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Poul Anderson
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Poul Anderson

Poul Anderson : 50 ans de science-fiction
 
Poul William Anderson naquit le 25 novembre 1926 à Bristol, en Pennsylvanie, de parents d’origine scandinave (sa famille vivait au Danemark avant l’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale). Sa première histoire fut publiée en 1947, quand il avait juste 20 ans. Il devint titulaire d’une licence en physique de l’université du Minnesota-Minneapolis en 1948 (l’année durant laquelle il assista à sa première convention de science-fiction). Vivant alors à Minneapolis, il rejoignit la Minnesota Fantasy Scoiety et se lia d’amitié avec des auteurs tels que Gordon R. Dickson et Clifford D. Simak. 1953 fut une année importante pour lui ; des magazines commencèrent à sérialiser trois de ses histoires qui deviendraient bientôt des romans : The Escape (Barrière mentale, 1954), dans Space Science Fiction (un seul volume avant que le magazine ne fît faillite) ; Trois cœurs, trois lions dans F&SF (1961 dans sa version complète) et La troisième race (Silent Victory) dans Two Complete Science-Adventure Books. Il se maria avec Karen Kruse en 1953, et eurent une fille, Astrid, aujourd’hui mariée à l’auteur de SF Greg Bear.

Il fut l’invité d’honneur de la Worldcon de 1959 et reçut de nombreux prix Hugo – en 1961, 1964, 1969, 1972, 1973, 1979 et 1982 – ainsi que le prix Nebula en 1971, 1972 et 1982, et le prix Tolkien Memorial en 1978. Son premier roman publié fut Vault of the Ages en 1952 ; il fut suivi de près par ses classiques Barrière mentale et Trois cœurs, trois lions (mentionnés précédemment). La liste complète de ses ouvrages jusqu’à aujourd’hui ne tiendrait pas sur une page, fusse-t-elle écrite en petits caractères, mais plusieurs peuvent être regroupés en séquences. La série « Histoire technique » suit deux personnages sur deux périodes espacées de trois siècles, le marchand Nicholas van Rijn de la ligue Polesotechnique dans Le peuple du vent (1958), les recueils Trader to the stars (1964), The trouble twisters (1966), Mirkheim (1977), The people of the wind (1973), etc. ; and l’agent terrien Dominic Flandry dans Ensign Flandry (1966), The rebel worlds (1969), A circus of Hells (1970), The day of their return (1973), etc. Une autre série, celle des « Patrouilleurs du temps », commence avec Les croisés du cosmos (1960), plusieurs suivront. Ses histoires indépendantes les plus notables incluent The Broken Sword (fantasy, 1956), La patrouille du temps (SF/fantasy, 1960), Tau Zero (SF, 1970), Tempête d’une nuit d’été (fantasy, 1975) et The boat of a million years (SF, 1989). Son dernier cycle de SF se compose des quatre tomes de Harvest of stars (initié en 1993).

Bien que considéré comme un romancier, Anderson s’est illustré principalement dans le format court, plébiscitant les personnages et un univers émotionnel plutôt que technologique. Ses œuvres les plus mémorables, récompensées par le prix Hugo, incluent The longest voyage (1961), No truce with Kings (1964), The sharings of flesh (1969), La reine de l’air et des ténèbres (1972), Goat song (également prix Nebula, 1973), Hunter’s moon (1979) et The Saturn game (également prix Nebula, 1982).

