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Rétro SF : Les Ruines de Paris en 4908
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Rétro SF : Les Ruines de Paris en 4908

Alfred Franklin, Les Ruines de Paris en 4908 (1908)
 
L'archéologie du futur est un thème récurrent de la science-fiction. Quand Alfred Franklin (1830-1917) publie en 1908 Les Ruines de Paris en 4908, il reprend en l'augmentant sa première version Les Ruines de Paris en 4875, documents officiels et inédits publiée en... 1875.
L'ouvrage se présente comme la relation épistolaire d'une expédition archéologique sur le site de Paris avec sa hiérarchie. La civilisation a désormais pour centre Nouméa où la civilisation a survécu à un terrible cataclysme. 
La rencontre avec les indigènes parisiens offre à Alfred Franklin l'occasion de ridiculiser les travers de ses contemporains. Pourtant ce ne sont pas les seuls habitants de Paris qui font les frais de l'humour de l'auteur loin de là.
 
Historiens, archéologues, philologues en prennent pour leur grade et Alfred Franklin s'amuse à souligner la prétention de savants proposant des interprétations « scientifiques » toutes plus fausses les unes que les autres. Ainsi confondent-ils batailles et noms de généraux sur l'Arc de triomphe et l'on sourit de la transformation des Champs Élysées en Avenue des Chefs Illustres. Le ridicule des savants qui cherchent une vérité immuable dans les vestiges de Paris est aussi la critique des érudits de son temps qui usent trop peu à son goût de la critique des sources historiques.
Une bonne partie de la saveur du texte vient de l'écart entre les conclusions erronées des savants et ce que le lecteur connaît du Paris contemporain.
 
 
Extraits :
 
Satire des contemporains
 
Les mœurs de cette peuplade, que nous avons été depuis à même de bien connaître, offrent d'étranges contrastes.
Au sein de cette tribu sauvage, qui semble avoir émergé du sol dans ces régions inhabitées, chez ces barbares vêtus de peaux de bêtes, on remarque des vertus, des vices, des goûts, des travers, des aspirations qui sont en général le produit des civilisations raffinées.
Leur grande préoccupation est la recherche du plaisir. Tout leur est occasion de fête; sous le moindre prétexte, ils se rassemblent au dehors ou se réunissent les uns chez les autres pour chanter, manger, boire, danser, parler. Tout événement les occupe et les amuse, tout spectacle les ravit. Bruyants, bavards, mobiles, impressionnables, ils s'enthousiasment sans réflexion, et se lassent aussi vite qu'ils se sont engoués. L'amour-propre est le plus saillant de leurs défauts. Tout ce qui brille, tout ce qui reluit les attire et les passionne ; la vue des plumets, des galons les affole. Avec cela, bons, francs, hospitaliers, généreux, braves, intelligents, fins, pleins de bon sens même, tant qu'il ne s'agit pas du gouvernement de leur petite cité.
 
Découverte de Paris
 
C'était bien Paris, nul de nous n'en douta, ces ruines grandioses étaient bien le tombeau de la reine du vieux monde. Sa tête orgueilleuse plane encore au-dessus de ces espaces désolés. Dans une vallée, dont nos yeux pouvaient à peine embrasser l'étendue, se dressaient pêle-mêle des dômes, des colonnes, des portiques, des flèches élancées, des combles immenses, des frontons, des statues, des chapiteaux, des entablements, des crêtes, des corniches; et à notre gauche nous voyions se profiler, fier et hardi sur le ciel noir, le couronnement de l'arc triomphal élevé par un des derniers Poléons de la France à la gloire de ses armées. Aucune secousse n'a donc ébranlé la grande cité, et elle doit se retrouver telle aujourd'hui qu'elle était il y a deux mille ans, à l'heure où s'est précipitée la gigantesque avalanche de terre, de cendres et de sable sous laquelle elle est ensevelie.
 
Données archéologiques et erreurs historiques
 
Nous avons déblayé seulement les façades, qui sont fort élégantes, et nous avons appris ainsi que l'un de ces temples était consacré à sainte Marie du Louvre.
Une inscription, gravée dans la pierre et sans doute incomplète, portait, en effet, ces mots :
MAIRIE DU LOUVRE
et tous les philologues savent qu'en vieux français l'A étymologique qui portait l'accent se renforçait et devenait la diphtongue AI ; on écrivait donc Bretaigne pour Bretagne, Champaigne pour Champagne, Mairie pour Marie, etc., etc. Votre Excellence ne l'ignore pas, la philologie est devenue, de nos jours, une science exacte au même titre que l'algèbre.

[...]

Une précieuse découverte résulte de ces constatations et de l'impossibilité où nous sommes de comprendre un seul mot à l'écriture symbolique dont le monolithe est revêtu. Nous y voyons la preuve que chez les Français, comme chez beaucoup d'autres peuples de l'antiquité, les prêtres avaient une langue spéciale, connue des initiés seuls et inintelligible pour le vulgaire. J'ajoute, fait dont la haute portée n'échappera pas à Votre Excellence, que M. Nairan a cru reconnaître dans ces mystérieux caractères une vague ressemblance avec l'écriture hiératique des Égyptiens.
 
 
À lire :
Alfred Franklin, Les Ruines de Paris en 4908, collection L'Alambic, éditions L'Arbre vengeur, 2008
Roger Bozzetto, « L'archéologie, le fantastique et la science-fiction . Fantastique et science-fiction : deux regards sur un thème », Cahiers du CERLI nº 19, p. 119-127, septembre 1990, disponible en ligne sur le site Noosfere
 
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Écrire au futur antérieur : l'archéologie du futur en nouvelles, éditions Infolio, 2003 (recueil de nouvelles)
Paris futurs, collection ArchéoSF, éditions Publie.net, 2014 (anthologie de 18 textes datant de 1830 au début du XXe siècle, version papier et numérique)
Gérard Klein, « Civilisation 2190 » (1956), nombreuses éditions (par exemple in Une Histoire de la science-fiction – 5, 1950-2000, la science-fiction française, éditions Librio, 2001 ou in Mémoire vive, mémoire morte, collection Ailleurs et demain, éditions Robert Laffont, 2007)
David Macaulay, La Civilisation perdue : naissance d'une archéologie, collection Bibliothèque documentaire, éditions L'École des loisirs, 1982 (livre illustré)
Robert Silverberg, Les Vestiges du printemps, collection Perles d'épice, éditions ActuSF, 2010
 
 
Philippe Ethuin

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