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Outrage et rébellion

Catherine Dufour ( Auteur), Daylon (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 28/02/2009  -  livre
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Outrage et rébellion

L'humour chez les femmes, je trouve ça vulgaire. Sauf peut-être chez Anne Roumanoff. Tout ça pour dire que moi, Catherine Dufour... Disons que je n'ai pour ce qu'il faut bien  appeler son œuvre qu'un mépris ombré de bienveillance. Elle le sait d'ailleurs, je lui ai dit. Si je ne lui ai pas dit, comme ça c'est fait. Ses histoires de fées avec des roquettes dans le cul, ça me laisse froid. Je ne fais pas partie de ses zélateurs béats prêts à toutes les compromissions pour se retrouver dans ses livres, portraitisés en icônes  suburbaines. On a sa fierté quand  même. En plus, tu parles... elles sont mortes les icônes.

Et une des dernières fois qu'on s'était vus, si je ne suis plus très sûr de lui avoir dit que ce qu'elle faisait c'était de la merde, je me souviens très bien qu'on a parlé de Please Kill Me, le bouquin de Legs McNeil sur l'histoire du punk new-yorkais. C'est là que Catherine Dufour m'a dit qu'elle avait adoré le bouquin. « Wâââ ! J'ai adoré ce bouquin ! ». Et dans la foulée, elle m'a annoncé que son prochain bouquin s'en inspirerait largement. « Mon prochain bouquin il s'en inspirera vachement ! ». Mais elle, elle a dit "vachement".

Du coup, je suis rentré chez moi, très sceptique quant aux développements futurs de la présente affaire.

No Future

Pour ceux qui n'ont pas lu Please Kill Me, déjà c'est mal. Ensuite, c'est l'histoire – comme je le disais plus haut – du punk new-yorkais, écrite par le fondateur du magazine Punk, et surtout, racontée par ceux qu'il l'ont vécue. À chaud, puis au fil des ans, McNeil a pu interviewer tous les acteurs de cette scène de joyeux branleurs et/ou de poètes délattés. Please Kill Me n'est donc composé que de bouts d'interviews, réagencés chronologiquement, pour témoigner d'une époque où quelques groupes de débiles et d'allumés ont changé la face du bizness de la musique. Une collection de témoignages de première main qui vous apprendront qu'une soirée idéale avec Jim Morrison c'était cinq babies, cinq Quaaludes, une pipe devant le comptoir au troisième et pisser sur le bar au quatrième (pas forcément dans cet ordre, d'ailleurs), vous découvrirez que Patti Smith était une wannabe tellement désespérée et insatiable, qu'au final, son ex – Robert Mapplethorpe – s'est dit que pédé c'était mieux (c'est à ce moment là qu'il est devenu son ex, en fait), ou bien encore que, effectivement, Dee Dee Ramone a bien tapiné à l'angle de la 53ème et de la 3ème, mais qu'il était trop sale et vilain pour monter un client.

Oui... c'est punk, donc forcément ça rape un peu dans les coins et ça fait saigner les hémorroïdes.

En revanche, ça bouillonne de vie, exsude la crasse, redonne de la voix aux morts et ça se lit comme un roman.

Comme un roman. Et si Please Kill Me est beaucoup de choses, ce qui est sûr c'est que ce n'en est pas un. De roman. D'où mon scepticisme quant à la démarche de Catherine Dufour.

Piss Off !

Dans son monde à elle de 2325, il n'y a pourtant plus de punks. Seulement une Terre d'évidence ravagée.
En haut, les tours où vivent les mogûls de ce monde en piquet, assez riches et chanceux pour se dispenser de la réalité et vivre en permanence branchés au Parallèle.
En bas, les caves, juste sous la surface abandonnée au dur soleil. Des puits où survivent les plus pauvres, les plus faits et refaits, les débris de la société, branchés de contrebande et désœuvrés du réel. Entre les deux pôles sociaux, la classe moyenne des suburbs, subissant sa vie de merde. Coincés entre la dictature des refugee et la bonhommie molasse des scientifiques, ils espèrent ressembler aux maîtres des tours, et font tout pour ne pas devenir comme les Rats des caves.

