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Péninsule

Damien Venzi (Illustrateur de couverture), Jean-Pierre Pugi (Traducteur), Michael G. Coney ( Auteur), Marc Février (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 28/02/2010  -  livre
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Péninsule

Avant de devenir écrivain de science-fiction, Michael Greatrex Coney fut hôtelier, avec sa femme, puis comptable, aux États-Unis, dans les Antilles et au Canada. Il vivra d'ailleurs en Colombie Britannique de 1972 à 2005, date de son décès d'un cancer.
Ce britannique né en 1932 commence donc l'écriture à quarante ans. Il s'imposera rapidement comme un auteur de science-fiction de talent, avec son cycle du Chant de la Terre, Les Brontosaures mécaniques ou le roman et les nouvelles réunis dans le recueil Péninsule.

La vie sur la Péninsule n'est pas de tout repos

Joe Sagar est éleveur de slictes, reptile dont la peau change de couleurs en fonction de leurs émotions. Son exploitation se trouve dans la Péninsule, territoire apparu après un raz de marée qui souleva le Pacifique le long de la Grande Faille et dévasta les basses terres des îles au large des côtes occidentales d'Amérique du Nord.
La vie de Sagar est plutôt calme, partagée entre son travail, les compétitions de Vol Libre et ses conquêtes féminines. Jusqu'à l'apparition de Carioca Jones, ancienne star déchue de la Tri-D. Un personnage qui fera tourner bien des têtes et ébranlera le fragile équilibre de la société péninsulaire.
Cette dernière a en effet été marquée dernièrement par la Réforme Pénale, qui soulève bien des débats. Elle oblige les criminels à payer leur dette à la société en travaillant pour les citoyens libres, voire même à devenir leurs serviteurs. Mais plus encore, ils deviennent des pièces de rechange alimentant la Banque d'Organe Publique. Ce que la majorité des habitants de la Péninsule accepte, mais que les Adversaires du Servage refusent avec véhémence...

Un roman passionnant

Le recueil Péninsule s'ouvre sur le roman Les Crocs et les griffes, que Michael Coney a écrit en 1975. On y fait la connaissance avec le personnage principal de tous les textes qui ont pour cadre la Péninsule : Joe Sagar. L'auteur y décrit également ce décor semi-maritime et sa société tranquille en apparence, mais qui dissimule des aspects peu reluisants.
Les Crocs et les griffes se déroule dans un futur lointain. L'homme a colonisé d'autres planètes, il a progressé technologiquement et on a un aperçu de ces avancées techniques. Les poissons terrestres, par exemple, et autres animaux de la mer qu'on a muni de respirateurs pour qu'ils puissent respirer à l'air libre et devenir de parfaits compagnons, très prisés des habitants fortunés de la Péninsule. Ainsi, les chiens de garde sont remplacés par des requins terrestres et le meilleur ami de l'homme n'est pas le fidèle corniaud, mais le thon ou le poulpe.
Il y a d'autres idées intéressantes et amusantes dans le roman de Coney. Le Vol Libre, discipline à laquelle s'adonnent certains habitants de la Péninsule, permet à ces derniers de planer, au prix de risques énormes, au dessus de la mer ; les juges et jurés sont remplacés, dans le système judiciaire moderne, par des ordinateurs, et cætera.

Ce ne sont que quelques aspects de cet univers foisonnant, et dont Coney ne nous livre des éléments qu'au compte-goutte. Ce futur est aussi celui d'une évolution des sociétés de la Terre. Dans la Péninsule, on aime la tranquillité et que les crimes soit punis. Comme partout ailleurs, mais la Réforme Pénale a modifié la façon dont on traite les criminels. Devenus des P.D.C. – initiales que traduisent certains en Pièces Détachées Corporelles – les occupants du pénitencier péninsulaire ne purgent pas seulement leur peine en cellule ou n'effectuent pas que des travaux forcés, ils servent en effet également de stocks d'organes et de membres pour ceux qui ont besoin de transplantations.
De plus, il est possible pour un prisonnier d'entrer en servage d'un homme libre, en échange d'une réduction de peine, mais si cela est moins horrible que voir ses organes et ses membres être prélevés, ce n'est rien d'autre que de l'esclavagisme. Cet aspect fondamental de Péninsule sera à la source de la majorité des événements se déroulant dans Les Crocs et les griffes et des mésaventures des personnages. Ces dernières interrogent le lecteur sur les systèmes pénaux extrêmes, sur la façon dont on doit faire payer aux criminels leur dette à la société, l'attitude face à ceux qui l'ont remboursé en purgeant leur peine et sont maintenant libres.

