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Rifteurs

Gilles Goullet (Traducteur), Peter Watts ( Auteur), Colin Anderson (Illustrateur de couverture)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 13/10/2011  -  livre
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Rifteurs

Peter Watts est un auteur canadien de SF, également scientifique – en qualité de biologiste marin. Son style d’écriture très personnel explore le psychisme humain et son altération, ainsi que la place de notre espèce dans l’évolution tout comme la définition d’intelligence et de conscience. Cet auteur atypique, qui, par exemple, propose une photo de chat pour illustrer son portrait sur son site web, fait partie des noms marquants de ces dernières années en littérature de science-fiction, à découvrir si ce n’est pas déjà fait.

Rifteurs est le second volume d’une trilogie (après Starfish et avant Béhémoth).

Bientôt la fin de la biosphère ?

Le séisme géant provoqué par l’explosion nucléaire sous-marine programmée par Patricia Rowan et les autorités pour tenter de sauver l’humanité et toute la biosphère de la menace incarnée par la nanobactérie Béhémoth, a ravagé les abysses et les côtes de N’AmPac, faisant des millions de victimes. Mais c’était la seule solution pour contrecarrer les plans du « fromage de tête », c’est-à-dire du gel intelligent à qui tous les pouvoirs avaient été confiés par les nations humaines qui recherchaient un point de vue neutre pour tous les gouverner.

Tellement neutre que cette intelligence artificielle a pris parti pour Béhémoth, cette bactérie qui survivait depuis des millions d’années dans les cheminées hydrothermales au fond des océans, attendant patiemment une occasion pour se répandre. Ce concurrent est extrêmement dangereux pour l’espèce humaine et tous les êtres vivants, car sa réplication par mode ARN, plus simple que notre ADN, est surtout plus robuste et plus rapide, et s’il était libéré sur la terre ferme, via un hôte humain ou animal, la biosphère actuelle telle que nous la connaissons serait rapidement détruite.

Mais Lenie Clarke et Ken Lubin, porteurs de la bactérie, ne sont pas morts. Seuls survivants des rifeurs de la station Beebe, ils ne se savent pas mutuellement en vie, ni ne connaissent la raison pour laquelle les autorités ont tenté de les supprimer. Lenie Clarke, après des semaines de nage dans le fond de l’océan Pacifique, a enfin atteint les côtes de N’AmPac, dans les camps des réfugiés, et va chercher à comprendre les enjeux en cours et se venger de ceux qui ont cherché à la tuer. Et contrairement à toute attente, elle va rencontrer de nombreux alliés, grâce au Maelström, le réseau Internet.

Question de point de vue

Dans Rifteurs nous quittons les sombres abysses de Starfish pour regagner la terre ferme, pas beaucoup plus accueillante et vivante que les profondeurs océaniques. On ressent donc moins l’impression de claustrophobie, mais on entre dans un décor post-apocalyptique. Les côtes sont dévastées, des millions de cadavres jonchent encore les rues, et la population est scindée en deux : les réfugiés parqués aux portes des villes, derrière un grillage, la drogue présente dans leur nourriture leur ôtant tout sentiment de révolte et les citoyens officiels, pas beaucoup mieux lotis, car eux aussi drogués pour mieux accepter leur sort et ne pas se poser trop de questions gênantes. Le « Trip Culpabilité » permet à tous les acteurs de la protection des villes et de leur reconstruction d’exercer leur rôle sans remords. Grâce à la chimie du cerveau, on les oblige à être loyaux envers l’autorité et à ne pas s’interroger sur la justesse ou non de leurs actions. Cette modification des chemins neuronaux peut faire penser à certains concepts développés par Greg Egan, par exemple dans sa nouvelle Axiomatique.

