- le  

Permanence

Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 03/01/2008  -  livre
voir l'oeuvre
Commenter

Permanence

Karl Schroeder est un des nouveaux fers de lance d’une certaine forme de science-fiction galactique dopée au mélange des genres. Après un habile mixage SF/fantasy dans Ventus, Schroeder nous offre avec Permanence, son deuxième roman (prix Aurora 2003 du meilleur roman de SF), une sorte de réconciliation de la hard-science et du space-opera. Ce genre de SF qui a longtemps été relégué à la production de seconde zone, qui vendait plus sur la beauté des couvertures que sur le contenu, semble aujourd’hui opérer un retour en force : par la grâce combinée de l’avènement de la xénobiologie et de la démocratisation, sinon du savoir astrophysique, du moins des images en fausses couleurs qui l’accompagnent. Vingt ans après L’Anneau-monde de Larry Niven, les civilisations extraterrestres et les innovations spatiales qui "tiennent debout", mêlées aux histoires et la vanité des humains, procurent toujours un espace narratif sans bornes. Un espace que Karl Schroeder est bien décidé à piller dans les grandes largeurs.

La convoitise de Gentry

Embarquer seule, à des mois de navigation du plus proche Halo-monde, était sans doute une idée stupide. C’était pourtant devenu une nécessité pour Rue Cassels, littéralement prisonnière de la tyrannie de son frère Gentry, sur la station minière cométaire Allemagne. Sa découverte, au cours du trajet, d’une masse énorme à la dérive, a tôt fait de la rendre immensément riche : dans ce monde soumis au diktat du code-barre infravisuel, tout objet non encore étiqueté devient la propriété de son découvreur. Une aubaine pour Rue, partie dans l’espace sans l’ombre d’un crédit en poche.

Sauf que sa découverte va rapidement se transformer en cauchemar. En fait de météore regorgeant de ressources minières, l’objet mystérieux se révèle être un vaisseau spatial : un des cycleurs qui relient les mondes du halo à une vistesse approchant celle de la lumière et qui ont permis à l’espèce humaine de coloniser des mondes hors du système solaire. Chose encore plus étrange : ce cycleur ne répond à aucune identification connue, et sa configuration extra-terrestre ne laisse d’étonner la galaxie qui a maintenant les yeux rivés sur cette découverte. Bref, le vaisseau attire rapidement les convoitises, ce qui oblige Rue à transiger : pour faire valoir ses droits de propriété sur l’engin spatial, elle doit faire la démonstration de sa capacité à le commander, sans quoi les militaires de l’Economie des Droits qui l’accompagnent se feront un plaisir de lui ravir son jouet.

Heureusement, Rue peut compter sur l’aide d’un équipage bigarré mais totalement dévoué à sa cause. Une aide bienvenue étant donné que l’escouade militaire de l’Economie des Droits semble prête à tout pour récupérer le vaisseau de Rue qui pourrait les mener à une arme capable d’anéantir toute forme d’opposition dans la galaxie.

"Elle avait pris conscience que les individus présents à l’intérieur du Halo ne pouvaient avoir que deux statuts : être en transit ou échoués."

Permanence fait partie de ces romans qui valent plus par la qualité, la nouveauté des idées sur lesquels ils se construisent que par leur tenue romanesque ou la profondeur de leurs personnages.
Tout en tentant de donner un maximum d’épaisseur à ses héros, Schroeder n’échappe pas à un certain nombre d’archétypes. L’exemple clé en est bien évidemment Rue Cassels, l’héroïne de ce roman qui passe du statut de gamine capricieuse à celui de capitaine de vaisseau interstellaire respecté, par une succession d’épreuves qui lui permettent de flinguer son Œdipe à elle : une crainte démesurée à l’égard des chromosomes Y motivée par la tyrannie exercée par son frère depuis la mort de leur mère… Mouais. Au final, les gentils sont sacrément gentils, les méchants de sacrés enfoirés, les scientifiques sont fondamentalement honnêtes et les hommes politiques de pures enflures. Ce côté du roman frise donc souvent la caricature à la Stargate SG1… De même, le traitement un peu léger de l’idylle entre Rue et Michael Bequith, le peu de matière offerte à la composition de la société de l’Economie des Droits et de la rébellion qui s’oppose à elle retirent un peu de l’intérêt de ce roman.

