ActuSF : Comment est né ce recueil sur Edgar Allan Poe ? Qu'est-ce qui t'a poussé à travailler sur lui ? Est-ce un auteur que tu apprécies particulièrement ?
Richard Comballot : Edgar Poe, comme Jules Verne, Conan Doyle, Agatha Christie ou Michael Moorcock, fait partie de mes auteurs d’adolescence. Je me souviens encore de ce que j’avais ressenti à la lecture de ses Histoires extraordinaires et des Aventures d’Arthur Gordon Pym qui m’avaient contraint à dévorer dans la foulée Le Sphinx des glaces, la suite qu’en fit Verne. Il était donc normal que je travaille un jour ou l’autre sur cette œuvre qui n’a rien perdu de son pouvoir de séduction, et c’est tout naturellement que j’ai proposé il y a cinq ans environ à Mathieu Baumier (pour feues les éditions A contrario) une anthologie en hommage à Poe, après avoir travaillé à d’autres anthologies faisant écho à Alice et Peter Pan. J’ai commencé le travail, mais l’éditeur a rapidement mis la clé sous la porte, m’obligeant à faire une pause et à me consacrer à autre chose. Cependant, certaines nouvelles ayant été écrites par les premiers auteurs sollicités (Catherine Dufour, Daniel Walther, Jean-Pierre Vernay, Xavier Mauméjean), je n’ai pas lâché l’affaire et j’ai relancé le projet pour Glyphe, Lucie Chenu m’ayant dit être intéressée par lui. Ce après avoir un temps envisagé de le développer chez Malpertuis, une intéressante maison que j’ai cru un moment, à tort, disparue. J’ai lancé une seconde vague d’invitations, de nouveaux textes sont arrivés (Jérôme Noirez, Jacques Barbéri, Jean-Pierre Andrevon, etc.) et le « tout ensemble » a donné l’anthologie que tu connais.
ActuSF : Pourquoi, selon toi, est-il important pour les littératures de l'imaginaire ? Que reste-t-il de lui aujourd'hui dans le fantastique ?
Richard Comballot : Il est important au même titre que tous les pionniers, ces types venus de nulle part et un brin fêlés qui inventèrent de nouveaux genres littéraires en partant de rien, ou du moins de pas grand-chose : en ce qui concerne Poe, le roman policier et le fantastique, voire la science-fiction. Tout cela à une époque où les écrivains anglo-saxons n’étaient pas encore le produit d’ateliers d’écriture et essayaient de trouver individuellement leur vérité. Il a marqué son temps et est devenu au fil des décennies un classique incontournable. Indéboulonnable. En France, les traductions baudelairiennes ont contribué à son succès, c’est indéniable, mais on ne peut pas tout ramener à ça. Preuve en est que les Américains lui ont également rendu hommage avec une grosse anthologie publiée, comme la mienne, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance… et Baudelaire n’y est pas pour grand-chose !
ActuSF : On peut voir que les récits de cette anthologie sont très variés : certains fantastiques, d'autres plus proches de la science fiction ou de la « réalité ». Avais-tu une idée de sujet très précis ou bien, plus globalement, le thème Edgar Poe ?
Richard Comballot : Pas de sujet précis, non. Juste Edgar Poe, son œuvre et sa légende… Lorsque tu te lances dans une anthologie de ce genre pour une collection telle que « Imaginaires » chez Glyphe (ouverte tout autant au fantastique qu’à la SF), il est bon de laisser la plus grande liberté possible aux auteurs et de les laisser délirer tranquillement dans leur coin. Parfois, on discute de ce qu’ils veulent faire, ça me permet de leur dire si leur idée n’est pas déjà « prise » par un confrère, et certains envoient trois lignes de synopsis pour que je puisse me faire une idée. Mais c’est tout. Le reste du temps, c’est la surprise, et ce n’est pas plus mal. De toute façon, si tu invites un auteur, c’est a priori parce que tu aimes bien ce qu’il écrit et parce que tu lui fais confiance. La prise de risque n’est donc que partielle… Au final, tu as raison, cette anthologie n’est pas monolithique, on y trouve du fantastique, de la science-fiction et des enquêtes policières… le tout sous une préface de Georges-Olivier Châteaureynaud. J’aime cette variété. La difficulté, qui finit par se transformer en plaisir, est de devoir ordonner les nouvelles de telle sorte qu’elles constituent un ensemble harmonieux. C’est une partie du travail qui me passionne et je suis toujours heureux lorsqu’un critique ou un lecteur souligne qu’il a été sensible à la façon dont l’anthologie ou le recueil est construit. J’ajouterai que, pour moi, cet aspect-là des choses est aussi important que le choix des nouvelles.
