Malgré une trentaine de nouvelles publiées de de vieux numéros de Galaxie et un roman, Planète impopulaire, Evelyn E. Smith n’est pas la plus connue des autrices de science-fiction. Elle eut pourtant son heure de gloire dans les années cinquante et soixante, aux États-Unis, où ses nouvelles pleines d’humour et ses romans policiers eurent un succès notable. Les aventures de Miss Melville, en particulier, pourraient encore retenir l’attention du lecteur anglophone. On raconte que ces histoires à propos d’une dame de la bonne société exerçant la profession de tueuse à gages seraient des plus savoureuses… Avec son regard très critique sur la société, elle a souvent été comparée à Robert Sheckley, ce qui est aux yeux de l’archiviste d’ActuSF une recommandation bien plus valorisante qu’un prix Hugo !
Le progrès ? Une arnaque aux dimensions cosmiques…
L’ère de l’Exploitation, celle d’avant les ordinateurs, est terminée ! L’humanité du futur a fini par atteindre le but qu’elle s’était fixée depuis l’avènement d’homo sapiens, et probablement même avant : la Terre entière est vouée à son bien-être. L’artificialisation des sols est achevée : entièrement couverte de bâtiments entre lesquels subsistent de rares voies de communication, la planète évite pourtant d’étouffer sous la surpopulation grâce à un programme de reproduction soigneusement géré par les IA. D’ailleurs, tout est soumis aux machines, même s’il est possible que, quelque part, de véritables Personnes pensent contrôler les robots… Mais la Vérité ? Et si elle se trouvait ailleurs ?
Après avoir assisté au bal annuel des plombiers, Nicolas Pigott, un travailleur social se retrouve en proie à une gueule de bois monstrueuse et commence à philosopher avec un dragon bleu évanescent et pour le moins subversif. D’après ce lézard mythique, l’humanité est manipulée par des Extra-Terrestres cupides qui, grâce à la Publicité, les forcent à produire des gadgets technologiques à l’utilité douteuse, leur assurant ainsi la maîtrise du commerce intergalactique. Le dragon bleu conduira ensuite Nicolas dans un périple subterrestre, puis intersidéral, qui fera de lui un monarque omnipotent, mais guère plus raisonnable qu’au départ… Vantard et infatué, notre anti-héros connait sur le bout des doigts l’art exquis de s’attirer les pires ennuis…
Un indispensable pamphlet, vigoureux et d’une drôlerie irrésistible !
Un livre épais, dont personne ne parle depuis un demi-siècle, par une autrice oubliée, rien de très engageant à première vue. Et pourtant, à condition de n’être pas sous l’emprise des mirages technologiques de notre temps, Planète impopulaire est un vrai régal de saine provocation. Avec un demi-siècle d’avance, ce pavé au style allègre aborde en effet les principales tares de la modernité : dépendance au confort et à la technologie, soumission à la politique et à la religion (« on ne peut tout de même pas laisser les gens penser par eux-mêmes ! »), destruction de l’environnement par l’industrie, manipulation de l’opinion publique à des fins mercantiles… Il y est même brièvement question, en 1975, de l’influence de l’emploi des pesticides sur le déclin des abeilles… Evelyn Smith aborde tous ces thèmes, et bien d’autres encore, avec une troublante prescience. A moins que seule la cécité volontaire de l’humanité ne les ait occultés jusqu’à présent ? Malheureusement, nous avertit-elle dans les dernières pages (476-477), la relation symbiotique existant désormais entre les ordinateurs et leurs utilisateurs humains rend peu probable une nécessaire décroissance. D’ailleurs, je dois conclure cette chronique au plus vite, car mon téléphone a besoin de moi : je n’ai encore rien dépensé aujourd’hui et il est déjà dix heures !