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Pourquoi (re)lire Les Hommes dénaturés de Nancy Kress
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Pourquoi (re)lire Les Hommes dénaturés de Nancy Kress

Pourquoi (re)lire Les Hommes dénaturés de Nancy Kress ?

Nancy Kress est une autrice de science-fiction américaine. Sa novella la plus célèbre, L’une rêve, l’autre pas, publié en 1991 aux Etats-Unis, puis en France en 1993 a été récompensée par de nombreux prix dont le prix Hugo, le prix Nebula, le prix Asimov des lecteurs, le Grand Prix de l’Imaginaire et le prix décerné par Science Fiction Chronicle. ActuSF réédite le texte en poche en 2018.
Alors que deux jumelles viennent au monde, l’une d’elles a été génétiquement modifiée pour ne plus avoir besoin de sommeil. Chaque jour, elle dispose de huit à dix heures en plus pour vivre et découvrir le monde. Des heures qui feront aussi d’elle un être à part.

Dès lors, comment trouver sa place dans une société qui n’est plus la vôtre ? On trouve déjà chez l’autrice plusieurs des sujets qui la passionnent : la position de l’individu dans la société, l’eugénisme, l’acceptation des différences, la science au secours de la société et ses dérives.

Avec Les Hommes dénaturés, elle affirme quelques années plus tard sa position de lanceuse d’alerte et nous invite à questionner notre réalité. Écrit en 1998, Les Hommes dénaturés ressort en poche dans la collection Hélios chez ActuSF.

Pourquoi se plonger dans un tel ouvrage aujourd’hui ? Dans l’univers dépeint par l’autrice, l'espèce humaine traverse un drame qui frise la tragédie. En effet celle-ci est au bord de la disparition car la fertilité des éventuels parents n‘est plus qu'un souvenir ancien. Sans enfants, la population vieillit. Il y a de moins en moins d’actifs pour de plus en plus de retraités, et les couples, les femmes surtout, ressentent un besoin impérieux de descendance.

Une alerte sous forme de thriller

Nancy Kress écrit court. Souvent. Avec un style un peu froid parfois, elle dénonce. Le cadre est assez vite posé la plupart du temps et cet ouvrage, Les Hommes dénaturés, ne coupe pas à cette façon d’écrire. On entre de plein fouet dans une découverte étrange et plutôt effroyable et la longue traque commence.

On se rend compte que les problèmes mis en évidence alors par l’autrice au cours de cette quête pour la vérité écrite il y a plus de 20 ans, sont encore criants de nos jours : problèmes d'infertilité, l'avenir professionnel parfois sombre, l'homophobie, la pollution, la misère et la peur de l'avenir.

Les enfants sont qualifiés dans cette sombre histoire de « ressources nationales » : le désir d'enfant, le besoin de descendance sont tels que tous les moyens sont envisagés pour leur trouver des substituts, y compris la « vivifacture » qui consiste à faire pousser des cellules humaines sur des animaux pour des greffes futures. Les enfants sont élevés dans l'idée qu'il est de leur devoir de soutenir les plus anciens et de « faire leur part ».

Le verbe est dur, la dénonciation déjà là, l’histoire se passe en 2030, autant dire aujourd’hui.

Trois personnages, trois enjeux

Les trois principaux personnages n’auraient pas dû se rencontrer. Obligés de faire face, le feront ils ensemble ? Rien n’est moins sûr au départ : chacun raconte sa propre histoire, le « je » est de rigueur, je vous laisse découvrir leur rencontre à trois.

Shana l’orpheline qui rêve d’intégrer l’armée fait tonner sa voix parce qu’elle découvre un odieux trafic. Quitte à compromettre son futur, elle ira jusqu’au bout de son enquête pour que les criminels soient jugés parce que c’est dans sa nature. Le type d'expérimentation découverte par Shana est interdit, du moins selon la loi. Qui peut s'amuser à créer des similis humains et comment s'y prennent-t-ils pour ne pas être repérés par les autorités ?

Cameron est un danseur sans mémoire. Qui a ôté celle-ci et pourquoi ? Et pourra- t-il continuer à danser une fois la vérité nue dévoilée ? Avec l’aide de son amant et parce que sa route croise celle de Shana, il pourra avancer. « Tant que je le peux, je danse ». C’est mon personnage préféré : sa lutte pour retrouver la cohésion de son corps et de son esprit m’a totalement émue.

Quant au scientifique Nick Clémenti, c’est à lui de déjouer le complot de certains puissants. C’est un scientifique âgé qui se bat depuis des années pour faire reconnaître le rôle des perturbateurs endocriniens dans la stérilité qui frappe une majeure partie de la population mondiale. Sa rencontre avec les deux autres antihéros de cette histoire, va le faire agir plus haut et plus fort. Sa santé est fragile, mais il tient bon.

Et demain ?

Ce livre est une sorte d’appel au secours : si on ferme les yeux trop longtemps, si on ne régule pas le mauvais usage des plastiques, des insecticides et autres polluants de nos mers, océans et nappes phréatiques, on continuera à respirer, manger et boire « sale ». Comment résoudre l’incohérence entre ce qui est nécessaire aux hommes à long terme et notre petit confort quotidien ?

Ce texte était important il y a plus de 20 ans, il l’est aujourd’hui encore même si les choses semblent bouger, un peu. Le contexte social n’a pas pourtant pas assez évolué : la jeune génération porte sur ses épaules nos lenteurs, les riches ont plus de facilité pour adopter un enfant, la bataille pour le bio a commencé mais il reste beaucoup à faire.

En toile de fond, se pose la question de l’encadrement des recherches scientifiques, en particulier autour de la génétique, vaste question dont on a commencé il y a déjà quelques temps à percevoir les dérives.

Un livre à (re)lire donc !

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