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Pourquoi (re)lire La Stratégie Ender aujourd’hui ?
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Pourquoi (re)lire La Stratégie Ender aujourd’hui ?

Pourquoi (re)lire La Stratégie Ender aujourd’hui ?

La Stratégie Ender est un des grands classiques d'Orson Scott Card et de la science-fiction toute entière. Aujourd'hui on vous donne quelques bonnes raisons de le lire ou de le relire.

Il y a plusieurs dizaines d’années, la flotte terrienne a réussi à repousser l'attaque des Doryphores, une espèce extra-terrestre hostile. Aujourd'hui pourtant, une nouvelle invasion menace. Un programme militaire pour la formation des futurs commandants de la flotte est en cours, mais chaque heure compte. Parmi les élèves-officiers — tous des surdoués —, Andrew Wiggin, dit Ender, focalise toutes les attentions. Appelé à devenir un puissant stratège, il est le jouet des manipulations de ses supérieurs depuis sa naissance... et cela le dépasse.

En effet, Ender n’est pas un garçon comme les autres. Ses faits et gestes ont été observés par l’intermédiaire d’un moniteur greffé dans son cerveau depuis qu’il est né. Alors qu’il suit pas à pas le dur chemin de son apprentissage de guerrier, au détriment de son monde affectif, ses créateurs mesurent la gravité de leur choix : en donnant naissance à un monstre, n’ont-ils pas condamné l’humanité elle-même?

Car c'est entre ses mains que repose le sort de celle-ci.

Lui qui n'a que six ans.

ORSON SCOTT CARD

Né dans l'Etat de Washington aux Etats-Unis, il a été missionnaire au Brésil. Il est membre de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (mormons) et enseigne actuellement à Salt Lake City.

En 1977, il publie une première nouvelle, pour laquelle il obtient le prix Astounding du meilleur nouvel écrivain de science-fiction. Il est nommé ainsi d'après le magazine de science-fiction Astounding Science-Fiction (maintenant appelé Analog Science-Fiction and Fact).

En 1979, il publie son premier roman, Une planète nommée trahison. En 1985, il publie La Stratégie Ender, récompensé à la fois par le prix Hugo du meilleur roman et par le prix Nebula du meilleur roman. La suite de ce roman, La Voix des morts, reçoit à nouveau le prix Hugo et le prix Nebula, une première dans l'histoire de la science-fiction.

La stratégie Ender ouvre le magistral Cycle d'Ender, que d'aucuns considèrent comme le chef-d’œuvre de cet auteur contemporain majeur. De confession mormone, Orson Scott Card s'est toujours attaché à défendre une science-fiction initiatique et humaniste.

Alors pourquoi (re)lire La Stratégie Ender aujourd’hui ?

Le lecteur contemporain peut s’interroger sur les raisons qui peuvent le pousser à se plonger dans un roman de science-fiction des années 80. A quoi bon lire un roman d’apparence militaire, qui évoque un apprentissage douloureux alors que la SF actuelle parait plus armée que jamais pour aborder tous les sujets et toutes les envies d’ailleurs et de demains ?

Lors d’une interview accordée en 2 000, l’auteur à qui l’on faisait remarquer que l’enfance était chez lui un sujet de prédilection, notamment en référence à Alvin Le Faiseur, répondait : « c'est vrai que c'est une période qui m'intéresse particulièrement car c'est là où se forme la personnalité de chacun ».

La Stratégie Ender reste efficace parce que l’enfance sacrifiée, la crédibilité de l’univers peint, les manipulations politiques évoquées, les espaces clos étouffants, l’amour et la haine en bonnes places donnent aux thèmes abordés une vision moderne et sans concessions de nos jours sombres mais pas sans avenir.

  • L’éthique et la responsabilité des adultes

Le personnage principal de nombreux ouvrages d’Orson Scott Card est un jeune souvent mis à l’écart par sa famille, ses amis, son entourage à cause de son caractère ou de son physique. Mais il finit par montrer qu’il vaut mieux que ce qu’en disent les autres. La formation militaire d’Ender ne se fait pas à travers sa seule capacité à être parmi les meilleurs. Il a conscience qu’il doit être LE meilleur. « C’est pour cela que je suis venu, pour qu’ils fassent de moi un outil, pour sauver le monde ». Rien moins que ça !

La responsabilité des adultes est clairement au cœur de l’ouvrage. Partagés entre gagner la guerre et la conscience de ce qu’ils font subir aux enfants, ils donnent l’impression de ne pas avoir le choix, entre responsabilité et compassion. Quitte à mentir, à faire perdre la raison aux jeunes enrôlés, à les manipuler.

Je pense bien sûr aux enfants soldats. Pas uniquement à ceux médiatisés récemment, en Afrique ou en Colombie. C'était déjà le cas dans les sociétés nomades des Scythes, des Parthes, des Mongols ou des Turcs, où tout individu était considéré comme un soldat dès qu'il savait monter à cheval et tirer à l'arc. De même, dès leur plus jeune âge, les Vikings étaient entraînés pour devenir des guerriers. Au Moyen Âge, en France, l'entraînement du chevalier commençait vers 9/10 ans (parfois dès sept ans), avec un entraînement militaire. Il faut aussi mentionner le sacrifice fanatique des Jeunesses hitlériennes lors des dernières semaines du Troisième Reich. Des enfants soldats ont aussi été utilisés durant la guerre de Sécession, aux États-Unis dans les années 1860.

C’est cela qui fait la modernité du livre, parce que les problèmes posés par l’auteur puisent dans le passé et questionnent l’avenir.

 

  • L’avènement d’un stratège

Ender est le Troisième, après Peter, l’aîné, celui qui le maltraite et Valentine qu’il adore. La planète est surpeuplée, deux enfants par famille, le « Petit » est né pour être le sauveur de l’humanité.

