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Rétro SF : L'an 2440 (Rêve s'il en fut jamais)
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Rétro SF : L'an 2440 (Rêve s'il en fut jamais)

Pierre Versins a dénombré 18 anticipations de l'origine de la littérature à 1770 et autant de 1770 à 1800(1). L'œuvre de Louis Sébastien Mercier représente donc un tournant dans l'histoire de la littérature d'imagination. De Thomas More à Voltaire en passant par Campanella et Swift, l'utopie est un genre en vogue sous l'ancien régime. Sous couvert de fiction, l'utopie est la quête d'un monde meilleur et porte en elle la critique de la société pour en proposer une réforme profonde.
 
Avec Mercier, l'utopie n'est plus le lieu de nulle part mais un futur optimiste possible. Certes l'anticipation peut sembler bien peu imaginative quand on continue au XXVe siècle à user des charrettes et – exceptionnellement - des carrosses ou que la principale modification vestimentaire est la simplification de la tenue. Pourtant, en cette fin du XVIIIe siècle, Mercier avance des idées audacieuses comme ses réformes dans le domaine éducatif, moral et politique qui le rapproche des philosophes des Lumières (il publie entre 1788 et 1793 les Œuvres complètes de JJ Rousseau).
 
L'anticipation sociale de Mercier est loin de celles du XXe siècle, de George Orwell ou de Aldous Huxley, car son futur est radieux. Louis-Sébastien Mercier promet une société juste, équilibrée, pacifique. Il y a bien une part de violence qui peut sembler éloignée des vœux des philosophes des Lumières, avec la peine de mort librement acceptée par le coupable ou la conquête d'un empire colonial, mais le principal enjeu de L'An 2440 est la dénonciation des travers de son époque et la présentation d'une société réformée selon les Lumières. Tout y passe: le pouvoir monarchique, la religion, les lois et d'autres aspects encore qui donnent toute la saveur à L'An 2440: la circulation dans Paris, les chapeaux, l'architecture, la sculpture et les arts, les impôts, le commerce, les spectacles ou les joyeux convois funéraires.
 
Les anticipations sociales et politiques du début du XXIe siècle sont le plus souvent pessimistes, il s'agit pour elles de dénoncer les (possibles) dérives de notre société(2) (dictature molle, mondialisation capitaliste,...). Lire Mercier aujourd'hui c'est retrouver une part de rêve dans l'anticipation, le rêve d'une société meilleure.
Extraits:
« On me dit que la bastille avoit été renversée de fond en comble, par un prince qui ne se croyoit pas le dieu des hommes, et qui craignoit le juge des rois ; que sur les débris de cet affreux château, si bien appellé le palais de la vengeance, (et d'une vengeance royale) on avoit élevé un temple à la clémence : qu'aucun citoyen ne disparoissoit de la société sans que son procès ne lui fût fait publiquement ; et que les lettres de cachet étoient un nom inconnu au peuple : que ce nom n'exerçoit plus que l'infatigable érudition de ceux qui perçoient dans la nuit des tems barbares ; on avoit composé même un livre intitulé : parallele des lettres de cachet et du cordeau asiatique »
Chapitre « Le Nouveau Paris »
 
 
« J'arrive, je cherche des yeux ce palais superbe d'où partoient les destinées de plusieurs nations. Quelle surprise ! Je n'apperçus que des débris, des murs entr'ouverts, des statues mutilées ; quelques portiques à moitié renversés laissoient entrevoir une idée confuse de son antique magnificence : je marchois sur ces ruines, lorsque je fis rencontre d'un vieillard assis sur le chapiteau d'une colonne. " oh ! Lui disje, qu'est devenu ce vaste palais ? -il est tombé ! -comment ? -il s'est écroulé sur lui-même. Un homme dans son orgueil impatient a voulu forcer ici la nature ; il a précipité édifices sur édifices ; avide de jouir dans sa volonté capricieuse, il a fatigué ses sujets. Ici est venu s'engloutir tout l'argent du royaume. Ici a coulé un fleuve de larmes pour composer ces bassins dont il ne reste aucuns vestiges. Voilà ce qui subsiste de ce colosse qu'un million de mains ont élevé avec tant d'efforts douloureux. Ce palais péchoit par ses fondemens ; il étoit l'image de la grandeur de celui qui l'a bâti. Les rois, ses successeurs, ont été obligés de fuir, de peur d'être écrasés. Puissent ces ruines crier à tous les souverains, que ceux qui abusent d'une puissance momentanée ne font que dévoiler leur foiblesse à la génération suivante... »
Chapitre « Versailles »
 
A lire :
Louis-Sébastien Mercier, L'An 2440, Burozoïque, 2010
Louis-Sébastien Mercier, Rêves et visions philosophiques, Manucius, 2005
 
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Philippe Ethuin


Notes :
1-Pierre Versins, article « Anticipation », Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction, L'Age d'homme, 1984.
2-Voir par exemple l'anthologie Appel d'air, collection Les Trois Souhaits, Editions ActuSF, 2007

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