A l'occasion de la parution de l'essai, Mythe & super-héros, le 11 septembre dernier aux éditions Les Moutons Electriques, Alex Nikolavitch revient sur l'écriture de cet ouvrage.
Actusf : Mythe & super-héros, est paru le 11 septembre aux éditions Les Moutons Electriques. Quelle est l’origine de ce projet ?
Alex Nikolavitch : En fait, c’est très vieux. Ça remonte au début des années 2000, où j’ai écrit une série d’articles revenant sur des liens entre mythologie et comics, des choses sur la structure des comics Thor, contrainte d’un côté par un certain respect des mythes source, et de l’autre par la nécessité de faire évoluer les personnages, ou des papiers sur la structure initiatique du « voyage du héros » et la façon dont une forme en feuilleton de longue durée, comme les comics, doit l’adapter pour pouvoir l’employer. Au début des années 2010, les Moutons électriques ont lancé la collection Bibliothèque des Miroirs BD, et je me suis dit qu’un regroupement de toutes ces réflexions aurait du sens dans ce cadre. Je leur ai donc proposé. Bon, même si j’ai intégré mes papiers au bouquin, je les ai tous retravaillés, j’ai élargi le champ de mes investigations, et à l’arrivée, les articles doivent constituer 15 ou 20 % de l’ensemble.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cet essai ? Comment se compose-t-il ?
Alex Nikolavitch : Alors, déjà, c’est une réédition de celui qui est sorti il y a une dizaine d’années, avec donc des mises à jour, quelques corrections, et puis il est tout en couleur. Ah, le contenu ?
L’idée, c’est d’explorer la façon dont certains motifs, certaines idées ou certains personnages se sont adaptés aux nouvelles formes de diffusion et évolué, tout en restant eux-mêmes. Nos super-héros contemporains empruntent à la mythologie la plus classique, et ne s’en cachent pas d’ailleurs, mais avec des stades intermédiaires, passant par d’autres formes populaires, d’ailleurs, comme les pulps.
La première partie explore ces motifs, la deuxième revient sur deux auteurs fondamentaux du genre, Jack Kirby et Steve Ditko, qui ont touché à des formes mythologiques, et la troisième se penche sur l’évolution interne du genre, la façon dont la forme feuilletonnante des comics en fait par ailleurs quelque chose d’un peu différent des mythes.
Actusf : Avez-vous eu des références que vous vouliez absolument aborder ? Littéraires ou cinématographiques ?
Alex Nikolavitch : Pas vraiment. Je n’évoque le cinéma qu’en passant. L’essai se concentre avant tout sur les comics, sur la forme de base du super-héros, qui est la bande dessinée publiée par épisodes, de façon périodique.
Actusf : Vous parlez de super-héros, de leurs origines, mais également de leurs créateurs. Qui sont-ils ?
Alex Nikolavitch : La première génération d’auteurs était constituée essentiellement de jeunes gens issus de l’immigration européenne, des Juifs et des Italiens de New York, essentiellement, pour diverses raisons sociologiques. Ils étaient issus de classes plutôt populaires et s’adressaient avant tout à des gens comme eux. Ça se sent bien, par exemple, dans les premiers récits de Superman, par Siegel et Shuster. Par la suite, bien sûr, ça s’est diversifié. Les éditeurs actuels travaillent avec des dessinateurs du monde entier. Olivier Coipel, qui a fait les beaux jours de Thor ces dernières années, est Français, par exemple.
Actusf : Avez-vous du faire beaucoup de recherches lors de l’écriture de Mythe & super-héros ? Comment avez-vous travaillé ?
Alex Nikolavitch : Le matériau à étudier est plutôt sympa. Mon travail a surtout consisté à lire ou relire des comics en prenant des notes. Mais il y en avait une masse. Le sujet est vaste. Après, aussi, des biographies et des interviews d’auteurs. Et aussi diverses sources en mythologie. Mais j’ai la chance de disposer d’une bibliothèque fournie sur le sujet. Et d’avoir traduit au fil du temps des milliers et des milliers de pages de comics, ce qui m’a conduit à les étudier de très près.
Actusf : Mais au fait… Quel est votre super-héros préféré ? Pourquoi ?
Alex Nikolavitch : Voilà une question à laquelle il me serait bien impossible de répondre. Tous les grands super-héros parlent à des parties différentes de nous et expriment une facette différente. Il n’y a pas grand-chose de commun entre Batman et le Surfer d’Argent, par exemple, et j’aime les deux pour des raisons différentes. Et Superman pour encore d’autres raisons, et les Fantastic Four, et ainsi de suite.
Actusf : Peut-on penser à un âge d’or des super-héros ? Est-il déjà passé ?
Alex Nikolavitch : Question piège, pour le coup, parce que les fans ont défini un « âge d’or » allant de 1938 à 1953, qui correspond à la première quinzaine d’années d’existence du genre et à un foisonnement, à une période de création débridée et un peu anarchique, suivie d’une contraction assez violente dans les années d’après-guerre, avant la renaissance constituée par « l’àge d’argent » s’étendant jusqu’au début des années 70. Mais la période d’explosion de Marvel, à partir de 1961 jusqu’au départ de Jack Kirby en 69 a quelque chose d’un âge d’or, elle aussi. Ou cette période, un peu avant et un peu après 1980, où on a John Byrne sur les Xmen, Frank Miller sur Daredevil, Walt Simonson sur Thor, George Perez sur les Titans, qui est un moment de réinvention du genre assez folle, poussant certaines séries à leur sommet thématique et artistique.
Mais nous assistons à une nouvelle époque de bouillonnement. Les super-héros ont muté, ont touché un public qui les ignorait jusqu’alors. Pour autant, leur modèle de publication sous forme de magazine à suivre est plutôt mal en point.
Actusf : Comment imaginez-vous le super-héros du futur ?
Alex Nikolavitch : Le super-héros, créature de papier, est en train d’achever sa mue vers quelque chose d’hybride et de transmedia. Le cinéma mettant en scène ces personnages bat des records, tout comme les jeux vidéo permettant de les incarner. Beaucoup de joueurs d’Arkham City ou de spectateurs des Gardiens de la Galaxie n’ont jamais ouvert les comics ayant inspiré ces produits dérivés. Et dès lors, les œuvres audiovisuelles imposent leur version dans l’esprit du public, et la version papier finit par s’adapter. Donc oui, l’hybridation sera le maitre mot. Après, je n’ai pas le super-pouvoir de prescience…
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quels sont vos futurs projets ?
Alex Nikolavitch : Ouh, compliqué, trop, beaucoup trop, d’ailleurs faut que j’y retourne ! J’ai plusieurs projets de bandes dessinées en route, deux projets de romans, et des traductions en pagaille.
Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les semaines à venir ?
Alex Nikolavitch : Plus compliqué en ces années de peste, mais si c’est maintenu, je serai par exemple aux Utopiales de Nantes.
Qu'en pensez-vous ?