En 2023, les pépites de l'imaginaire sont de retour ! Et cette année, les éditions Mnémos vous invitent à découvrir le premier volet de Neighian de Louise Jouveshomme.
Et pour fêter cette sortie, l'autrice revient pour nous sur l'écriture de ce premier roman.
Actusf : Neighian, votre premier roman sort prochainement aux éditions Mnémos. Comment celui-ci est-il né ?
Louise Jouveshomme : Je ne sais pas vraiment. À l’époque, je lisais beaucoup sur une plateforme d’écriture, des romans de fantasy, en particulier. J’avais déjà essayé de me lancer dans un roman et j’avais laissé tomber au bout de quelques chapitres, en me rendant compte qu’en fait, écrire un bouquin, ça demande du temps. Et puis, je crois que je suis tombée sur un livre qui m’a bien plu et m’a donné envie de retenter ma chance. Cette fois, j’ai pris mon temps. Par là, je veux dire que j’ai publié le brouillon après une semaine à bosser dessus, et pas le soir même. Ensuite, j’ai attendu avidement que des milliers de gens se précipitent sur mon prologue. Après une heure, j’en avais marre d’attendre, et j’étais convaincue que je ne pondrai jamais aucun texte potable. Mais bon, le texte est resté sur la plateforme, quelques personnes se sont mises à le lire, à commenter. Ça motive, d’avoir des retours. Donc j’ai repris l’écriture, et puis petit à petit, ce qui n’était qu’une idée rédigée par-dessus la jambe est devenu un véritable projet. Je me suis mise à réfléchir à mes personnages, à débroussailler mon scénario et surtout à écrire régulièrement. De nuit, le plus souvent. Curieusement, ma myopie s’est aggravée d’un coup. Ensuite est venu le temps de la première réécriture – la réécriture est un phénomène saisonnier sur les plateformes en ligne, qui survient en général début novembre et frappe même le plus averti des utilisateur. Puis celui de la deuxième réécriture – attraper la maladie une fois ne vous immunise, malheureusement, c’est plutôt l’inverse. Et ainsi de suite et ainsi de suite.
Donc je ne sais pas trop quoi répondre. J’ai toujours voulu écrire une histoire, mais si Neighian est né, je pense que c’est surtout parce que quelqu’un a un jour commenté le prologue en demandant « où est la suite ? »
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son intrigue ? Comment avez-vous créé votre univers ?
Louise Jouveshomme : Si on veut résumer l’enjeu de Neighian en trois mots, c’est : préserver la paix (trois mots pile, si c’est pas magnifique). Un meurtre politique menace de plonger le Continent (l’île unique sur laquelle se déroule l’intrigue) dans la guerre, deux des protagonistes principaux essayent d’empêcher la situation d’exploser, tandis que le troisième se fait un plaisir de souffler sur les braises. En tout cas, voilà la situation initiale, avec des rôles bien définis et des objectifs bien clairs. Ensuite, tout se complique parce que les nombreux royaumes du Continent cherchent tous à tirer leur épingle du jeu, que les personnages ont leur propre contrainte, et que j’aime beaucoup les scénarios à tiroir. Mais l’intrigue repose sur l’idée d’un statu quo brusquement menacé. Tout au long du roman, les personnages se positionnent par rapport à ça, à l’ordre établi, en fonction de s’il sert leurs intérêts et s’il correspond à leurs valeurs.
Cette idée centrale m’a servie de pilier pour construire le Continent. L’univers de Neighian s’est créé autour de son intrigue, pour ainsi dire. C’est un monde traumatisé par des siècles de guerres intestines, enferré dans ses croyances et ses superstitions, un monde qui se sert de ses propres mythes comme de béquilles. C’est un monde fragmenté, divisé entre dix peuples qui coexistent mais ne se comprennent pas, parce que chacun dispose d’un pouvoir qui conditionne sa perception des choses, et qu’aucun ne sait l’expliquer. C’est un monde qui est resté assis sur une histoire sanglante pendant trois siècles, sans oser bouger de peur de réveiller le vieux spectre de la guerre. Il me fallait du conflit, des instances internationales et des affronts diplomatiques pour mon intrigue, alors j’ai créé un univers tout plein de crampes. Neighian, c’est l’histoire du Continent qui décoince ses articulations.
