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Rétro SF : Emile Souvestre, Le Monde tel qu'il sera
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Rétro SF : Emile Souvestre, Le Monde tel qu'il sera

Le nom d’Émile Souvestre reste très attaché à la Bretagne. Il est surtout connu pour ses œuvres régionalistes : Les Derniers Bretons, les recueils de contes et légendes (Le Foyer breton, contes et récits populaires) ou les ouvrages historiques (Scènes de la Chouannerie). Né à Morlaix en 1806 et mort en 1854, Émile Souvestre est un auteur engagé. Il participe aux grands mouvements de lutte politique de son époque, que ce soit les Journées de Juillet 1830, contre Charles X, ou la Révolution de 1848 et co-dirige une école fondée sur la méthode Jacotot qui affirme que tout le monde est en capacité d'apprendre et que le maître ne doit que diriger et soutenir l'attention de l'élève. Souvestre est porté par l'utopie sociale et influencé par le saint-simonisme. Sa seconde épouse, Angélique Anne Papot, participe à l'émergence d'un mouvement féministe.
 
Écrivain prolifique dans la veine régionaliste, on lui doit aussi une œuvre majeure de la proto-science-fiction: Le Monde tel qu'il sera. Dans ce texte, publié en livraison en 1845-1846 puis repris en volume en 1846, avec des illustrations de Bertall, Penguilly et St-Germain, les idées de l'auteur sont présentes souvent en creux car Souvestre montre surtout un monde qui s'éloigne de ses conceptions. Alors que beaucoup de saint-simoniens écrivent des utopies, Émile Souvestre donne à lire un futur dont les éléments sont décrits avec force détails..
 
L'emploi du futur de l'indicatif dans le titre signale un avenir probable. Cet avenir décrit par Émile Souvestre n'est guère réjouissant. Comme nombre de ses contemporains, il s'inquiète des développements de la technique et de ses répercussions sur l'Humanité. Le Monde tel qu'il sera ne contient pas véritablement une histoire, le lecteur suit Marthe et Maurice, férus de philosophie moderne (celle de la mi-XIXème siècle) qui souhaitent savoir ce que sera l'avenir qu'ils devinent radieux. Souvestre use du classique sommeil pour conduire nos deux héros en l'an 3000. La vapeur a tout envahi et métro, sous-marin et autres moyens de transport lui doivent leur énergie tout comme … l'allaitement dans les pouponnières.
 
Le centre du monde a basculé aux antipodes et c'est la Polynésie qui en est le cœur. La société est totalitaire, dominée par les machines et gouvernée par un fauteuil vide (au sens propre). La liberté est mise à mal entre contrôle social et maîtrise de l'information, pouvoir de la machine et des banques. Bien des thèmes qui seront développés dans les dystopies au cours du XXème siècle sont déjà présents dans Le Monde tel qu'il sera.

Extraits:
 
Un nouveau monde
"[...] du fond ,de leur tombe , ils suivaient les transformations successives des sociétés , comme les images d'un rêve confus.  Il leur sembla d'abord qu'ils voyaient les monarchies changées en gouvernements constitutionnels, et les gouvernements constitutionnels en républiques. Puis les races puissantes vieillissaient et faisaient place à des races plus jeunes. La civilisation, transmise comme ce flambeau allumé des saturnales, passait de mains en mains, laissant peu à peu dans l'ombre le point de son départ. De nouveaux intérêts appelaient l'activité humaine sous d'autres cieux. L'Europe négligée retombait lentement dans l'inertie et la solitude, tandis que l'Amérique, puis une contrée plus nouvelle , absorbaient en elles tous les éléments de vie. Le vieux monde n'était déjà plus qu'une terre sauvage , dont les sociétés modernes exploitaient les ruines. Richesses enfouies, monuments abattus, tombes oubliées, tout devenait la propriété de ces générations marchandes. Il sembla même à Marthe et à Maurice que le cercueil qui les renfermait était arraché au sol funèbre avec des milliers d'autres , qu'on les embarquait ensemble , et que tous étaient transportés dans une région inconnue, centre de la civilisation nouvelle."
 