Ender fait la différence car son intelligence repose sur la connaissance et l’amour qu’il a de son ennemi. Alors il peut le détruire. Tout simplement. Il en va de la pérennité de l’espèce humaine. L’auteur nous montre à voir sa montée en puissance, ses angoisses, ses questionnements, ses doutes, sa grande solitude, ses envies d’alliance.

Les vrais stratèges d’aujourd’hui sont sans doute à chercher dans le milieu médical, dans les femmes et les hommes luttant contre la pollution de la planète, dans ceux qui mettent en place des aides aux plus démunis. Des visionnaires parfois, des perfectionnistes, des humanistes, quitte à se mettre une partie de la population à dos par leur jusqu’au-boutisme.

C’est aussi cela qui fait du livre un objet hautement recommandable. L’auteur nous conduit par l’histoire d’Ender, à être touché par ce qui se passe aujourd’hui : le contrôle des naissances dans certains pays, les dictatures qui sont tombées et celles qui restent, le terrorisme et ses « machines à tuer ».

 

  • Jeux et réseaux sociaux

Il y a deux livres, au moins, dans La Stratégie Ender, qui se répondent.

Le premier est celui où Ender apprend à être chef de guerre. Le jeu, en solitaire ou en interaction avec les autres et les simulations rythment son quotidien. On en vient, comme lui d’ailleurs, à guetter l’appel de la prochaine bataille virtuelle, avec envie d’abord puis avec lassitude avant de frôler le dégoût.

Le deuxième est celui ou son frère, Peter, et sa sœur, Valentine, deux enfants, vont s’amuser d’abord puis se prendre au jeu des réseaux. Ecrire, donner leur avis, rallier les autres, prendre le pouvoir, tout en cachant leur véritable identité.

A l’aube d’Internet, Orson Scott Card, évoque déjà la puissance psychique du jeu et des réseaux. C’est la vraie dimension d’anticipation de l’œuvre.

De nos jours, si l’on doit se replonger dans la violence que vit Ender, physique, morale et sociétale en tant que Troisième, l’auteur ne condamne en rien le jeu par lui-même, y compris comme apprentissage de la vie. On sait dorénavant que le jeu sous toutes ses formes est source d’éveil. L’addiction aux jeux vidéo est un phénomène relativement nouveau. Il a surtout explosé ces dernières années avec la possibilité de jouer en réseau sur Internet au sein d’une communauté de joueurs. Le livre nous permet d’évoquer cette dérive actuelle possible.

De même, les interrogations du pouvoir (politique et militaire) à propos des deux « essayistes » qui développent leurs idées sur les réseaux apparaissent comme légitimes et trouvent une ferme résonance aujourd’hui.

Développer sa créativité, asseoir ses positions, défendre ses convictions, c’est cela la liberté de grandir. C’est cela que l’auteur donne à lire. Avec en toile de fond, les dérives possibles.

 

  • Communications, politique et guerres

L’autre aspect incontournable de cette œuvre vient des nombreuses réflexions et actions des uns et des autres autour de la communication.

Un « ansible » est un dispositif théorique permettant de communiquer à une vitesse supraluminique, imaginé en 1966 par Ursula K. Le Guin dans Le Monde de Rocannon. Elle en détaillera plus tard le concept dans Les Dépossédés(1974). Dan Simmons ou Ayerdhal reprendront le concept à leur compte, dans Hypérion ou La Bohème et l’Ivraie.

Orson Scott Card en fait la création des humains en réaction à l’invasion des extra-terrestres que sont les doryphores, sortes d’héritiers des insectes terriens mais qui maîtrisent les voyages interstellaires.

On sent bien l’attraction que procure à l’auteur leur faculté de communiquer à l’instar d’une ruche. La fin, inattendue et ouverte, permettra de capter toute l’ampleur de celle-ci.

De nos jours, la communication est un des outils merveilleux qui rapprochent les hommes. Dans La Stratégie Ender, voici ce qu’on peut lire :

- Ainsi toute cette guerre repose sur le fait que nous ne pouvons pas nous parler ?

- Si l’autre type ne peut pas te raconter son histoire, tu ne peux jamais être certain qu’il ne cherche pas à te tuer.

Enfin, toujours en matière de communication, l’auteur, et c’est peut-être ce qu’on peut lui reprocher, prend la place de l’un des personnages pour s’en prendre au Pacte de Varsovie par l’intermédiaire des réseaux. Celui-ci ne sera dissous qu’en 1991 mais on sent qu’à l’époque l’auteur est profondément anti-russe.

En conclusion :

Comment lutter contre la surpopulation, l’instabilité géopolitique, la violence, la guerre ? Comment éviter les dérives de l’éducation, des réseaux ? Comment aborder la maturité précoce ? Comment appréhender la survivance et à quel prix ? Est-il donc questions plus actuelles que celles posées par l’auteur ?

Alors bonne (re)lecture !

Et si on veut aller plus loin :

  • Ender’s game: Gavin Hood adapte le livre en 2013. Il est toujours difficile de transcrire à l’écran les émotions ressenties à la lecture d’un ouvrage. Le film n’a pas été vraiment été à la hauteur des attentes. A vous de voir !
  • La Voix des morts, Xénocide, Les Enfants de l’esprit forment le Cycle d’Ender à la suite de La Stratégie Ender. Pour moi le plus marquant reste le Tome 2, à la fois suite du Tome 1 et histoire totalement différente.

  • A part Alvin Le Faiseur, l’autre cycle connu de l’auteur, un bel exemple de la patte de l’auteur, et de son intérêt pour l’enfance est Les Maîtres Chanteurs. Il y est question de chant, d’émotions, de violence mais aussi d’amour et de beauté.

 

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