ActuSF : Pourquoi l'avoir intitulée Les Derniers Jours d'Edgar Poe ?
Richard Comballot : Déjà, c’est le titre de la nouvelle la plus longue du volume, et elle le clôt. Et puis je trouve qu’il résume bien l’ensemble, lequel reflète un grand intérêt pour la fin de vie de l’auteur et, surtout, pour le mystère entourant les toutes dernières heures de son existence.
ActuSF : Lors de Dimension Philip K. Dick, on avait noté une certaine tendresse et beaucoup de respect de la part des auteurs vis à vis de l’Américain. Quel regard les auteurs de cette nouvelle antho portent-ils sur Edgar Allan Poe ?
Richard Comballot : Un regard différent, c’est incontestable. Poe est un classique de la littérature mondiale. Dick le deviendra sans doute lui aussi, beaucoup d’indices nous l’indiquent, mais pour l’instant il demeure un contemporain. Il est proche de nous. N’oublions pas que de nombreuses personnalités françaises comme Philippe Curval ont eu l’occasion de le croiser au Festival de Metz, dans les années soixante-dix. C’était hier ! Et comme son œuvre est profondément humaine, on est en empathie avec lui. Voilà pourquoi il est devenu le chouchou de l’intelligentsia française, dans le sillage de Kafka. Rien à voir donc avec Poe…
ActuSF : Comment as-tu fait pour réunir ces différentes histoires ? Quels ont été tes critères de sélection ? As-tu eu des surprises ?
Richard Comballot : J’ai procédé de la même façon que d’habitude : j’ai commencé par contacter la quasi totalité des auteurs dont j’avais les coordonnées, certains ont dit oui, d’autres non, puis on a avancé comme ça. Au final, j’ai opéré une sélection, mon seul critère étant la qualité. Tu me diras que c’est subjectif, comme critère, et tu auras raison. Mais comment faire autrement ?… Pour répondre à la dernière partie de ta question, on a toujours des surprises lorsqu’on réunit des anthologies, et cette fois-ci encore : je dois t’avouer que les nouvelles de Yael Assia et de Jérôme Noirez m’ont bien secoué, quant à Jacques Barbéri il me scotche à tous les coups !
ActuSF : Parlons de Dimension Alain Dorémieux. Pourquoi avoir eu envie de faire un volume autour de cet auteur / directeur de collection / traducteur ? Quelle a été sa place dans l'Imaginaire en France ?
Richard Comballot : Lorsque tu t’intéresses comme moi à la science-fiction française moderne et que tu travailles sur ses principaux acteurs, tu ne peux pas éviter un personnage tel qu’Alain Dorémieux ! Rédacteur en chef de Fiction, directeur de collections chez Opta et Casterman, anthologiste, traducteur, il est une des cinq personnes qui ont « fait » la SF dans ce pays. Et comme il a été un très bon nouvelliste, avec un recueil chez Losfeld, deux en « Présence du Futur » et un « Livre d’Or » chez Presses Pocket, il était tentant pour moi de présenter quelque chose de neuf le concernant, dix ans après sa disparition.
ActuSF : Quels étaient tes liens avec lui ? Est-ce que tu le connaissais bien ?
Richard Comballot : Je ne le connaissais pas très bien, non. Je ne l’ai jamais rencontré physiquement et, du coup, je ne l’ai jamais interviewé non plus, ce qui reste un de mes grands regrets. En revanche, je lui avais téléphoné plusieurs fois au tout début de ma trajectoire, lorsque j’avais dix-huit ans. Je lui avais proposé une interview qu’il avait passée dans Fiction juste avant son départ. Je lui avais aussi proposé un Fiction spécial consacré au fantastique français, il demandait à voir, mais il n’a finalement rien vu puisqu’il a quitté les éditions Opta avant que le livre soit terminé.
ActuSF : Comment as-tu choisi les nouvelles qui sont au sommaire ?