Etre un écrivain est ce que la nature avait prévu pour moi

« J’écris pour mon propre amusement depuis aussi loin que ma mémoire puisse remonter. J’ai réalisé il y a longtemps qu’être un écrivain est ce que la nature avait prévu pour moi – il n’y a pas eu de moment précis de révélation. En 1946, j’avais un ami à l’université, Neil Waldrop, et il nous est arrivé de parler des conséquences d’une guerre nucléaire. Cela m’a inspiré une histoire, et il m’a conseillé de la soumettre, donc j’ai emprunté la machine à écrire de ma mère, j’ai préparé un manuscrit et je l’ai envoyé. Neil m’avait donné tellement d’idées que je l’ai crédité pour la moitié de l’histoire, mais j’avais tout écrit moi-même – ce qui se produit presque dans toutes mes collaborations. C’était au printemps 1946. Je partis dans la région de North Woods pour un job d’été, revins poursuivre mes études et cet automne vint la lettre de toute une vie signée par John Campbell – ouah ! C’était ma première vente. Tomorrow’s children parut dans Astounding en 1947.

J’étudiais toujours la physique, espérant devenir astrophysicien, et pensais pouvoir au pire me reconvertir dans l’écriture. Mais en 1948, j’obtins mon diplôme en temps de crise. Il était difficile de trouver du travail, et je n’avais plus d’argent pour poursuivre des études. A cette époque, je vendis quelques autres histoires, et décidai – étant un diplômé n’ayant jamais vraiment eu le temps de développer un goût particulier pour quoi que ce fût – d’écrire pour gagner ma vie en attendant de trouver un véritable travail. Mais ma recherche fut de moins en moins motivée. J’aimais trop être mon propre patron.
Par ailleurs, je réalisai que je n’aurais jamais fait un très bon scientifique. J’étais un peu gauche dans un laboratoire, et malgré le fait que je puisse comprendre n’importe quoi de mathématique, quand il s’agit de trouver des preuves pour avancer le bien fondé de mon propre travail, je suis terriblement mauvais. Je continue d’être fasciné par la science en tant que telle, et je m’efforce de rester à la page. Ce qui finit par inclure toutes les sciences : biologie, géologie, archéologie, tout ce que vous voulez. Et bien sûr, d’autres domaines : la politique, l’histoire, et même la littérature !

Je ne suis pas unique de ce point de vue, mais en cinquante ans de carrière j’ai incité des gens à la réflexion, ai suscité un questionnement sur des choses qu’ils tenaient pour acquises ou les ai fait réaliser quelque chose dont ils n’avaient pas conscience. Ils n’ont pas tous fini par être d’accord avec ce que je souhaitais leur monter, mais je les ai changés. Ce qui inclut pousser de jeunes gens vers des carrières scientifiques, en premier lieu. Il y a aussi ceux qui n’ont eu que du plaisir – qui ont apprécié ce que je fais. Il est possible que j’aie également influencé d’autres auteurs, il est même concevable qu’Heinlein en fasse partie, même si cette influence s’est exercée dans le sens inverse… Mais la pseudo-cyberentité de The moon is a harsh mistress peut renvoyer à la mienne dans Sam Hall plusieurs années auparavant.


"J’ai un faible pour Trois cœurs, trois lions"

Quels sont les cinq livres dont j’aimerais qu’on se souvienne ? Eh bien, on espère toujours que le dernier sera le meilleur, mais à la réflexion… Tau Zero, j’aime particulièrement celui-ci. C’était une sorte de tour de force, et je pense que j’ai réussi ce que j’avais entrepris de réaliser. Tempête d’une nuit d’été, certainement. Et The boat of a million years – qui est en réalité à la frontière entre la SF et la fantasy. J’ai un faible pour Trois cœurs, trois lions. J’hésite entre une douzaine d’autres pour la cinquième place, mais The enemy stars l’occuperait idéalement. J’aimerais tellement avoir plus souvent ce genre de bonne idée qui laisse libre cours à l’extrapolation. C’est-à-dire, ce que la science-fiction fait de mieux. Aussi vieux soit-il, Barrière mentale pourrait lui aussi figurer sur cette liste. Barrière mentale était une sorte de poétisation intellectuelle. Soudain, le QI de tout ce qui possédait un cerveau faisait un bond de géant vers l’avant, et bien que la transition fût difficile, le résultat parlait de lui-même. Aujourd’hui, cependant, j’émettrais quelques réserves sur ce point.