Et d’intérêt ce livre n’en manque pourtant pas. Comme il le fait dans Ventus, on a l’impression que Schroeder donne tout ce qu’il a dans le genre qu’il a choisi de caresser dans ce roman. Et il le caresse bien, le bougre ; même s’il revendique qu’il n’est pas lui-même un physicien, sa participation active à la vie de la communauté des physiciens nucléaires et de la matière de l’université de Toronto ont formé l’esprit de Schroeder. Et quand il nous propose les alternatives au voyage spatial, la quantité de détails sur lesquels il rebondit est véritablement impressionnante, texturant son récit comme un immense réseau d’objets tangibles.

L’idée de base sur laquelle se fonde le roman est très séduisante : imaginez l’espèce humaine limitée technologiquement à des voyages subluminiques. Aucune chance pour elle de coloniser de nombreux mondes illuminés : alimentés par un vrai soleil, du fait de la distance des plus proches étoiles. En revanche, rien ne lui empêche de prendre pied sur la multitude de mondes cryptiques, éclairés par l’éclat crépusculaire des naines brunes qui remplissent l’apparent vide stellaire qui nous sépare des étoiles les plus proches. Imaginez maintenant que l’homme découvre après coup la technologie extraterrestre capable de faire de l’humanité une espèce spatio-pérégrine : capable de se déplacer à des vitesses supra-luminiques. Quel serait l’avenir pour les mondes du Halo? Un peu comme si on avait fourni aux vikings une flottille de grands voiliers de la Renaissance : que serait-il bien advenu des colons d’Islande et du Groenland ? Cette simple question permet à Schroeder de structurer son roman, de polariser son univers entre Economie des Droits et Compacte des cycleurs, entre idéaux humains et idéaux commerciaux. C’est habile, et c’est très bien fait.

D’autres idées sont aussi convaincantes, comme l’idée que, il y a soixante cinq millions d’années, la galaxie aurait été stérilisée de toute forme organisée de conscience par des armes de destruction massive créées par une espèce ivre de domination qui aurait ainsi tenté d’éradiquer tous les compétiteurs potentiels, et qui aurait vu ses armes autoreproductrices dépourvues de toute capacité de ségrégation, se retourner contre sa propre forme de conscience. Cette vision méfiante à l’égard du développement technologique, sa relation avec une forme d’élévation intellectuelle et psychique est largement débattue, et Schroeder nous offre, à la manière d’un expérimentateur, un certain nombre d’exemples alternatifs plutôt savoureux.

"L’étude de centaines de mondes n’a révélé aucun schéma de développement particulier de la conscience. [...] Ne subsiste qu’une théorie sélective de la conscience : tout comme la capacité de se doter d’outils permettant de voyager dans l’espace, elle apparaîtrait de façon aléatoire à partir d’innombrables combinaisons de caractéristiques qui, dans la plupart des cas, ne débouchent sur rien de concret. [...] Nous sommes donc seuls. En fait, le seul moyen de fonder une civilisation pangalactique consisterait à exterminer ou réduire en esclavage tous nos concurrents éventuels [...]."

Alors sans doute ce roman n’atteint-il pas les objectifs que l’on pouvait espérer en découvrant toutes les implications en physique et en biologie qui le nourrissent. Pour autant, on passe un agréable moment à suivre les tribulations de l’équipage de Rue Cassels, et par deux ou trois fois, on relève des traits de génie scénaristique à défaut d’un véritable génie littéraire. Autant dire deux ou trois fois plus que pour un roman de SF moyen. Une histoire à ne bouder en aucun cas donc.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?