Richard Comballot : J’ai commencé par éplucher sa bibliographie. Et puisqu’il s’agissait d’un ouvrage destiné à paraître chez Rivière Blanche, petit éditeur ayant vocation à publier des textes rares et / ou inédits, des curiosités en somme, j’ai délibérément laissé de côté ses textes les plus connus pour me consacrer aux oubliés. Au final, il ne s’agit donc pas d’un best of, mais plutôt d’un florilège réunissant pour l’essentiel des nouvelles prépubliées en revues et anthologies, mais non rassemblées en recueil. Des nouvelles naviguant entre fantastique et science-fiction, voire même space opera. Certaines avaient été publiées sous pseudonyme, écrites en hommage ou en collaboration. J’y ai ajouté trois nouvelles plus connues (son cycle des « Vanas »), mais qui n’avaient plus été publiées ensemble depuis les années soixante. J’ai complété cette sélection par deux extraits de romans inédits, une superbe préface de Jean-Pierre Andrevon et un dossier biographique rassemblant interviews, articles, hommages et bibliographie. Quant au dessin de couverture, il est l’œuvre de José Correa, un de ses amis qui avait réalisé plusieurs couvertures de Fiction dans les années quatre-vingts.
ActuSF : Pourquoi avoir voulu inclure des extraits de ses romans et des articles ? Tu voulais montrer toutes les facettes de l'homme ?
Richard Comballot : Exactement. Puisque ces débuts de romans existaient, j’ai voulu en faire profiter tout le monde. J’ai publié dans le même esprit un début de journal datant de son dernier départ de Fiction.
ActuSF : Quelles étaient les thématiques de Dorémieux ? Ses récits possédaient-ils des points communs ? Qu'est-ce qui caractérisait son écriture ?
Richard Comballot : Alain Dorémieux était un romantique, un idéaliste et un tourmenté. Un solitaire avec un « tempérament d’aristocrate », comme dirait son copain Curval. Ses nouvelles avaient pour thèmes les femmes, l’amour, le sexe. Il sortait peu de cette thématique-obsession. Il était un des meilleurs auteurs de sa génération. Malheureusement pour l’écrivain qui sommeillait en lui, il ne pouvait guère s’exprimer que dans Fiction, la principale revue française de SF… dont il était par ailleurs le rédacteur en chef. Il ne s’autopubliait qu’à contrecœur et il a sans doute souffert du manque d’espace. Par la suite, comme tous les hommes orchestres français (Michel Demuth, Gérard Klein), le nouvelliste a fini par se faire bouffer par l’éditeur et le traducteur. Dommage.
ActuSF : Quelles ont été les réactions quand tu as proposé aux auteurs qui complètent ce recueil de rendre hommage à Alain Dorémieux ? Quelle image a-t-il laissé ?
Richard Comballot : Les réactions ont toutes été enthousiastes puisque émanant de ses meilleurs amis. Cela étant, je n’ai pas contacté grand monde non plus : seulement Jean-Pierre Andrevon pour la préface, Philippe Curval et Yvonne Maillard pour des entretiens, Nathalie Serval et Fabienne Leloup pour des articles, Alain Sprauel pour la bibliographie et Daniel Walther pour une nouvelle-hommage. J’ajoute que nous devions être rejoints par Jacques Goimard, lequel n’a finalement pas pu être au rendez-vous à cause de ses problèmes de santé… Il a laissé l’image d’un grand professionnel à qui certains doivent beaucoup et d’un découvreur de talents.
ActuSF : Dimension Philip K. Dick (Rivière Blanche), Les Ombres de Peter Pan (Mnémos), Elric et la Porte des Mondes (Fleuve Noir) : voici quelques exemples des anthologies que tu as dirigé. Qu'est-ce qui te pousse à traiter des sujets aussi différents ? Existe-t-il un lien commun à toutes ces anthologies ?
Richard Comballot : Ce qui me pousse, c’est la passion, l’envie de revenir sur mes pas en retrouvant mes auteurs et personnages favoris, parfois de jeunesse, tout en sachant que mon plaisir va être partagé avec d’autres. Et aussi l’esprit d’aventure. Ce que je veux dire, c’est qu’il est toujours très stimulant pour moi de monter de tels projets : rassembler les meilleurs auteurs, les meilleures histoires sur le thème, et trouver l’éditeur le plus adapté au projet. Ce n’est pas toujours simple, mais avec de la patience et de l’obstination, on y arrive ! Même si, en France, la nouvelle reste toujours le parent pauvre, les lecteurs ne se ruant pas sur les recueils et les anthologies. Mon plus grand plaisir, et c’est je crois ma spécificité, est de toujours rassembler des auteurs jeunes et moins jeunes, classiques et modernes, pratiquant la SF comme le fantastique. J’aime ouvrir les portes en grand, procéder à des mélanges, à des brassages, afin d’offrir la plus grande variété possible. Est-il besoin d’ajouter que je déteste les ghettos, le dogmatisme, et que l’esprit de chapelle m’emmerde au plus haut point ?