Actusf : On y suit Heltia, une Neighian au caractère plutôt affirmé. Qui est-elle ? A-t-elle suivi le chemin que vous lui aviez tracé ?
Louise Jouveshomme : Heltia est le premier personnage de l’histoire, au sens où elle était là au tout début, au moment où j’ai posé le premier mot de la première version du premier prologue. En un sens, elle a même préexisté à Neighian, vu que chaque fois que je m’imaginais écrire une histoire, c’était toujours le même personnage de combattante qui revenait. Il s’est simplement coulé dans le moule du Continent pour donner naissance à Heltia de Cytari, lieutenant Neighian au caractère aussi jovial et ouvert qu’une porte de prison. C’est une femme taciturne et désabusée qui ne croit en rien, excepté en ses compagnons d’arme et en la causalité limpide de la chair contre l’acier.
Quand j’ai commencé Neighian, j’écrivais à la première personne. Inconsciemment, j’ai sans doute mis beaucoup de moi dans la Heltia des débuts, avec son côté sarcastique et impulsif, ses valeurs qui étaient les miennes… Mais au fil des réécritures et de mes propres lectures, elle s’est émancipée. Déjà parce que c’est très gênant quand des gens qui vous connaissent vous lisent et vous disent « tiens, je te reconnais bien là », ensuite parce que je ne voulais pas faire de Heltia un personnage trop facilement accessible ni trop héroïque. Je voulais qu’elle dépasse l’idée de bien et de mal, du personnage principal qui se bat pour son monde et prend les bonnes décisions. Et surtout, je voulais qu’elle dépasse le stéréotype du personnage féminin fort bourrin et badass qui au final ne prend pas tellement d’initiatives. Je voulais qu’elle soit quelqu’un. Qu’elle réfléchisse et qu’elle agisse par elle-même, qu’elle ait du sens et présente de l’intérêt en dehors du regard que les autres personnages posaient sur elle. Vu le temps qu’on allait encore passer ensemble, je voulais qu’elle me surprenne. Et on peut dire qu’elle m’a surprise. Elle est devenue plus sombre que la version initiale ne le prévoyait, plus renfermée aussi, elle a arrêté de se justifier et de fermer les yeux sur certaines conséquences pour pouvoir « commettre des erreurs » sans trahir ses valeurs, ou les valeurs des héros. Elle s’est mise à faire ses propres choix. J’aimerais bien dire que du coup, elle s’est complètement éloignée, que de tous mes personnages, c’est sans doute celui qui me ressemble le moins. Mais c’est aussi celui sur lequel j’ai réfléchi le plus. Heltia est restée dans ma tête pendant cinq ans, alors Neighian a beau être fini, ça m’étonnerait qu’elle en soit sortie. Ni même qu’elle en sorte un jour.
Actusf : Votre univers est peuplé de vampires, de loups, d’elfes… vivants chacun (plus ou moins) sur leurs territoires jusqu’à ce qu’un assassinat malheureux ne viennent briser le fragile équilibre en place. Pourquoi baser votre univers sur ces créatures ? Sont-ils à l’image classique que l’on a ou vous êtes vous amusée à modifier leurs caractéristiques ?
Louise Jouveshomme : Je suis une grande amatrice de fantasy, donc utiliser certaines créatures classiques, comme les elfes ou les nains, c’était à la fois une manière de me faire plaisir (j’ai ce qui s’appelle le syndrome Tolkien, qui fait que j’achète un livre dès que le mot « elfe » apparaît dans un résumé) et d’utiliser les ressources à ma disposition. Parce que mine de rien, construire un univers à la fois cohérent et compréhensible, ça demande du temps et de l’imagination. Les créatures de la fantasy me fournissaient une base pour élaborer mon monde tout en m’assurant de conserver des repères pour les lecteurs. Parmi les dix peuples du Continent, il y en a donc qui appartiennent au répertoire familier de l’imaginaire (trolls, farfadets, sirènes) et d’autres que j’ai inventés (ceux avec des noms bizarres, à savoir garnums, stygias et humains).
