Richard Kadrey est écrivain et photographe. Il s'essaye d'abord au cyberpunk (Métrophage, Kamikaze L’Amour) avant de changer de registre avec Butcher Bird, paru chez nous en 2012. Depuis 2009, il s'est lancé dans une série de fantasy urbaine, Sandman Slim, à raison d'un volume par an. Le premier, éponyme, vient de paraître chez Lunes d'encre.
Voir l'Enfer et revenir
James Stark, jeune magicien peu prudent, est envoyé en Enfer par ceux qu'il croyait être ses amis. Là-bas, contre toute attente, tombé sous la coupe d'Azazel qui le transforme en gladiateur puis en tueur à gages, il va survivre... Jusqu'à ce qu'il apprenne que sa bien-aimée s'est fait assassinée. Il entre alors en possession d'une clé lui permettant de s'échapper de ce monde souterrain et, avec pour tout bagage un couteau fait d'une étrange matière et une pièce qui dit toujours la vérité, il regagne le monde des vivants, bien décidé à se venger.
Un divertissement intelligent et irrésistible
Série B pleinement assumée, Sandman Slim a un petit air de Butcher Bird... mais sans les défauts ! Dès les premières pages, on est tout de suite plongé dans cet univers parallèle où les magiciens et autres démons se promènent au grand jour, sans vraiment se cacher des humains normaux. L'intrigue commence dès la première page et ce n'est que petit à petit que l'on apprend le passé de Stark... et ce qu'il compte faire. Cette rapidité de mise en place donne le ton d'entrée de jeu : aucun temps mort, de l'action toujours à son paroxysme... aucune chance de s'ennuyer ou de décrocher, l'histoire avance à un rythme effréné, un peu trop parfois, tellement les rebondissements s'enchaînent sans laisser au lecteur le temps de digérer ce qu'il se passe.
Mais Sandman Slim n'est pas qu'un déchaînement d'effets pyrotechniques et de grosses bastons. Certes, l'histoire n'est pas des plus originales (une énième histoire de vengeance mais qui fonctionne ici parfaitement) mais elle est largement compensée par ce qui faisait déjà le charme de Butcher Bird : des dialogues savoureux (Stark est le roi de la répartie), des personnages secondaires improbables (le docteur Kinski et son assistante Candy, le magicien Kasabian - ou ce qu'il en reste - ou encore l'alchimiste Vidocq, devenu immortel suite à une expérience ayant mal tourné, et cherchant une manière de mourir) et des scènes cocasses. Car il faut dire que son (anti-)héros a le don de se fourrer dans des situations totalement improbables, réfléchissant avec son couteau plutôt que son cerveau. Fonçant tête baissée dans l'inconnu, faisant fi de toute prudence, il peut toujours compter sur ses pouvoirs magiques sur-développés pour se tirer d'un mauvais pas... ou simplement sur sa condition de survivant des enfers. Devenu quasiment immortel, il est insensible à la majorité des armes. Dans ces conditions, difficile de jouer les timorés... Mais les répliques parfaitement senties et le côté éternel ado de Stark le sauvent de ses réactions parfois un peu trop invraisemblables et exagérées à l'extrême. Typiquement le genre de personnage que l'on adore détester.
Ajoutez à cela un univers occulte parfaitement maîtrisé et documenté ainsi qu'une belle palette de créatures surnaturelles (quel que soit le côté duquel elles se placent) et vous obtenez un roman qu'il est difficile de lâcher une fois la lecture commencée.
Ceci étant dit, on pourra quand même regretter un enchaînement des événements trop parfait pour n'être que de simples coïncidences (Stark s'en étonne lui-même plusieurs fois, petit clin d'œil de l'auteur sur cette succession de rebondissements un peu trop prévisible ?) et des protagonistes parfois un peu trop caricaturaux ou sous-développés. Difficile, néanmoins, un peu plus de trois cents cinquante pages de donner de la place pour toute la galerie de personnages que rencontre Stark.
La fin, un peu rapide (mais à l'image du reste du roman), apporte son lot de révélations mais conclut parfaitement ce premier volume. Que les réfractaires aux longues séries se rassurent : le livre se suffit à lui-même. Difficile, d'ailleurs, de savoir de quoi sera fait la suite, même si quelques pistes sont distillées ici et là.
Sandman Slim remplit donc parfaitement son rôle de roman d'introduction : les bases de l'univers sont posées, les personnages importants présentés et le ton est déjà donné : action débridée, humour ravageur et aucun sérieux à attendre. La recette, pourtant maintes fois utilisée, fonctionne ici parfaitement. Qu'ajouter de plus, à part qu'on attend le deuxième volume de pied ferme ?