ActuSF : Sur quoi travailles-tu en ce moment ? De nouveaux projets en perspective ?
Richard Comballot : J’ai un bon sujet pour une anthologie de SF, mais pour l’heure je travaille surtout à réunir des recueils de nouvelles d’auteurs que j’admire, parmi lesquels Michel Demuth (Le Bélial) ou Jacques Barbéri (La Volte). À côté de ça, je coordonne pour Les Moutons Électriques un recueil d’essais sur l’histoire de la science-fiction française, de l’après-guerre à nos jours. Et je publie au printemps, également aux Moutons, mon premier recueil d’entretiens, avec Stefan Wul, Michel Jeury, Jean-Pierre Andrevon, Serge Brussolo, Jacques Barbéri, Ayerdhal, Pierre Bordage et Maurice G. Dantec. Son titre sera Voix du futur.

ActuSF : Pourquoi, selon toi, est-il important pour les littératures de l'imaginaire ? Que reste-t-il de lui aujourd'hui dans le fantastique ?
Richard Comballot : Il est important au même titre que tous les pionniers, ces types venus de nulle part et un brin fêlés qui inventèrent de nouveaux genres littéraires en partant de rien, ou du moins de pas grand-chose : en ce qui concerne Poe, le roman policier et le fantastique, voire la science-fiction. Tout cela à une époque où les écrivains anglo-saxons n’étaient pas encore le produit d’ateliers d’écriture et essayaient de trouver individuellement leur vérité. Il a marqué son temps et est devenu au fil des décennies un classique incontournable. Indéboulonnable. En France, les traductions baudelairiennes ont contribué à son succès, c’est indéniable, mais on ne peut pas tout ramener à ça. Preuve en est que les Américains lui ont également rendu hommage avec une grosse anthologie publiée, comme la mienne, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance… et Baudelaire n’y est pas pour grand-chose !
ActuSF : On peut voir que les récits de cette anthologie sont très variés : certains fantastiques, d'autres plus proches de la science fiction ou de la « réalité ». Avais-tu une idée de sujet très précis ou bien, plus globalement, le thème Edgar Poe ?
Richard Comballot : Pas de sujet précis, non. Juste Edgar Poe, son œuvre et sa légende… Lorsque tu te lances dans une anthologie de ce genre pour une collection telle que « Imaginaires » chez Glyphe (ouverte tout autant au fantastique qu’à la SF), il est bon de laisser la plus grande liberté possible aux auteurs et de les laisser délirer tranquillement dans leur coin. Parfois, on discute de ce qu’ils veulent faire, ça me permet de leur dire si leur idée n’est pas déjà « prise » par un confrère, et certains envoient trois lignes de synopsis pour que je puisse me faire une idée. Mais c’est tout. Le reste du temps, c’est la surprise, et ce n’est pas plus mal. De toute façon, si tu invites un auteur, c’est a priori parce que tu aimes bien ce qu’il écrit et parce que tu lui fais confiance. La prise de risque n’est donc que partielle… Au final, tu as raison, cette anthologie n’est pas monolithique, on y trouve du fantastique, de la science-fiction et des enquêtes policières… le tout sous une préface de Georges-Olivier Châteaureynaud. J’aime cette variété. La difficulté, qui finit par se transformer en plaisir, est de devoir ordonner les nouvelles de telle sorte qu’elles constituent un ensemble harmonieux. C’est une partie du travail qui me passionne et je suis toujours heureux lorsqu’un critique ou un lecteur souligne qu’il a été sensible à la façon dont l’anthologie ou le recueil est construit. J’ajouterai que, pour moi, cet aspect-là des choses est aussi important que le choix des nouvelles.
ActuSF : Pourquoi l'avoir intitulée Les Derniers Jours d'Edgar Poe ?
Richard Comballot : Déjà, c’est le titre de la nouvelle la plus longue du volume, et elle le clôt. Et puis je trouve qu’il résume bien l’ensemble, lequel reflète un grand intérêt pour la fin de vie de l’auteur et, surtout, pour le mystère entourant les toutes dernières heures de son existence.

