Auteur cubain, Yoss est peu connu en France malgré la publication de plusieurs de ses nouvelles chez Rivière Blanche dans les recueils Dimension latino et Interférences. La science-fiction de Yoss est teintée de thèmes qui font écho à la situation sociale, économique et politique de Cuba. Avec Planète à louer, premier roman de l'auteur à paraître en France, chez Mnémos, il confirme à la fois son talent (récompensé par le prix espagnol UPC en 2009 pour Super Extra Grande, encore inédit en France) et son souci de marier une SF traditionnelle à des thèmes contemporains.
La Terre : planète à louer
Les xénoïdes – les extraterrestres – sont arrivés sur Terre, ont fait de la planète une colonie touristique et des humains des vassaux pour lesquels ils n'ont que peu de considération. La population de la planète bleue, confrontée à ces créatures exotiques richissimes, omnipotentes, sans pitié, doit survivre et s'adapter aux nouvelles règles du jeu. À chacun de trouver son propre moyen d'atteindre un meilleur niveau de vie : effectuer du travail social avec l'espoir de séduire un xénoïde, produire des œuvres d'art à même de plaire aux extraterrestres, devenir joueur de voxl professionnel... Les moyens sont nombreux, jamais sans risque, mais rien d'autre ne compte que de s'arracher à cette planète qui ne vaut pour ainsi dire plus rien du tout.
Un fix up qui vaut le détour
Planète à louer est un roman constitué de sept récits qui permettent de se faire une idée d'un univers futuriste qui a vu les habitants de la Terre ravalés au statut de simples autochtones d'une zone touristique, un peu comme peuvent l'être certains peuples d'Afrique. Visitée par des créatures d'autres planètes qui se montrent sans aucune pitié pour les fragiles et imbéciles humains, la planète bleue, mais surtout ses natifs, se transforment pour satisfaire ces touristes dont la fortune et la technologie leur permettent tout.
Tout, c'est-à-dire, profiter des humains, les asservir littéralement, tant physiquement que mentalement, en les montant – en prenant possession de leur corps pour explorer la Terre sans mettre en danger leur propre organisme. C'est-à-dire également en ne laissant que des miettes à leur société infantile sous Protectorat Galactique et en les faisant rêver d'une vie meilleure dont peu d'élus font l'expérience.
Les sept récits livrés par Yoss sont ainsi autant de témoignages de ce futur sombre et qui dévoilent quelques-unes de ses pires facettes : travail social – prostitution –, corruption, contrôle total des humains par les extraterrestres, absence presque complète d'espoir qui force aux plus folles tentatives d'évasion d'un monde en déliquescence, et cætera.
Décrivant un univers fascinant, qui flirte avec les codes traditionnels de la science-fiction, l'auteur cubain réussit à passionner le lecteur pour les destins de ses personnages qui sont les acteurs de leurs propres drames. Chaque texte est ainsi, seul, captivant par son originalité et par la manière qu'à l'auteur de dévoiler une nouvelle facette de son univers. Mais c'est la succession des textes qui fait aussi la force de Planète à louer, fix up particulièrement bien construit. Car petit à petit, le lecteur comprend l'architecture du roman, découvre l'imbrication des textes les uns par rapport aux autres, s'amuse des apparitions de personnages récurrents, et il entame chaque nouveau récit avec l'impatience de la découverte de l'élément à la fois familier – rencontré précédemment – et des nouveautés qui l'enfoncent un peu plus au cœur d'un futur qu'on ne voudrait pas connaître. La puissance du roman monte donc au fur et à mesure des pages, ce en quoi Yoss réussit parfaitement son pari de donner une vision en mosaïque claire et poignante, déformée, de notre propre société.
Les défauts de notre société exacerbés
Au travers de ses textes qui parlent d'un avenir de pure science-fiction peuplé d'aliens équipés d'artefacts technologiques exotiques, Yoss nous parle en fait de la Terre du XXIème siècle. Celle du tourisme sexuel, de la corruption des forces de l'ordre dans les pays en voie de développement – et pourquoi pas, même, dans les pays du Nord –, du désir de fuite des populations du Tiers Monde, de la seule possibilité de réussite, dans certaines couches sociales, par le sport, de l'exportation des richesses artistiques et artisanales des civilisations « exotiques » vers les pays où ils brassent des sommes astronomiques qui ne tombent jamais dans l'escarcelle des populations dont elles sont l'héritage... Yoss, Cubain, ne parle pas seulement de Cuba, même si le sixième récit évoque clairement les tentatives de fuite de certains de ses compatriotes, par la mer, transposées dans l'espace ; l'auteur s'attaque à tout ce que notre société moderne a de plus abjecte, en transposant seulement le tout un cran au-dessus : ce ne sont pas uniquement les populations du Tiers Monde qui sont exploitées, mais tout le peuple humain, qu'il foule le sol d'une ancienne grande puissance mondiale ou d'un minuscule pays sous-développé.
C'est bien là la force de Planète à louer, celle d'être plus qu'un roman de science-fiction divertissant, mais également un pamphlet contre ce que vivent quotidiennement ces peuples qui en voient d'autres jouir d'une richesse sans qu'on leur laisse aucune chance, ou presque, d'en profiter.Yoss écrit ici une œuvre passionnante, qui mérite d'être explorée.