En dehors de l’avantage d’être mon propre patron, les récompenses de l’écriture ont été bien maigres. Il y a l’apprentissage : pour écrire quelque chose, il vaut mieux en savoir pas mal sur ce qu’on écrit. Cela a impliqué des recherches, autant de voyages qu’il m’a été possible d’effectuer, l’expérience de ce que sont vraiment les choses. Ou l’expérience d’autres choses. J’écris de bien meilleures scènes de combat depuis que la Société des Anachronismes Créatifs existe. Et en parlant aux gens, en les laissant me guider dans ce qu’ils font dans la vie. Puis en m’asseyant et en réfléchissant aux implications de tout cela. Quelques fois une idée surgit – c’est un sacré moment d’excitation. Je prends tout autant de plaisir à m’asseoir et réfléchir à des détails techniques comme l’orbite des planètes, imaginer quelles conséquences découlent de quels postulats.

L’avantage de l’âge est bien entendu l’expérience. Je pourrais réviser ces histoires de jeunesse et les réécrire bien meilleures qu’à l’époque, mais (à une exception près, The broken sword) je ne l’ai jamais fait. Les idées venaient plus facilement à l’époque, même si elles avaient un côté « contrées vierges » – l’âge d’or de Campbell, depuis le moment où il a pris en charge Astounding jusqu’en 1942-43, venait juste de se terminer, et c’était véritablement l’âge d’or de la science-fiction moderne. D’une part, il avait réuni un noyau solide de très bons auteurs, et d’autre part ils évoluaient dans des contrées vierges, faisant toutes sortes de choses qui n’avaient jamais été faites.

Quand je suis arrivé, ces possibilités existaient encore. Je pense que j’en ai profité. Par exemple, j’ai bien peur d’avoir inventé le cybercrime dans une histoire des années 1950. Le stock n’est pas encore épuisé aujourd’hui, fort heureusement. La science, en particulier, continue d’apporter son lot de nouveautés, et sur le plan technologique, mon dieu ! Le trop plein déborde des fontaines de l’insondable.


"Le voyage spatial a au moins le potentiel d’une troisième ère de révolution scientifique"

Ma nouvelle série de quatre romans n’était pas entièrement planifiée du début à la fin. J’ai écrit le premier roman, The harvest of stars, et durant le processus, j’ai réalisé que certaines implications avaient à peine été effleurées. John Campbell disait que « rien ne vient tout à coup ». Je cherchais à extrapoler les possibilités et les potentiels de l’époque, à les dépasser. Il est parfaitement évident que deux concepts complètement révolutionnaires sont à l’œuvre dans la cybernétique et la biologie.

Dans Harvest of stars, il y a cette notion, qui ne m’est pas attribuable, qu’il sera bientôt possible de télécharger une personnalité humaine dans un programme logiciel. Il est peu probable que beaucoup de gens soient d’accord pour tenter l’expérience si on leur en donnait l’opportunité, et du peu qui accepterait, la plupart ne dureraient pas longtemps. Mais certains s’adapteraient. Un de mes protagonistes, Guthrie, l’a fait, et peut en conséquence rester en charge de Fireball pendant des siècles, qui s’avère devenir le grand enjeu de l’ère spatiale. Puis, il y avait le processus de développement de la nouvelle race humaine génétiquement modifiée, une nouvelle espèce capable de vivre confortablement sur la lune – et en particulier de s’y reproduire. Là, je naviguais en aveugle. Personne ne sait quelle est l’incidence de la gravité sur une grossesse. A mesure que ces paramètres interagissent, les choses deviennent de plus en plus bizarres.