Richard Comballot : Un regard différent, c’est incontestable. Poe est un classique de la littérature mondiale. Dick le deviendra sans doute lui aussi, beaucoup d’indices nous l’indiquent, mais pour l’instant il demeure un contemporain. Il est proche de nous. N’oublions pas que de nombreuses personnalités françaises comme Philippe Curval ont eu l’occasion de le croiser au Festival de Metz, dans les années soixante-dix. C’était hier ! Et comme son œuvre est profondément humaine, on est en empathie avec lui. Voilà pourquoi il est devenu le chouchou de l’intelligentsia française, dans le sillage de Kafka. Rien à voir donc avec Poe…
ActuSF : Comment as-tu fait pour réunir ces différentes histoires ? Quels ont été tes critères de sélection ? As-tu eu des surprises ?
Richard Comballot : J’ai procédé de la même façon que d’habitude : j’ai commencé par contacter la quasi totalité des auteurs dont j’avais les coordonnées, certains ont dit oui, d’autres non, puis on a avancé comme ça. Au final, j’ai opéré une sélection, mon seul critère étant la qualité. Tu me diras que c’est subjectif, comme critère, et tu auras raison. Mais comment faire autrement ?… Pour répondre à la dernière partie de ta question, on a toujours des surprises lorsqu’on réunit des anthologies, et cette fois-ci encore : je dois t’avouer que les nouvelles de Yael Assia et de Jérôme Noirez m’ont bien secoué, quant à Jacques Barbéri il me scotche à tous les coups !
ActuSF : Parlons de Dimension Alain Dorémieux. Pourquoi avoir eu envie de faire un volume autour de cet auteur / directeur de collection / traducteur ? Quelle a été sa place dans l'Imaginaire en France ?
Richard Comballot : Lorsque tu t’intéresses comme moi à la science-fiction française moderne et que tu travailles sur ses principaux acteurs, tu ne peux pas éviter un personnage tel qu’Alain Dorémieux ! Rédacteur en chef de Fiction, directeur de collections chez Opta et Casterman, anthologiste, traducteur, il est une des cinq personnes qui ont « fait » la SF dans ce pays. Et comme il a été un très bon nouvelliste, avec un recueil chez Losfeld, deux en « Présence du Futur » et un « Livre d’Or » chez Presses Pocket, il était tentant pour moi de présenter quelque chose de neuf le concernant, dix ans après sa disparition.
ActuSF : Quels étaient tes liens avec lui ? Est-ce que tu le connaissais bien ?
Richard Comballot : Je ne le connaissais pas très bien, non. Je ne l’ai jamais rencontré physiquement et, du coup, je ne l’ai jamais interviewé non plus, ce qui reste un de mes grands regrets. En revanche, je lui avais téléphoné plusieurs fois au tout début de ma trajectoire, lorsque j’avais dix-huit ans. Je lui avais proposé une interview qu’il avait passée dans Fiction juste avant son départ. Je lui avais aussi proposé un Fiction spécial consacré au fantastique français, il demandait à voir, mais il n’a finalement rien vu puisqu’il a quitté les éditions Opta avant que le livre soit terminé.

Richard Comballot : J’ai commencé par éplucher sa bibliographie. Et puisqu’il s’agissait d’un ouvrage destiné à paraître chez Rivière Blanche, petit éditeur ayant vocation à publier des textes rares et / ou inédits, des curiosités en somme, j’ai délibérément laissé de côté ses textes les plus connus pour me consacrer aux oubliés. Au final, il ne s’agit donc pas d’un best of, mais plutôt d’un florilège réunissant pour l’essentiel des nouvelles prépubliées en revues et anthologies, mais non rassemblées en recueil. Des nouvelles naviguant entre fantastique et science-fiction, voire même space opera. Certaines avaient été publiées sous pseudonyme, écrites en hommage ou en collaboration. J’y ai ajouté trois nouvelles plus connues (son cycle des « Vanas »), mais qui n’avaient plus été publiées ensemble depuis les années soixante. J’ai complété cette sélection par deux extraits de romans inédits, une superbe préface de Jean-Pierre Andrevon et un dossier biographique rassemblant interviews, articles, hommages et bibliographie. Quant au dessin de couverture, il est l’œuvre de José Correa, un de ses amis qui avait réalisé plusieurs couvertures de Fiction dans les années quatre-vingts.
ActuSF : Pourquoi avoir voulu inclure des extraits de ses romans et des articles ? Tu voulais montrer toutes les facettes de l'homme ?
