressantes voire majeures sur lesquelles il convient de s’attarder.

Tout d’abord, La Serre et l’ombrelle. Au XXIème siècle (le temps rattrape la fiction…), la Terre subit un réchauffement climatique. Une veille écologique est assurée par des Veilleurs et des Guetteurs. Au sein d’une infosphère constituée d’innombrables systèmes vidéo satellitaires ou terrestres, ils détectent et anticipent tout dérèglement atmosphérique. Pour compléter ce dispositif les hommes ont construit « l’Ombrelle », un paravent gigantesque situé en orbite terrestre sur un point de Lagrange et constitué de myriades de feuilles de silice aluminisées, capables d’intercepter une fraction du rayonnement solaire. Mais l’humanité souffre. L’Ombrelle joue-t-elle vraiment son rôle ? C’est la question qui surgit lorsqu’un Guetteur apprend qu’un groupe de terroristes risque de faire exploser une bombe nucléaire dans une ville de la Confédération de l’Inde ravagée par la sécheresse… Au total un beau texte de circonstance écrit pour Libération, très clarckien dans son traitement, une réflexion écologique, éthique (cf. l’allusion au texte d’Aragon Est-ce ainsi que les hommes vivent ?), mais qui retombe un peu comme un soufflé sur la fin (l’auteur s’en explique d’ailleurs).

Deuxième texte marquant, Mémoire vive mémoire morte. Dans un proche avenir, les êtres humains ont la possibilité de bénéficier, dès leur naissance, d’un implant mémoriel. Cette prothèse leur permet d’enregistrer tous les événements de leur vie via les canaux sensoriels et de les restituer à la demande. Qui n’a rêvé ou redouté d’accéder à son passé ? Sur le thème de l’identité contre la mémoire, Klein livre un texte superbe, une histoire d’amour très éloignée de la linéarité splendide de Sous les cendres, qui figurait dans La Loi du talion, et qui s’emballe à la fois conceptuellement et stylistiquement une fois passé quelques premières pages explicatives. Entre autres surprises – l’auteur raffole de ces allusions subliminales – on y trouve une référence à Oh les beaux jours de Beckett. Ce dernier déclara à son actrice principale, lors d’une répétition : « Je me suis dit que la chose la plus terrible qui puisse arriver serait de n’être jamais autorisé à dormir, comme si juste au moment où on était en train de s’assoupir un grand "Dring" obligeait à rester éveillé ». À bien y réfléchir c’est tout le propos de Mémoire vive mémoire morte.

Enfin, dernière nouvelle remarquable de cette première partie, ACME ou l’anti Crusoé. De retour d’une expédition sur Alpha du Centaure, un astronaute en orbite autour de la Terre attend désespérément qu’une navette vienne le chercher. Thème traité par exemple par Aldiss dans Croisière sans escale ou Dick dans Au bout du labyrinthe, mais qui est l’occasion ici d’un délire verbal et calligraphique.

L'attente et la solitude

Dans la deuxième partie, Jadis, le lecteur trouvera des textes moins récents. Le Monstre, La Fête, Les Abandonnés, Les Voix de l’espace, déclinent le thème du contact avec les ET. D’autres récits tels Impressions de voyage ou Bruit et Silence – qui n’est pas sans évoquer L’Oreille interne d’ailleurs – explorent les déserts de l’attente et de la solitude. Sans oublier le très classique et anthologisé Civilisation 2190. Un ensemble de nouvelles que d’aucun trouveront peut être un peu lentes, mais d’une mélancolie et d'une sensibilité proches de celle du regretté Michel Demuth, et enfin et surtout, écrites dans une langue sans défaillance comme en témoigne cet extrait de La Fête où une jeune femme contemple un feu d’artifice : « Les fusées étaient des yeux. Mais elles ne regardaient jamais la Terre. Lorsqu’elles se penchaient sur la ville et les orchestres, les feux, les lampions et les danseurs, elles mouraient, elles s’effaçaient. Cela était un signe. Nous sommes quelque chose comme les fusées pensa-t-elle. Un compromis perpétuel. Nous tombons sans trêve ni fin. Et nos souvenirs sont des regrets. Il n’est rien de ce que je vois ou de ce que je pense, que je puisse espérer songer ou regarder avec autre chose que mes yeux et mon cerveau de vingt ans ».

Un inédit

Enfin, Brèves et Temps Incertains regroupe des textes de circonstance comme Spéculons sur l’avenir où l'économiste Klein refait surface, des variations sur le thème du dernier homme sur Terre, dans Dernière idylle, Le Rôle de l’homme, et l’original et inédit Les Trois belles de Bréhat. Nous voici, là, sur les terres de Tiptree, une méditation sur l’absolue attirance et étrangeté des femmes...

Pour terminer une fin du monde en douceur : Point final.

En épilogue de ce beau et hétérogène volume, une remarque : Civilisation 2190 a été publiée jadis dans l’anthologie Planète. Ce recueil, un des rares ouvrages de notre genre préféré méritant l’attention des bibliophiles, alternait nouvelles, illustrations SF et reproductions de toiles surréalistes. C’est peut-être cela que nous avons perdu, le rêve d’une littérature à la fois avant-gardiste, ambitieuse et populaire, comme une nostalgie de la science fiction en quelque sorte.
 
 
 
 
 
 

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