Le voyage spatial a au moins le potentiel d’une troisième ère de révolution scientifique, même s’il est très optimiste de l’estimer à notre époque, vu la tendance à la militarisation de la NASA et celle à se servir de Saturne comme d’un vulgaire décor que l’on balance aussitôt après l’avoir utilisé. Ce n’est pas la meilleure façon de se servir d’un chemin de fer, encore moins d’une route spatiale.
Je ne suis pas très optimiste quant au futur immédiat de la démocratie, donc la Terre est une dictature, imaginée à la base comme constituée d’ « incorruptibles de la verdure et des océans » issus des environnementalistes et d’autres écolos politiquement corrects du genre. Il y a une dose de satyrisme là-dedans. Bien entendu, comme le totalitarisme, le système dégénère pour finir par être remplacé par une idéologie tyrannique.

Dans Harvest of stars, j’essaie de donner le change aux écologistes annonciateurs de l’apocalypse. La Terre a subi beaucoup de dommages, mais elle a aussi formidablement récupéré, et si nous en tenons compte nous pouvons établir une économie globale viable permettant un niveau de vie élevé pour tout le monde. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. J’imagine que les éco-fanatiques qui veulent nous renvoyer à l’ère des fermes et des mulets n’ont jamais marché derrière les fesses d’un mulet. Je l’ai fait. Et bien entendu, avant que vous ne puissiez obtenir cette charmante utopie avec le nombre idéal d’habitants nécessaires à son bon état de marche, il y aurait des milliards de morts. Je ne veux pas être celui qui les abattra à la mitraillette !
Il n’y a plus de doute raisonnable quand au trou dans la couche d’ozone et sa cause, mais nous y remédions – des études montrent que la situation sera revenue à la normale dans moins d’un demi-siècle. Nous n’en savons pas encore beaucoup sur le réchauffement global – les mécanismes sont encore trop mal compris. Beaucoup d’idées circulent, mais un modèle dit ceci, un autre dit cela… Comme le faisait remarquer Freeman Dyson il y a un bout de temps, la Terre est-elle nécessairement actuellement à une température optimum ? Elle a été tantôt plus chaude, tantôt plus froide par le passé.

"Tant de sciences-fictions américaines sont conservatrices"

"Tant de sciences-fictions américaines sont conservatrices – pas autant qu’il y a quelques années, mais fondamentalement centrées sur une culture semblable à la nôtre, avec les mêmes idéaux, les mêmes façons de faire, disposant simplement d’une technologie plus grosse et plus clinquante. Vous savez sacrément bien que ça ne fonctionne pas comme ça. J’ai essayé d’introduire ce genre de notion dans The stars are also fire, puisque l’intrigue se déroule plus loin dans le temps.
Il devrait être possible, en théorie, de comprendre ce qu’il se passe dans un cerveau, au moins à un moment donné, et de le détailler sous forme de carte, selon un certain procédé pour en tirer un programme logiciel exploitable. Il serait également possible que dans un premier temps il soit incapable de fonctionner sans interface organique. Si vous pouviez le faire au moyen d’un ordinateur quantique, de puces ou de n’importe quoi, il est plausible que de l’information devienne manquante. Si vous pouviez produire l’équivalent d’un intellect humain, vous obtiendriez quelque chose de tellement semblable à un être humain que l’on se demanderait : « pourquoi s’embêter alors qu’il suffit d’un homme, d’une femme et de neuf mois devant soi ? » C’est un postulat pour le besoin d’une histoire, comme les changements génétiques des Sélènes.
En ce qui concerne la valeur de l’individu, je rejoins le point de vue de Heinlein. Mon héros, Guthrie, est un personnage typiquement Heinleinien. C’est en partie une considération d’ordre affectif, une prédilection libertaire, un préjugé en faveur de la liberté individuelle, et en partie une méfiance intellectuelle basée sur les leçons de l’histoire et sa théorisation, comme à travers la théorie du chaos. Une méfiance des systèmes complexes, gloutons. A cet égard, il y a un parallèle avec Heinlein dans cette série.