Les passe-ports
"Ces derniers n'étaient plus , du reste, comme autrefois, des sauf conduits avec signalement, mais des portraits daguerréotypes, ornés du timbre de la police et représentant le voyageur lui-même. M. Atout expliquait à ses compagnons tous les avantages de ce nouveau procédé, lorsqu'il fut interrompu par le bruit d'une querelle. C'était le gros voyageur, au nez microscopique, que le gendarme refusait de reconnaître dans le portrait-passe-port, qui le représentait maigre et fluet. Le petit homme alléguait en vain l'action du nouveau racahout auquel il devait cet accroissement rapide; l'agent de la force publique, impassible comme la stupidité, déclarait ne pouvoir livrer passage qu'à l'original du portrait ! La difficulté fut soumise à un contrôleur, qui en déféra à "un vérificateur, lequel la porta à un directeur. Celui-ci se consulta longtemps, revit celles des trente-trois mille ordonnances qui réglaient la matière, et décida enfin que le gros homme serait remis à des dégraisseurs-jurés, qui, après avoir prêté serment, s'occuperaient de le ramener à un état dans lequel on pourrait constater son identité. Le prospectus vivant s'écria en vain que , s'il maigrissait, sa position sociale se trouvait perdue ; qu'il vivait de son obésité, comme d'autres de leur bonne réputation ; le directeur lui répondit que la loi ne s'inquiétait point de ces misères, et que son premier but était de protéger la société en général, sans s'occuper de chacun de ses membres en particulier. "
 
La nourrice à vapeur:
"C'était une immense galerie, garnie aux deux côtés d'espèces de planches à bouteilles, sur lesquelles les enfants étaient assis côte à côte. Chacun d'eux avait devant lui son numéro d'ordre et le biberon breveté qui lui tenait lieu de mère. Une pompe à vapeur, placée au fond de la salle, faisait monter le supra-lacto-gune vers des conduits qui le partageaient ensuite entre les nourrissons. L'allaitement commençait et finissait à heure fixe, ce qui donnait aux enfants l'habitude de la régularité. Tous devaient avoir un même appétit et un même estomac, sous peine de jeûne ou d'indigestion; on eût pu inscrire à rentrée de la salle comme sur les portes républicaines de 1793 : L’Égalité ou la Mort."

La société de l'information:
"Ils se dirigèrent vers la grande agence littéraire , qui occupait une rue entière et était exploitée par une société de capitalistes exerçant à Sans-Pair le monopole de la publicité [au sens de « rendre public »].  Ils avaient réuni pour cela les journaux des différentes opinions en un seul journal appelé Le Grand Pan, qui les soutenait alternativement toutes. Le Grand Pan ne paraissait ni à certain jour, ni à certaine heure ; imprimé sur un papier sans fin, il paraissait toujours !  Un bataillon de journalistes attachés à rétabhssement envoyait successivement des piquets de publicistes pour entretenir la rédaction ."
   
Le pouvoir des banquiers:
"Le quatrième pouvoir, enfin, est composé des banquiers, qui se sont faits les intendants de la République, lui prêtent à la petite semaine, et se chargent de passer les revenus publics par un crible qui ne laisse tomber que les petites pièces et retient toutes les grosses. L'État a insensiblement mis en gage entre leurs mains la terre, les fleuves, les mers, les mines souterraines et les transports aériens; si bien qu'ils seraient les maîtres de tout, si le fauteuil et les deux chambres n'étaient là; mais leur pouvoir entrave celui des banquiers, qui, à son tour, entrave le leur. Car là est le sublime de notre organisation politique : tout se compense et se pondère. Le char de l'État ressemble exactement à celui que l'on a découvert sur les débris de l'arc de triomphe du Carrousel, à Paris : tiré en sens inverse par quatre chevaux de forces égales , il reste nécessairement en place, ce qui l'empêche de se heurter aux bornes ou de tomber dans les ornières."
 
A lire:
Émile Souvestre, Le Monde tel qu'il sera sur le site Archives.org (http://www.archive.org/details/lemondetelquilse00souv)
Émile Souvestre, Contes d'outre-mort, Éditions Pyrémonde, 2005
Émile Souvestre, Le Foyer breton, Éditions terre de brume, 2000
 
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