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Rétro SF : Ignis de Didier de Chousy
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Rétro SF : Ignis de Didier de Chousy

Quand le comte Didier de Chousy publie son roman Ignis, nous sommes en pleine vernomania. L'empreinte de Jules Verne est en effet forte et nombre d'auteurs placent leurs œuvres dans son sillage(1). L'auteur inconnu Didier de Chousy, dont on ne connaît que cet Ignis et une lettre à Villiers de l'Isle Adam, prend résolument une autre direction en raillant la science.
 
Publié d'abord anonymement en 1883, le roman est repris en feuilleton dans La Science illustrée (n° 419 à 470, 8 décembre 1895 - 29 novembre 1896).
 
La première partie de l'ouvrage présente la compagnie générale d'éclairage et de chauffage par le feu central de la Terre qui est constituée en Angleterre et grâce à la force du capitalisme anglo-saxon, c'est un succès. Cette première moitié à des accents verniens avec force savants et techniciens dignes du Gun Club(2), calculs, budgets et explications scientifiques.
 
La seconde partie montre une ville, Industria, fondée autour d'un puits géothermique de 12 kilomètres de profondeur et de 15 mètres de diamètre visant à puiser des ressources énergétiques dans le noyau de la planète. S'y développe une haute technologie - à vapeur ! - avec des atmophytes (sorte d'hommes-vapeur que l'on peut rapprocher des robots) qui remplacent les ouvriers dans les thâces les plus difficiles, des communications facilitées grâce au téléchromophotophonotétroscope,
 
Le roman développe nombre de thèmes de l'énergie aux robots (qui se révoltent même) en passant par l'expulsion hors de l'atmosphère d'une partie de la Terre ou la dénonciation d'une société technico-scientifique étouffante.
 
Le projet d'utilisation de la chaleur centrale du globe
 
L'entreprise que nous avons reçu mission d'étudier, aux points de vue de ses moyens d'exécution, de ses bénéfices et de ses dépenses, a pour but, comme vous le savez
 
« 1° D'établir une communication entre la surface de la terre et son réservoir de chaleur, nommé Feu central, au moyen d'un puits de profondeur appropriée.
 
« 2° De construire une ville modèle, sur des plans entièrement nouveaux, adaptés à la civilisation, également nouvelle, qui prendra sa source dans ce puits. Cette ville sera nommée Industria, et pourra recevoir 25,000 habitants. Ce puits, d'une profondeur de 3 lieues, sur 45 pieds de diamètre, devra fournir chaque jour, sous forme de vapeur, d'air chaud on d'électricité, un million de chevaux-vapeur (203,000 calories); soit, par habitant, 40 chevaux affectés à son service et dressés par la science mécanique & tous les emplois de la domesticité ou de l'industrie.
 
« 3° D'exploiter le monopole que la Compagnie du Feu central s'est acquis par ses brevets, en se faisant l'entrepreneur des puits géothermaux que d'autres voudront creuser a son exempte ainsi que des canalisations, conduites, tubes, tuyaux et tubulures, réservoirs d'arrondissements, citernes cantonales, bacs de vapeur pour stations do chemins do fer, et tous autres dépôts de feu central qu'il sera jugé utile d'établir.
 
Les atmophytes
 
Ces bêtes ou ces gens emplissent la campagne de leurs activités aussi diverses que leurs formes, enveloppés comme des fantômes dans les nuages de vapeur qu'ils exsudent. On croirait voir un fourmillement d'insectes, de scarabées aux élytres de bronze, aux corselets luisants comme des cuirasses; mais d'insectes promus à la taille de pachydermes.
 