Harvest of stars débute probablement vers le 22ème siècle. Dans le second tome, The stars are also fire, vous revenez au 21ème siècle, et plus tôt encore. Ce livre commence plus tard, mais revient plutôt dans le temps. Ce sont deux histoires interdépendantes, l’une ancrée dans le 25ème siècle environ, l’autre couvrant la majeure partie du 21ème siècle. C’est l’histoire de la vie d’un pionnier lunaire très en avance sur son temps. Le troisième livre, la novella Harvest the fire, avait été écrite pour compléter un recueil mais l’éditeur a décidé de la publier séparément. Elle s’insère donc après le second livre. Le quatrième tome, Fleet of the stars, se déroulera approximativement un millier d’années après le premier volume, quelques siècles après le début du prochain millénaire – 34ème siècle, quelque chose comme ça.

S’il y a un thème principal dans cette série, c’est la relation entre l’homme et la machine, entre l’organique et l’intelligence artificielle. Il risque d’y avoir un certain nombre de types bien blessés en cours de route, et pas mal de souffrance et de ressentiment, mais parallèlement les machines ont tant à nous offrir… Dans le deuxième livre, par exemple, on comprend que c’est principalement ce système contrôlé automatiquement qui a préservé la biosphère terrestre, en organisant les choses diligemment. Les machines ne dictent rien à l’humanité – elles servent leurs propres desseins."

"les machines visent un ordre céleste"

De plus en plus, les machines visent un ordre céleste, qui ne serait pas statique, tout au contraire : essentiellement un intellect contrôlant l’univers et en perpétuelle expansion, faisant toutes sortes de choses merveilleuses. Ce n’est pas une composante humaine : les humains n’en sont pas capables durant une longue période de temps, l’histoire le montre.

Il y a un conflit homme/machine d’un côté, une synthèse d’un autre côté. Donc, comme dans beaucoup de philosophies, on en revient toujours à une différence d’attitude plus qu’autre chose. Le quatrième livre n’établit rien, parce que tout va de soi, à l’échelle d’une galaxie au moins, de millions d’années, et je ne m’y risquerai pas ! Stapledon pourrait… Dans mes romans, je suggère que les deux tendances évoluent séparément. Après tout, l’univers est bien assez grand.

Gregory Benford explore une relation homme/machine dans sa série du « Centre galactique » à l’allure d’un conflit inéluctable. Je ne pense pas que cela doive se passer nécessairement ainsi. Je ne vois pas la raison qui pousserait des I.A. à chercher à nous conquérir, à moins que nous ne constituions une dangereuse menace pour elles. Elles n’ont que faire de la propriété individuelle, ou de quelque chose comme ça. D’un autre côté, les machines pourraient avoir des motivations nous impliquant à un niveau qui nous paraîtrait bénin, mais que nous n’aurions pas choisi pour nous-mêmes. Il y a une problématique de liberté ici. A certains égards, il se pourrait que je contredise Asimov plus que quiconque ici.

Je me vois principalement comme quelqu’un destiné à soulever des questions plutôt qu’à y trouver des réponses. S’il y a une chose que je laisse de côté plus que toute autre, c’est le paranormal, ce qui n’est pas du ressort de l’univers fait de matière et d’énergie. Je ne dis pas qu’il n’existe ni dieu, ni âme immortelle ; je dis simplement qu’ils n’ont pas lieu d’être considérés dans le problème.

Il est certain que les questions les plus basiques sont infinies, et que nous tomberons un jour sur quelque chose auquel nous n’aurons pas de réponse. Même ce que nous admettons sur le plan astronomique est absurde – avez-vous connaissance des dernières percées en mécanique quantique ? D’une certaine manière, il y a eu comme une rébellion des systèmes intellectuels (la conscience pure, etc.) contre l’élément organique, aléatoire, subconscient de ce monde, qui se manifeste de façon évidente et abondante dans la vie de tous les jours – regardez par votre fenêtre les arbres en fleurs, les prairies, un oiseau. Tout ceci est infiniment plus complexe et merveilleux que tout ce que nous pourrions trouver sur, disons, Jupiter. Nous y sommes simplement plus habitués.