Les personnages sont eux aussi dignes d'intérêt et  Coney démontre une grande compétence dans l'invention de personnages terriblement humains.
Joe Sagar est loin de mériter le statut de héros. Un peu lâche, cynique, égoïste sur les bords, aux idées parfois contestables, il ne s'attire que difficilement la sympathie du lecteur. C'est au fur et à mesure de son évolution dans le roman qu'on prend la mesure de la profondeur de ce personnage inventé par Michael Coney, qu'il a choisi comme porte-parole et narrateur.
L'autre protagoniste majeur du roman – et récurrent dans les nouvelles – est Carioca Jones, l'ancienne star de Tri-D, aux mœurs légères, ancienne beauté que l'âge a terni et qui accepte mal sa déchéance. Son côté peste, son égocentrisme et sa mesquinerie font d'elle un personnage plutôt détestable, mais moteur dans le récit. Elle est en effet à l'origine de bien des soucis de Sagar – ce dernier tombe amoureux de l'assistante dévouée de l'ancienne actrice, pour son plus grand malheur sentimental – et des bouleversements de la Péninsule – Carioca s'engageant dans le mouvement des Adversaires du Servage.
Il y a bien sûr aussi les personnages secondaires, évidemment moins explorés, mais qui permettent à l'auteur de confronter son protagoniste principal à toutes les classes de la société péninsulaire, à tous les avis concernant la Réforme Pénale, à tous les niveaux d'intelligence et de bêtises.

Les Crocs et les griffes est un roman passionnant, dans lequel Michael G. Coney décrit un univers réaliste, en fournissant des éléments petit à petit, sans assommer le lecteur avec de grandes pages explicatives. C'est au travers de personnages fascinants par leur humanité – en bien ou en mal – qu'on découvre la Péninsule, qu'on vit des événements intrigants qui tiennent en haleine.
Peut-être le roman a-t-il un défaut, celui d'avoir des airs de fix up. Le lecteur aura parfois l'impression que Coney a écrit des nouvelles qu'il a habilement reliées entre elles pour former une plus longue histoire. Toutefois, l'intelligence de l'auteur dans la construction de son univers, son imagination débordante et son écriture simple mais efficace donnent grand plaisir au lecteur.

Des nouvelles qui complètent un univers fascinant

Le plaisir du lecteur se poursuit, après la fin des Crocs et les griffes avec la découverte des quatre nouvelles qui l'accompagnent, écrites en 1976 et 1977. Michael G. Coney y poursuit le développement de l'univers de la Péninsule.

Ainsi, dans Au bon vieux temps du carburant liquide découvre-t-on Joe Sagar quelques années avant les événements des Crocs et les griffes. Il revient sur les lieux de son adolescence, pendant laquelle il passait beaucoup de temps près d'un vieux astroport utilisé à cette époque où il y avait encore des vaisseaux spatiaux propulsés par la combustion de carburant liquide. Depuis longtemps, l'arrivée de la technologie antigrav a en effet rendu ces vieux astronefs obsolètes.
Coney explore donc une phase clef de la vie de son personnage, en accomplissant le tour de force d'insuffler au lecteur la nostalgie de Sagar à la vue des vaisseaux rouillant dans un coin de l'astroport. L'auteur réussit, au travers des yeux de ses personnages adolescents – humains par leur immaturité –, à aviver chez le lecteur le rêve de l'exploration de l'espace et la fascination pour les vaisseaux spatiaux – non sans avancer l'idée intéressante que l'admiration pour les gigantesques appareils est un sentiment viril. Et cela en racontant une histoire qui se déroule uniquement sur Terre. On en reste pantois d'admiration.

La Machine de Cendrillon est pour sa part un texte qui met en scène Joe Sagar – encore et toujours – et Carioca Jones. L'action de la nouvelle se déroule peu de temps après ceux du roman Les Crocs et les griffes. L'ancienne actrice Tri-D désire retrouver les feux de la rampe. Pour cela, elle a organisé une rétrospective de ses films et a fait venir un technicien-artiste capable de manipuler une machine à la pointe de la technologie Cette dernière permet de remodeler les chairs pour soigner les blessures, guérir les maladies ou retrouver l'apparence de la jeunesse.
Le personnage de Carioca Jones, égal à lui-même, est évidemment uniquement intéressé par cette dernière application. Mais Michael G. Coney n'étant pas tendre avec ses personnages, rien ne va se passer comme prévu pour la star de la 3D. Si des incohérences avec le roman gâche un petit peu la construction de l'univers qu'essaie de mener Coney, cette nouvelle à chute est encore une occasion d'apprécier son talent d'écrivain.

Carioca Jones fait encore des siennes dans La Catapulte et Les Étoiles, ainsi que dans Les Insectes de feu, Holly et l'amour. Dans le premier texte, accompagnée d'une autre star de la Tri-vid, le géant Wayne Traill, elle va bousculer le club de Vol Libre de la Péninsule. Dans le second, elle organise une fête dont l'attraction principal sont sensés être des insectes bio-luminescents importés d'une lointaine planète, mais Holly Davenport, jolie veuve qui fera chavirer le cœur de Joe Sagar, leur vole la vedette.
Rien d'extraordinaire dans ces nouvelles quant à l'apport d'éléments inédits concernant la Péninsule. Par contre, encore une fois, la conclusion des textes, les personnages développés par l'auteur – même ceux déjà connus –, l'émotion que transmet l'écriture simple mais vibrante de Coney font l'intérêt de l'histoire, la beauté des récits et la qualité de l'auteur.

À lire

Les livres de Michael G. Coney font l'objet de nombreuses rééditions ces dernières années. Ce n'est pas démérité. Cet auteur est un écrivain de science-fiction impressionnant, qui met en scène des personnages complexes, à l'image d'un Robert Charles Wilson, et invente dans les textes de Péninsule, un univers riche et varié, étonnant, magnifique.

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