On a déjà reconnu la race pseudo-humaine conçue par lord Hotairwell et mise au monde par ses habiles ingénieurs les Enginemen, ou plutôt les Atmophytes, car cette dernière appellation avait prévalu les Atmophytes ruraux, grossiers paysans, aussi inférieurs à leurs collègues de la ville que le valet de ferme qui panse le cheval est inférieur au valet de chambre qui panse l'homme. Ces derniers seulement méritent le nom d'Atmophytes (hommes-vapeur), car on ne saurait appeler animaux ou machines des fac-simile d'hommes aussi ressemblants à leurs créateurs, doués d'une sorte d'âme et de rouages supérieurs à des membres; hommes de fer et de cuivre, semblables A des scaphandres ou à des chevaliers dans leur armure; corps en qui la vapeur s'est substituée au sang, dont l'électricité anime le mécanisme si affiné, si subtil, si imprégné de génie humain, qu'il s'immatérialise par la virtuosité de sa matière, et que ses gestes ressemblent moins à des produits de la force qu'à des manifestations de la vie.
 
Créatures assez parfaites pour inquiéter leurs créateurs, si quelque jour ces êtres étranges dépassant, par leur vitesse acquise, l'étroite frontière où l'intelligence confine à l'instinct, essayaient à leur tour d'escalader le ciel, d'étouffer sur leurs poitrines de bronze leurs maîtres éperdus, et de rendre à leur poussière natale, les idoles d'argile humaine qu'ils avaient prises pour des dieux !
 
Le téléchromophotophonotétroscope
  
Le téléchromophotophonotétroscope, inventé dans le même temps, par les mêmes physiciens, supprimait l'absence d'une manière plus radicale encore. La téléchromophotophonotétroscopie est, comme on le sait, une succession presque synoptique d'épreuves photographiques instantanées, qui reproduisent électriquement la figure, la parole, le geste d'une personne absente avec une vérité qui équivaut à la présence, et qui constitue moins une image qu'une apparition, un dédoublement de la personne de l'absent.
 
Cet appareil, très simple, se compose d'un chromophotographe qui donne l'épreuve en couleur, d'un mégagraphe qui l'agrandit, d'un sténophonographe qui recueille et inscrit les paroles du sujet, aidé par un microphone qui les amplifie, et emmanché dans un téléphone qui se concerte avec un tétroscope pour propager l'image et le son. Les différentes portions de l'instrument totalisent leurs efforts et en versent le produit dans un récipient commun appelé Phénakistiscope, lorgnette acoustique au moyen de laquelle on voit et on entend. Il va de soi qu'en modifiant convenablement la marche du système, on peut à volonté faire comparaître l'absent ou lui apparaître soi-même. La création des diverses parties de cet appareil remonte à plusieurs années, mais l'honneur revient aux savants d'Industria d'en avoir fait la synthèse et la soudure.
  
La révolte des machines
 
Dans le même temps, s'étant rendus maîtres de tout le réseau des fils et des tubes, qui se centralise à l'Hôtel de ville, ils avaient emmêlé ces tubes dans ces fils au point de rendre les transmissions inintelligibles et dangereuses ils envoyaient par ces conducteurs des décharges électriques, éclairs formes, imprégnant les parois de l'édifice qu'on ne pouvait plus toucher sans ressentir un choc. L'atmosphère de la salle en était saturée une poignée de main amenait un échange d'étincelles entre ces corps électrisés, secoues comme des grenouilles sous l'arc voltaïque; moins semblables à des hommes qu'à des trembleurs électriques, à des automates, à des Atmophytes sans autorité sur leurs membres, inhabiles à garder la dignité d'attitude nécessaire en un pareil moment.
 
Tous les appareils de transmission, ainsi transformes en agents malfaisants et en outils de révolte, vomissaient, suivant leurs aptitudes, des grêles de projectiles ou des torrents d'injures que les microphones prenaient le soin de grossir, que les phonographes enregistraient et répétaient avec un entêtement de machine, mêlant leurs voix criardes aux coups de tonnerre du marteau-pilon. Téléphones devenus cacophones et phonographes cacographes; confusion des langues embrouillées en écheveaux de Sis de fer; tubes atmosphériques transformes en pièces de canon dans lesquelles ces barbares, chargeant des citoyens paisibles, les lançaient avec une telle violence que, partis boulets, ils arrivaient mitraille, mitraille de lambeaux humains.
 
 
A lire :
Didier de Chousy, Ignis, collection Terra Incognita, éditions Terres de Brumes, 2008.
 
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Philippe Ethuin

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