Cela dit, j’ai essayé de m’approprier au maximum les caractéristiques des créatures que je réutilisais. Les trolls, par exemple, sont des êtres très raffinés, avec une perception unique de la lumière qui fait d’eux des artistes nés. Les vampires ne boivent pas de sang, c’est juste une légende qu’on raconte aux enfants de Breniam pour leur faire peur. Bon, pour les nains, par contre, j’avoue, ils vivent dans les montagnes, ils travaillent le minerai, ils inventent des machines. Mais ils n’ont pas de barbe ! Enfin pas tous.
M’approprier ce genre de personnages récurrents dans la fantasy, c’était un moyen de me libérer les mains dans mon propre monde. J’avais besoin de structures, mais je ne voulais pas que ces mêmes structures me contraignent trop.
Actusf : Pourquoi écrire de l’imaginaire ? Est-ce plus simple pour aborder certains sujets ou est-ce juste un genre que vous aimez ? Avez-vous eu des sources d’inspirations en particulier ?
Louise Jouveshomme : La suspension consentie de l’incrédulité, tout est là. Voyez-vous, dans un univers imaginaire, le lecteur doit laisser à la porte une part de son esprit critique, sinon il n’accepterait jamais les lois d’un monde qui n’existe pas. Cette suspension-là fait qu’il est plus facile d’aborder des problèmes tels que je raconte n’importe quoi, j’adore la fantasy depuis que j’ai lu le Seigneur des Anneaux, je ne me suis jamais imaginée écrire autre chose. J’adore la liberté que procure le fait de créer un monde de toute pièce, et le défi de faire en sorte que ce monde soit cohérent. Je pense sincèrement que les genres de l’imaginaire peuvent être un bon moyen d’aborder des sujets complexes par une approche détournée qui évite de braquer les opinions, mais j’ai commencé à écrire Neighian quand j’avais quinze ans. Je réfléchissais pas aussi loin, à l’époque.
Pour ce roman, je me suis inspirée de tout ce que je connaissais, que ce soit des dynamiques historiques, des choses du quotidien ou des fictions. En particulier, je me suis mise à décortiquer les techniques narratives de ce que je lisais ou voyais pour identifier les retournements de situation qui me donnaient des frissons. La série Babylon Berlin, en particulier, m’a pas mal marquée, que ce soit en terme d’évolution des personnages ou de l’atmosphère générale qui s’en dégageait. Les livres de Tolkien m’ont également beaucoup inspirée, pas tant au niveau narratif (j’ai jamais réussi à rassembler assez de sens critique pour analyser ces bouquins) qu’en regard du soin apporté à la construction de l’univers. Quand j’ai commencé Neighian, je voulais créer une langue pour chacun des dix peuples, en fonction de son histoire et de son rapport au monde. On est con quand on est môme.
À part ça, j’ai toujours écrit en musique. Les morceaux dépendaient de l’identité du personnage qui racontait les événements, ou des événements en question. Ça m’aidait à trouver le rythme des phrases. Je pense que l’intégrale de l’œuvre de Green Day se trouve dans Neighian sous forme rythmique.
Actusf : Sur quoi travaillez-vous désormais ?
Louise Jouveshomme : Il faut savoir que le Continent est un petit monde, avec une histoire récente et une religion relativement homogène. Il faut savoir aussi qu’en cinq ans, j’en ai fait le tour, et j’ai commencé à regretter de ne pas avoir vu plus grand. Résultat, un autre univers a commencé à barboter sa magie dans un coin de ma tête. Mais le juste milieu, c’est comme l’Extrême-Amont : tout le monde en parle, personne ne le trouve. Du coup, ce nouveau monde-là a plusieurs millénaires d’histoire derrière lui, une dizaine de religions encore pratiquées, le double d’îles – plus si on considère celles qui veulent leur indépendance – et un système de magie dont la puissance à littéralement dissout des gens dans la croûte terrestre. C’est un gros chantier bien brouillon, dans lequel je ne suis pas encore sûre de savoir quoi faire. Peut-être des nouvelles. Les nouvelles, ça permet de donner un aperçu de l’univers, des enjeux et des personnages. Et le plus souvent, ça prend pas cinq ans à écrire.