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Pallas ou la tribulation
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Pallas ou la tribulation

 Avec un nom qui sonne comme un pseudonyme, Edward Georges de Capoulet-Junac reste un des auteurs les plus mystérieux du catalogue Présence du futur et le fait que son roman Pallas ou la tribulation ait été choisi pour fêter le centième numéro de la collection ne laisse pas de nous intriguer encore davantage. Difficile d'en savoir beaucoup plus au sujet de l'écrivain que son année de naissance (1930) et le titre prometteur de son précédent roman, L'ordonnateur des pompes nuptiales, demeuré lui aussi dans les limbes obscures où se morfondent les ouvrages jamais réédités : . Passons-nous donc de biographie, ou rêvons-la impunément avant de dévorer l'ouvrage en question qui mérite amplement l'intérêt que le lecteur curieux voudra bien lui porter.

Du Petit-Clamart à la planète Pallas

La terre a subi l'agression d'une race extra-terrestre octopode, les Palladiens, qui ont enlevé, entre autres victimes, le narrateur en visite chez ses parents au Petit-Clamart ainsi que sa cousine, qu'il courtise pour de sordides raisons financières. Durant leur périple intergalactique, ils copuleront avec une frénésie causée en grande partie par le désœuvrement mais également afin de lutter contre le stress inhérent à leur situation. Arrivés sur Pallas, nos deux protagonistes seront parqués dans un camp dans lequel se trouvent déjà un certain nombre d'humains enlevés par les Palladiens, puis attribués à ceux-ci en tant qu'animaux de compagnie... A compter de ce moment, privés de destin et n'ayant absolument rien d'autre à accomplir que rester en vie pour le bon plaisir de leurs maîtres, les Terriens se dépouilleront peu à peu de leur humanité pour devenir aussi veules et lâches que leurs homologues canins.

Gare à la bête, aurait pu dire P. J. Farmer, et celle que l'on trouve en chacun de nous s'exprimera librement, freinée par le seul contrôle des Palladiens qui font désormais figure de créatures supérieures auxquelles une soumission aveugle serait due. Quand on sait, de plus, que la peau des tentacules des palladiens peut devenir aussi chaude et sensuelle que du « velours de soie » et que les humains ne sont pas insensibles à ce contact... Quelques exilés, cependant, finiront par prendre conscience de cette situation humiliante et tenteront de restaurer une certaine dignité humaine... L'espoir viendra surtout des jeunes générations, nées et élevées sur Pallas et qui rétabliront une forme de société humaine basée non pas sur des lois et des règles imposées, mais sur une culture métissée et différente de celle qui avait cours sur cette planète-mère qu'ils n'ont pas connue. L'oralité et les arts qui s'y rapportent (musique, chant, poésie, théâtre...) y joueront par la force des circonstances un rôle majeur.

L'apogée du style snob

A la vue de ce volume poussiéreux et du résumé qui précède, bien des lecteurs se demanderont s'il vaut la peine de se pencher sur ce livre dont le contenu semble grossièrement facétieux, voire canulardesque. Le récit manque totalement de ce sense of wonder qui nourrit les fantasmes de tant d'amateurs, la planète Pallas étant aussi sèche et stérile que ses villes sont plates et de surcroit, Edward de Capoulet-Junac ne fait même pas partie des auteurs qu'il est de bon ton d'avoir lu pour briller en société. Notons encore que l'utilisation désinvolte de créatures tentaculaires semble indiquer que l'auteur ne s'intéresse pas vraiment à la « littérature de genre » et se contente d'en utiliser les poncifs pour véhiculer son message. Alors à quoi bon ?

Ce serait nonobstant commettre une regrettable erreur de négliger Pallas ou la tribulation, voire une véritable faute de goût car il s'agit là de l'une de ces curiosités qui apparaissent ponctuellement sur le corpus science-fictif comme autant d'excroissances mutantes auxquelles l'évolution du genre ne donnera malheureusement pas de descendance littéraire. Car Edward a indubitablement de la classe et nous prouve ainsi que la forme, si elle est de qualité, peut parer des plus beaux atours n'importe quelle histoire de monstres octopodes et gélatineux aux yeux pédonculés. Nous en oublierons donc toutes les facilités et les raccourcis scénaristiques tant le style est éblouissant (les mauvaises langues iront cependant jusqu'à le qualifier d'ampoulé), jouant habilement avec la syntaxe et les niveaux de langue. Cette omniprésence de la forme ne rend pas caduque pour autant le fond et bien des réflexions merveilleusement ciselées de l'auteur pourraient se voir attribuer une place de choix dans une recueil d'adages snobs et misanthropes.

« Il y avait là un thème pour méditations tristes »

Derrière une façade suranée qui ne manque pas d'évoquer Le prisonnier de la planète Mars de Gustave Le Rouge, Edward de Capoulet-Junac passe en revue les plus bas instincts de l'homme avec un humour féroce et provocant. N'oublions pas que ce roman fut publié en 1967, année du flower power, de la révolution sexuelle, de la généralisation de la provocation en tant que mode d'expression et de revendication. Loin de se purifier en abandonnant (contre leur volonté) toutes leurs possessions matérielles, vêtements compris, les prisonniers des Palladiens devront assumer avec plus ou moins de bonheur leurs instincts primates et prendront conscience de l'impossibilité de faire fi de cette bestialité innée et souvent dérangeante...

Livre fort, dense et provoquant, mais aussi drôle et souvent dérangeant, Pallas ou la tribulation mérite d'être exhumé des stocks poussiéreux des bouquinistes. Sans attendre une très improbable réédition, l'archiviste vous invite donc chaleureusement à vous mettre en quête de cette curiosité !

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