"un élément de conflit inéluctable"

Je pense qu’il y a toujours eu dans mes histoires un élément de conflit inéluctable, moins entre le Bien et le Mal qu’entre deux attitudes ou manières différentes. Dans la série des « Patrouilleurs du temps », vous trouverez plusieurs cultures conflictuelles. Aucune n’est intrinsèquement bonne ou mauvaise. Parfois le héros doit faire des choses qui ne lui plaisent pas, qu’il considère comme le moindre des maux. A un certain point il doit annihiler un univers parallèle tout entier ! L’Histoire Future, les livres de la série Flandry en particulier, exploitent également ce principe de temps en temps.
Peut-être que le meilleur exemple serait Le peuple du vent, qui présente une planète colonisée par deux races complètement différentes et sur laquelle se développe une culture synthétique inédite. Ces races ne vivaient pas vraiment bras dessus, bras dessous, mais ils avaient une relation très intime et se joignirent dans la guerre contre l’empire terrestre venu remodeler les frontières. Je tentais de montrer les impérialistes faisant, de leur point de vue, leur devoir selon une certaine idée de la justice et de la sagesse.

Nous avons une sorte de spécialité américaine : nous acquérons un certain mérite pour ensuite nous en remettre au Vieux Monde pour revenir et mettre les choses d’équerre. Mais je ne vois pas bien comment cela peut fonctionner. Dans le cas de Kim Stanley Robinson, pas plus loin que sur Mars, cela pourrait fonctionner, mais étant donné les distances intersidérales et la limite de la vitesse de la lumière, il est difficile de concevoir comment les pionniers pourraient revenir et réformer les choses, même s’ils le voulaient. Dans le quatrième livre, Guthrie revient effectivement sur Terre pour comprendre ce qu’il se passe, mais est totalement impuissant, dépassé par les imprévus rencontrés sur place. Mais je pense que dans ces livres il y a un déni implicite des obligations de revenir et réformer les choses selon votre propre point de vue. En fait, je défends la liberté, non seulement celle d’être laissé tranquille mais de laisser les autres tranquilles si vous avez le choix. Cependant je me retrouve à explorer les implications de telles considérations, car elles sont loin de tout simplifier.

Sur un plan plus philosophique, s’il existe des valeurs absolues comme la liberté, les devoirs, l’expansion de la conscience, voire l’élévation spirituelle, elles ne sont pas indépendantes l’une de l’autre. Elles sont interdépendantes, elles font des compromis – elles s’affectent mutuellement. J’essaie d’explorer, peut-être, d’une façon symbolique, la relation entre les droits et les devoirs, et leur prix.


"Je ne pense pas qu’il soit possible de tracer une démarcation entre la science-fiction et le fantastique"


Ecrire est généralement un problème d’approche ou d’attitude de la part de l’écrivain. Je ne pense pas que je pourrais jamais écrire ce qu’ils appellent de la magie réaliste, par exemple ; mon esprit ne fonctionne pas dans ce sens. Mais je ne pense pas qu’il soit possible de tracer une démarcation entre la science-fiction et le fantastique. La fiction est l’apanage de gens et d’évènements qui ne sont pas réels, et vous ne pouvez pas non plus tracer de démarcation entre la fiction et la non-fiction, parce que l’histoire en général est une question d’interprétation. Et même en écrivant du fantastique, j’ai tendance à envisager les choses sous un angle concret – peu importe le degré d’étrangeté de la situation, je me cantonne à une certaine logique. Le fantastique est en général une forme perdante. Il y a plus de liberté dedans. En fait, mon œuvre préférée est probablement une œuvre fantastique, Tempête d’une nuit d’été, qui se déroule dans un univers dans lequel les pièces de Shakespeare sont des faits réels. Je me suis beaucoup amusé à partir de cette prémisse.