Richard Comballot : Exactement. Puisque ces débuts de romans existaient, j’ai voulu en faire profiter tout le monde. J’ai publié dans le même esprit un début de journal datant de son dernier départ de Fiction.
ActuSF : Quelles étaient les thématiques de Dorémieux ? Ses récits possédaient-ils des points communs ? Qu'est-ce qui caractérisait son écriture ?
Richard Comballot : Alain Dorémieux était un romantique, un idéaliste et un tourmenté. Un solitaire avec un « tempérament d’aristocrate », comme dirait son copain Curval. Ses nouvelles avaient pour thèmes les femmes, l’amour, le sexe. Il sortait peu de cette thématique-obsession. Il était un des meilleurs auteurs de sa génération. Malheureusement pour l’écrivain qui sommeillait en lui, il ne pouvait guère s’exprimer que dans Fiction, la principale revue française de SF… dont il était par ailleurs le rédacteur en chef. Il ne s’autopubliait qu’à contrecœur et il a sans doute souffert du manque d’espace. Par la suite, comme tous les hommes orchestres français (Michel Demuth, Gérard Klein), le nouvelliste a fini par se faire bouffer par l’éditeur et le traducteur. Dommage.
ActuSF : Quelles ont été les réactions quand tu as proposé aux auteurs qui complètent ce recueil de rendre hommage à Alain Dorémieux ? Quelle image a-t-il laissé ?
Richard Comballot : Les réactions ont toutes été enthousiastes puisque émanant de ses meilleurs amis. Cela étant, je n’ai pas contacté grand monde non plus : seulement Jean-Pierre Andrevon pour la préface, Philippe Curval et Yvonne Maillard pour des entretiens, Nathalie Serval et Fabienne Leloup pour des articles, Alain Sprauel pour la bibliographie et Daniel Walther pour une nouvelle-hommage. J’ajoute que nous devions être rejoints par Jacques Goimard, lequel n’a finalement pas pu être au rendez-vous à cause de ses problèmes de santé… Il a laissé l’image d’un grand professionnel à qui certains doivent beaucoup et d’un découvreur de talents.
ActuSF : Dimension Philip K. Dick (Rivière Blanche), Les Ombres de Peter Pan (Mnémos), Elric et la Porte des Mondes (Fleuve Noir) : voici quelques exemples des anthologies que tu as dirigé. Qu'est-ce qui te pousse à traiter des sujets aussi différents ? Existe-t-il un lien commun à toutes ces anthologies ?
Richard Comballot : Ce qui me pousse, c’est la passion, l’envie de revenir sur mes pas en retrouvant mes auteurs et personnages favoris, parfois de jeunesse, tout en sachant que mon plaisir va être partagé avec d’autres. Et aussi l’esprit d’aventure. Ce que je veux dire, c’est qu’il est toujours très stimulant pour moi de monter de tels projets : rassembler les meilleurs auteurs, les meilleures histoires sur le thème, et trouver l’éditeur le plus adapté au projet. Ce n’est pas toujours simple, mais avec de la patience et de l’obstination, on y arrive ! Même si, en France, la nouvelle reste toujours le parent pauvre, les lecteurs ne se ruant pas sur les recueils et les anthologies. Mon plus grand plaisir, et c’est je crois ma spécificité, est de toujours rassembler des auteurs jeunes et moins jeunes, classiques et modernes, pratiquant la SF comme le fantastique. J’aime ouvrir les portes en grand, procéder à des mélanges, à des brassages, afin d’offrir la plus grande variété possible. Est-il besoin d’ajouter que je déteste les ghettos, le dogmatisme, et que l’esprit de chapelle m’emmerde au plus haut point ?
ActuSF : Sur quoi travailles-tu en ce moment ? De nouveaux projets en perspective ?
Richard Comballot : J’ai un bon sujet pour une anthologie de SF, mais pour l’heure je travaille surtout à réunir des recueils de nouvelles d’auteurs que j’admire, parmi lesquels Michel Demuth (Le Bélial) ou Jacques Barbéri (La Volte). À côté de ça, je coordonne pour Les Moutons Électriques un recueil d’essais sur l’histoire de la science-fiction française, de l’après-guerre à nos jours. Et je publie au printemps, également aux Moutons, mon premier recueil d’entretiens, avec Stefan Wul, Michel Jeury, Jean-Pierre Andrevon, Serge Brussolo, Jacques Barbéri, Ayerdhal, Pierre Bordage et Maurice G. Dantec. Son titre sera Voix du futur.