Et quelque part, dans un entresol incertain, la pension. C'est là que vivent marquis, marc, drime, naka, tecnic, fado, ashto, lamonte... Ils ont treize ans, et sont là pour apprendre. Quoi ? En fait, on s'en fout. Eux aussi s'en foutent, et les omniprésents monos semblent s'en foutre tout autant, du moment qu'ils restent en bonne santé. C'est LA priorité ultime : préserver sa santé et son intégrité physique. Comme ils sont jeunes, coupés du monde et du Parallèle et qu'ils s'emmerdent, ils vont faire la révolution. Réfugiés dans une ruine, près du bord du plateau qui abrite la pension, ils vont – massivement et avec enthousiasme – s'adonner à la drogue, et à la musique. Une musique sauvage, primitive. Détournant les instruments dont les monos leur enseignent la maîtrise, ils vont s'inventer une rébellion. Des groupes vont se monter, s'émuler, se défoncer et faire trembler dans ses fondements le système gentiment carcéral dans lequel ils évoluent. Hédonisme nihiliste, programmé pour ne durer qu'une paire d'année, car après, tous le savent, c'est la sortie. Personne ne reste passé sa seizième année. Personne.

Pied au plancher et la tête dans le sac, leur petite révolte s'achèvera lorsque marc commettra l'acte de défiance suprême en se suicidant, laissant marquis – son "frère" – au bord du gouffre d'une vérité qu'il n'avait jamais vraiment soupçonnée. "Viré" de la pension, marquis finit par atterrir dans les caves, où cette fois, la révolution – la vraie – pourra vraiment commencer.

FUCK OFF !

Prendre pour patron de découpe une forme littéraire particulière, c'est déjà ce qu'avait fait John Brunner en 1968 pour Tous à Zanzibar, dont il avait emprunté la structure éclatée à la trilogie américaine de John Dos Passos. Intéressant d'ailleurs de constater que c'est pour un effet de déconstruction/reconstruction tout aussi radical que Catherine Dufour est allée piquer l'idée d'Outrage et Rébellion à Legs McNeil. Et bien lui en a pris.

Délaissant l'écriture dense jusqu'à la masse critique du Goût de l'immortalité, elle met cette fois en avant un style très parlé/écrit. Débordant de vie et d'outrages aux bonnes mœurs littéraires, cette fantaisie frénétique a l'indice de fréquentabilité d'un dealer qui couperait son ecsta à la sucrette. Laissant intégralement la parole à ses personnages, Catherine Dufour enchaîne des paragraphes d'une inanité cruciale qui ne tardent pas à révéler une trame noire, salement ficelée. Pas d'exposition, pas de notes de contexte. Rien. Nada. C'est toi, ami lecteur, qui fais tout le boulot. Oui, toi, camarade, qui bosses, triant à la brasse dans les propos de ces salauds de jeunes. Tous autant de pédés, travelos, nymphos, alcoolos, drogués, imbéciles (mal)heureux, instrumenstistes approximatifs et Verlaines de tinettes, que l'incurie de leur vie condamne à retourner à un art brut, décalaminé. Essentiel. Comme l'écriture de Catherine Dufour.

Ça pipe, ça pompe, ça bastonne et ça dégueule. Ça joue fort aussi, mais surtout, ça se révolte. C'est même tout le propos d'Outrage et rébellion. Ou, comment une crise d'ado généralisée met à bas un système inique et inégalitaire – extrapolation de l'univers du Goût de l'immortalité dont le présent ouvrage est une sorte de suite informelle. Catherine Dufour y met tellement de foi, de passion – tellement d'elle-même aussi –, qu'elle parvient presque à nous faire croire que c'est possible. Il y a tellement d'empathie dans cette galerie interminable de portraits (qui nécessite tout de même un générique de fin de volume), que quitter ces personnages est un crève-cœur. Ils sont sales, insouciants, parfois jusqu'à l'irresponsabilité, drôles et pathétiques. Ils sont surtout magnifiquement vivants. Et ça, c'est la vraie puissance de ce roman. Petite chimiste dans son labo clandestin, Catherine Dufour a trouvé la formule magique qui transforme en chair la pâte à papier. Et cette vie qu'elle insuffle au long des pages, on a l'impression grisante d'en recueillir un peu le souffle.

Extrême dans sa forme, dénué de la plus petite concession, il ne fait aucun doute que ce livre va laisser sur le côté une frange certaine des lecteurs qui ne vont pas comprendre. Mauvais comme la gale, salement corrosif, suspectement optimiste et aussi marrant que de voir un junk' se foirer une veine, Outrage et rébellion c'est une putain de claque dans ta gueule. Lis-le si t'as les couilles !
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