A l'occasion de la parution de Resilient Thinking, Raphaël Granier de Cassagnac revient sur l'écriture de ce nouveau roman paru le 21 janvier aux éditions Mnémos.
Actusf : Resilient Thinking vient de paraître aux éditions Mnémos. Comment est né ce roman ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Il s’inscrit dans le même univers que mes deux premiers, même s’il est indépendant. Dans les précédents opus, je présentais un monde dystopique et apocalyptique ; je ne vous cache pas qu’ils finissent mal. Si mal que Resilient Thinking est né de la volonté de construire un récit positif et solaire, pour une fois. La SF et plus généralement le monde médiatique dans lequel nous vivons sont très anxiogènes, voire catastrophistes… Je me suis dit qu’il y avait peut-être moyen d’être positif et optimiste, tout en abordant quand même des problèmes actuels préoccupants.
Actusf : De quoi cela parle-t-il ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Comme son titre l’indique, de résilience et de pensée (rires). La pensée, le thinking, c’est une apologie du savoir et de la connaissance : je l’avais déjà abordée dans Thinking Eternity. Mais le thème central et nouveau (pour moi) est la survie, la résilience. Derrière les intrigues et les personnages, j’essaye de penser à nos fondamentaux, à ce qui permettra à l’humanité de survivre, en se calmant un peu sur l’accessoire qui nous occupe aujourd’hui tout le temps. En ce sens, c’est un vrai bouquin post-apocalyptique, là où le précédent était pré-apocalyptique.
Actusf : Qui sont les Résilients ? Un nouveau genre d’explorateurs ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Fondamentalement, ce sont nos descendants, si jamais une crise cataclysmique advenait demain. Imaginez qu’on se réveille un matin pour constater que nous ne sommes plus qu’une poignée. Littéralement une poignée. Quelles sont nos priorités ? Qu’essayons-nous de préserver ? Que perdons-nous inévitablement ? Que devons-nous réapprendre pour nous en sortir ? La communauté des Résilients s’est construite là-dessus, l’action du roman se déroulant longtemps après l’apocalypse… Quand le roman démarre, ils sont tout sauf des explorateurs. Une menace les a empêchés de reconquérir la Terre, et ils sont devenus très prudents, autarciques, paranoïaques. Mais les événements leur offrent une occasion inespérée de redécouvrir leur passé et de repousser les limites de leur territoire…
Actusf : On suit une IA de retour après un long voyage. Qui est-elle ? Comment l’avez-vous créée ? Avez-vous eu des modèles en particulier ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Savoir qui est véritablement Caïn, c’est se spoiler une bonne partie du roman (rires). Disons qu’il est en charge d’administrer une petite communauté spatiale qui s’est retrouvée exilée dans son vaisseau alors que l’apocalypse survenait sur Terre. Pendant longtemps, Caïn a assuré la survie de ses passagers, les Éternautes… Le roman s’ouvre sur leur retour et sur la possibilité que Caïn ou ses homologues terrestres soient en fait responsables de l’apocalypse… Pour créer Caïn, j’ai essayé d’imaginer ce que ce serait d’avoir une vie éternelle devant soit, seul dans un monde virtuel infini, avec pour autre terrain de jeu un vaisseau spatial très limité. J’ai tiré le fil, sans références conscientes. Et il s’en est dégagé un éloge de la lenteur et de la simplicité, une conscience artificielle d’apparence paisible.
Actusf : L’intelligence artificielle et le transhumanisme sont des sujets qui sont au cœur de vos romans. Ces thèmes vous fascinent-ils ? Pourquoi ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Le transhumanisme me fascine bien plus que l’intelligence artificielle. La deuxième n’est en fait pour moi qu’un prétexte pour accentuer le premier, en particulier lors de quelques passages où un transhumain philosophe avec une IA, et plus si affinités. La question du transhumanisme m’est tombée dessus par hasard, il y a plus de vingt ans, alors que je réfléchissais au concept d’immortalité en reposant un bouquin qui m’avait surpris sur la question. Elle ne me lâche pas trop depuis, comme plein d’autres auteurs, d’ailleurs…
Actusf : Comment avez-vous travaillé ? Avez-vous dû faire beaucoup de recherches ? Essayez-vous d’être le plus scientifique possible ou laissez-vous une part d’imaginaire dans vos romans ?
Raphaël Granier de Cassagnac : L’imaginaire passe avant tout ! Je suis convaincu qu’il ne faut pas être le plus scientifique possible pour écrire un bon bouquin. Avoir une culture scientifique forge sans doute une forme d’écriture ou d’imagination, mais c’est aussi un frein terrible à la narration. C’est pour ça que je n’écrirai sans doute jamais de fiction sur la science que je pratique au CNRS, la physique des particules. Précisément, je ne suis pas un spécialiste de l’intelligence artificielle et ça me paraît indispensable pour m’émanciper et décrire des IA intéressantes. J’ai aussi abordé la SF par la fiction, mes premières nouvelles étaient de Fantasy, et je suis plus inspiré par mes activités ludiques ou culturelles que par les scientifiques… Donc non, très peu de recherche dédiée… Ah si, quand même une : j’ai potassé un peu de génétique des populations pour m’assurer que ce n’était pas complètement idiot de refonder une société sur quelques individus. Mais c’est pour défendre l’hypothèse narrative à laquelle je tiens, si jamais quelqu’un venait à m’embêter avec la consanguinité…
Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Sans doute multiple, mais je suis incapable de citer quoi que ce soit. Il est important pour moi, quand j’écris, de ne me référer à aucune œuvre précise, sans quoi je suis à peu près sûr que je vais soit copier, soit bloquer. J’écris plutôt en m’inspirant d’individus réels – il y a en général quelqu’un de caché derrière chaque personnage – et surtout de vrais lieux, en Afrique en l’occurrence. Après, quelqu’un me dira « ça me rappelle tel film, ton bouquin ! » et ça sera évident que je m’en suis inconsciemment inspiré. Ça m’a fait le coup pour Eternity Incorporated avec L’Armée des 12 singes.
Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Pensez-vous revenir dans l’univers Eternity ?
Raphaël Granier de Cassagnac : Il ne faut jamais dire jamais, mais a priori non, j’ai raconté ce que j’avais à dire sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme, l’apocalypse et la survie… Je replongerais peut-être pour deux ou trois nouvelles pour compléter un corpus de spin-offs que j’ai commencé, mais c’est tout. Côté roman, je suis sur un projet historico-fantastique sur le cinéma, et je travaille aussi sur une commande de fantasy.