Achille Desjardins est sous Trip Culpabilité, car son poste le nécessite. Il est chargé de traquer dans le Maelström, nom donné au World Wide Web, les informations fausses ou les dangers et les virus informatiques, et doit prendre des décisions rapides mettant en jeux la vie de nombreuses personnes. Génie informatique, il va être chargé par Rowan de rechercher Lenie Clarke, lorsque l’on va s’apercevoir qu’elle est encore en vie et qu’une communauté toujours plus grande la soutient via le réseau du web. Le lecteur navigue donc dans le réseau à travers les yeux d’Achille Desjardins, mais construction beaucoup plus originale, également via la perception des virus informatiques eux-mêmes. Ces passages sont très intéressants, car l’auteur essaie de nous faire comprendre de l’intérieur la stratégie de croissance, de développement et d’évolution d’une entité informatique, très différente de celle d’un être biologique, avec des besoins et des objectifs correspondants à sa structure. Peter Watts était en avance sur son temps, car si aujourd’hui Internet occupe une place prépondérante dans notre quotidien, rappelons que Rifteurs a été publié en langue originale en 2001, alors que le web commençait tout juste à se diffuser auprès du grand public de manière généralisée, mais n’avait rien à voir avec le puissant réseau qu’il est devenu depuis lors.

Autre personnage important, Sou-Hon Perreault, une jeune femme en charge de la reconstruction, qui peut s’incarner, via un système électronique, dans des drones volants qui survolent les zones sinistrées pour contrôler les lieux et veiller à la préservation des zones encore saines, tout en surveillant les réfugiés du littoral. Elle aussi est sous Trip Culpabilité, mais un dysfonctionnement du système lui laisse voir la vraie horreur de la situation, les cadavres et leur puanteur, les réfugiés abandonnés. Elle ne sera plus jamais la même et alors que Achille Desjardins suit les traces de Lenie Clarke dans le monde virtuel du Maelström, Sou-Hon Perreault la suit dans le monde réel, à traves les yeux des drones.

Sur le fil du rasoir


On retrouve en latence dans Rifteurs, comme dans Starfish, ce qui fera la grande qualité de Vision aveugle et les mêmes thématiques obsessionnelles de l’auteur, comme la notion de conscience et celle d’empathie, l’intelligence des gènes, l’intuition et les améliorations physiques.

Dans ce second volume de sa trilogie, Peter Watts joue beaucoup sur les notions de frontières entre deux mondes, barrières physiques mais aussi psychiques, que ce soit la démarcation entre les réfugiés et les privilégiés, mais aussi entre l’Homme et Béhémoth, ou entre les rifteurs modifiés et les moutons de panurges que sont devenus les concitoyens de N’amPac.

Peter Watts s’interroge ici sur la conscience et l’absence de conscience, non pas tout à fait dans son acception d'existence, mais plutôt dans le sens d’une conscience morale : « la conscience n’est pas donnée à tout le monde et ceux qui ont en une se font systématiquement exploiter par ceux qui n’en ont pas ». Sa réflexion rejoint celle développée dans Vision aveugle, avec la même opposition entre la conscience et l’inconscient, qui est le vrai maître en la demeure de notre corps, et qui se joue de notre perception. C’est pourquoi là aussi les personnages sont tous en partie sociopathes, ou du moins émotionnellement handicapés, et améliorés physiquement, comme les rifteurs par une machinerie interne ou chimiquement comme Achille, Sou-Hon et la plupart des citoyens. A noter dans ce volume, une révélation importante sur la nature profonde des rifteurs qui change notre vision des choses, sur laquelle nous nous appuyions depuis le premier volume.

On retrouve aussi, avec les gels intelligents qui parviennent à dialoguer avec l’espèce humaine – sans pour autant la comprendre et s’en faire comprendre –, la même problématique que lors de la rencontre avec l’entité extraterrestre dans Vision aveugle. On aurait d’ailleurs bien vu Yves Scanlon, le psychologue de Starfish, jouer un rôle important dans ce second volume, avec un recul et une interprétation des événements, dommage qu’il n’apparaisse plus si ce n’est lorsqu’il est cité par d’autres protagonistes.

Enfin le concept de transmission de l’information sous-tend le récit, avec la réplication informatique du Maelström, celle de Béhémoth, et celle, bien moins rapide, de la vie biologique actuelle.

On replonge volontiers


Si Rifteurs n’a pas la maturité de Vision aveugle, on y retrouve les mêmes éléments et réflexions encore en devenir, comme les jeunes pousses d’un arbre en train de prendre racine. Et si l’atmosphère est moins prenante que Starfish ou Vision aveugle, car les personnages n’évoluent pas en huis-clos, Peter Watts parvient toujours à nous entraîner dans son univers et à nous surprendre. Béhémoth, le troisième tome de la trilogie, nous replongera peut-être en partie dans les abysses où nous avait entraîné le premier volume, comme le laisse imaginer la conclusion du roman.

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