Démarrer sa carrière internationale de dessinateur de bande dessinée par la réalisation du dernier tome d’une série étrangère à succès est loin d’être évident. Pas vraiment l’opportunité d’imprimer sa patte personnelle. Non : il faut rentrer dans la peau de son prédécesseur, pour offrir aux lecteurs qui ont suivi la série depuis le début, un final à la hauteur de leurs espérances. Pas évident je vous disais. Même si, dans le cas présent, il s’agissait de remplacer Alain Janolle, sans doute pas le dessinateur au trait le plus personnel de la BD française. Même si Ange restait de la partie, ce qui laissait présager une cohérence scénaristique totale avec les tomes précédents de Nemesis. Il n’empêche : ce Rebirth, sixième et dernier tome de Nemesis sonnait comme l’épreuve du feu pour Vicente Cifuentes, tout jeune auteur ibérique dont les autres productions antérieures ne traverseront sans doute jamais les Pyrénées.
"Il n’y a pas assez de tables de sacrifices. Nous avons pris des bancs"
Depuis qu’il a mis fin à la nappe nanotech qui menaçait d’engloutir le monde, l’agent Fisher n’est plus tout à fait le même. Aussi, quand il disparaît subitement avec une inconnue agressée en bas de chez Kent et Mallowe, ses deux acolytes de toujours s’inquiètent pour lui. Chacun à sa manière : Fitzgerald Mallowe, faisant confiance au fonctionnement et au sérieux du FBI, tandis que Roxanne Kent retrouve le terrain et l’efficacité d’un boulot en solo. Une dure épreuve pour le couple de nouveaux parents. Mais l’amitié de Fisher est à ce prix.
Sauf que Fisher n’est plus Fisher. Que cette fille qui l’accompagne n’est pas une inconnue, mais la fille du grand prêtre d’un ordre sectaire, l’Ordum Templis, qui est bien parti pour mettre le monde à feu et à sang. En commençant par le sacrifice de toute une floppée d’enfants. Et puis viendra le temps d’Asmodée, bien pire qu’un démon. Cette fois, Clock va jouer son dernier tour de rouage. Jusqu’à la délivrance. Seule subsistera alors la mémoire.
Rebirth ?
A vrai dire, j’ai été un peu surpris par la sortie d’un sixième tome de Nemesis. Parce qu’à la lecture de Terminal Crash (un titre suffisamment évocateur), le précédent opus de la série, on avait l’impression d’avoir bouclé la boucle. Le final avec le regard de Clock dans les yeux de Fisher tombait comme un parfait épilogue. Tout aurait pu s’arrêter là donc. On n’aurait pas eu les réponses à toutes nos questions, mais on aurait fait avec. La préservation du mystère des fois, ça a du bon.
Alors ce Rebirth était-il nécessaire ? Sans doute pas. Sans pourtant confiner au futile ou au parfaitement anecdotique. Cet album nous fait avant tout découvrir un dessinateur. Avec Cifuentes, Nemesis hérite d’un Mallowe Bodybuildé et d’un Fisher aux allures dégingandées de Lucky Luke. Un trait plus comics américains, dénotant un héritage graphique bien différent de celui de Janolle. Encrages épais, mise en couleurs plus sombre et plus riche en dégradés informatiques, il y a du répondant. De la rupture dans la continuité. Et un héritage pleinement assumé.
Côté scénario, Ange achève tous les doutes éventuels qui pouvaient encore subsister. Personnellement, je trouve cela dommage, mais c’est une histoire de goûts. Pour le reste... C’est toujours délicat de voir débouler de nouveaux éléments dans un dernier tome. Les organiser avec tout ce que l’on a déjà construit. Aussi a-t-on déjà trouvé Ange plus à l’aise que dans cette histoire de secte et de démons surgis de nulle part. X-Files n’est toujours pas loin, mais le cœur n’y est plus vraiment. Juste l’occasion de saluer une dernière fois Jonathan Fisher dont la délivrance ne pouvait évidemment passer que par le trépas. Pas de surprise donc, pas vraiment de justification à ce dernier tome non plus, auquel on n’ira quand même pas jusqu’à reprocher d’exister.