Les historiens classiques et médiévaux ont librement écrit des dialogues, et jusqu’à présent, pensent toujours que c’est relativement légitime. Mais dans ce que nous appelons la fiction pure, les personnes et les évènements appartiennent à des catégories de personnes et d’évènements réels. Vous pourriez alors dire que la science-fiction fait intervenir des catégories non réelles – mais qui pourraient devenir réelles dans un futur proche, avoir été réelles dans le passé, peuvent être réelles ailleurs dans l’univers. L’histoire d’un contingent humain sur la Lune était de la science-fiction jusqu’au programme Apollo, et l’histoire d’un contingent sur Mars l’est toujours, mais nous espérons que cela ne sera pas toujours le cas, etc.

Et le fantastique concerne des catégories non réelles que nous n’avons aucune raison de croire réelles, ou de pouvoir devenir réelles – les licornes, les sorciers, les politiciens honnêtes… Mais encore une fois, ils se confondent. Le voyage temporel et le voyage supraluminal appartiennent à la science-fiction, même si plusieurs physiciens estiment qu’ils sont impossibles ; d’un autre côté, les fantômes et les dieux sont des motifs fantastiques, mais de nombreuses personnes parfaitement sensées croient en au moins un dieu ou l’existence de l’au-delà.


War of the gods

Ma prochaine publication sera un roman fantastique – je pense qu’il s’appellera War of the gods. Il sera une réinterprétation d’une ancienne histoire nordique concernant un héros nommé Hadding, dont la signification est discutée par de nombreux historiens depuis plus d’un siècle. Ce récit ne suit pas le motif familier du héros. J’ai eu beaucoup de plaisir à le manipuler.

Mon projet actuel est un récit de science-fiction, très ambitieux je pense. Mais encore une fois, c’est en quelque sorte un problème de ce qu’il est possible de faire, de l’acceptation des limites. Celles de la vitesse de la lumière, encore une fois. Est-ce qu’une civilisation, une fois lancée dans une direction, la gardera indéfiniment ? Quelles sont les influences capables de compenser la disparition du voyage interstellaire ? Une des raisons pour lesquelles ma femme, Karen, dit que je devrais réécrire le premier draft – et je pense qu’elle a raison – est que l’histoire est devenue trop lugubre. Le titre sera Starfarers.

Il couvre une vaste période de temps. Très tôt, un vaisseau est à la recherche de la prochaine civilisation interstellaire, qui se trouve à 5000 années-lumière, ce qui implique un voyage de 10000 ans. Quel genre de personne voudrait embarquer pour ce genre de voyage ? L’histoire ne se situe pas dans l’univers de ma série précédente ; en fait, les postulats sont très différents. Pas de robots intelligents. Greg Bear est connu pour ses futurs très crédibles, mais il dit qu’il faut toujours faire taire le futur. Si vous pouviez l’écrire tel qu’il sera, personne ne vous comprendrait.


Les auteurs d’aujourd’hui apprécient Bear, Benford, Brin et moi-même

Les auteurs d’aujourd’hui apprécient Bear, Benford, Brin et moi-même – je ne dirais pas que nous formons une sorte d’école en soi, mais nous avons beaucoup en commun. L’un d’eux repousse les frontières de la science. Nous sommes moins intéressés par la fabrication de miracles et écrire sur ces miracles que par la conception de miracles dans le contexte de ce que nous savons plus ou moins du monde qui nous entoure. Un exemple flagrant est que nous acceptons la limitation de la vitesse de la lumière, et que nous nous efforçons de voir ce qu’il est possible de faire en tenant compte de cette limite.

Je pense, pour résumer – et j’ai dit quelque chose de très similaire ailleurs auparavant – que nous devons profiter de notre brève existence privilégiée dans cet univers merveilleux et mystérieux, aux possibilités multiples et aux opportunités incroyables ; écrire et penser à toutes choses m’a aidé à les apprécier encore plus, et j’espère que j’ai aidé d’autres personnes à en faire de même, à éprouver la même joie d’être vivant.

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