- Nom ?
- Brite
- Prénom ?
- Poppy Z. Monsieur le juge.
- Date de naissance ?
- 1967 à la Nouvelle Orléans
- Profession ?
- Ecrivain spécialisée dans le fantastique à tendance underground.
- A tendance quoi ?
- Underground monsieur le président. Il s’agit dans son cas d’une descente littéraire dans les bas fond de notre société. Madame Brite aime mettre en scène des personnages un peu… comment pourrais-je dire ? un peu en marge comme les homosexuels ou les tueurs en série.
- Ah je vois... Quels sont les chefs d’accusations ?
- Perversion de la jeunesse avec des textes violents, parfois morbides, souvent dépravés.
- Avocat de la défense, présentez-nous votre vision des choses.
- Hum, eh bien je dirais que Madame Brite est un animal littéraire descendante directe des obsessions d’auteurs comme Lautréamont ou Baudelaire parfois. Elle aime la marge et trouve dans les dérives de nos sociétés le terreau de ses histoires. Son talent s’exprime totalement par exemple lorsqu’elle explore les amours homosexuels en y mélangeant du fantastique. Cela lui permet de pousser plus loin ses personnages. Je citerai pour preuve la nouvelle Visitation du recueil Self Made Man. Deux homosexuels vivant ensemble éprouvent quelques difficultés dans leurs relations car l’un d’entre eux est obsédé par l’écriture de pièce de théâtre et ne cesse de pousser à bout son partenaire. Il cherche à éprouver son amour. Jusqu’ici l’histoire est assez banale sauf que leur sexualité renforce l’histoire. Leurs sentiments sont plus forts, plus profonds. Autre exemple, l’intensité de la nouvelle Délivrance serait sans doute moindre si le tueur violait une prostituée classique et non un travesti…
- Objection votre honneur, ce n’est pas sur ce terrain que porte le procès.
- Accordé. Dites-nous en plus Procureur.
- Mme Brite dépasse souvent les limites du raisonnable. Qu’elle écrive du fantastique en prenant pour personnage des marginaux, passe encore. Mais je pose la question, a-t-elle besoin d’y mettre autant de violence et de sexe et surtout de manière aussi cru ? Car voyez-vous, elle n’hésite pas à appeler un chat un chat et une bite une bite au risque de choquer de lecteur et de le décrocher de l’histoire. Etait-elle obligée dans Délivrance de décrire la sodomie du travesti avec un pistolet ? Etait-elle obligée dans Le vin de l’âme de décrire par le menu les relations sexuelles de trois gais dans Amsterdam la veille de l’an 2000 ? D’ailleurs, l’épisode de la prise de cocaïne nous semble un élément un peu superflu. Ce n’est pas le thème de ses nouvelles qui sont choquantes, mais bien son écriture. Ce qu’on en retient en premier lieu c’est l’explosion de foutre et l’abondance des viscères. La nouvelle Self Made Man dépasse de loin toutes les autres. Grosso modo, un tueur en série à pulsion homosexuelle ramène chez lui un jeune immigré gai lui aussi. Je vous passe les détails. Trente pages de sexe et d’horreur. Voilà de quoi défriser les plus blasés. En mettant à nu les pulsions les plus noires de l’homme, je dis que cette femme n’écrit pas pour tout le monde et que cela doit être annoncé bien clairement sur ses livres.
- Avocat de la défense, qu’avez vous à répondre ?
- Pas grand chose monsieur le juge. Deux points me semblent importants. D’abord il n’y a pas que du sexe et de la violence. Le recueil Self Made Man contient au moins deux nouvelles qui n’en relèvent pas. Même ceux qui ne peuvent apprécier le reste trouveront ces textes agréables et parfois géniaux. Mussolini et le jazz à la nouvelle Orléans puise son inspiration avec bonheur dans le meurtre en 1914 de l’archiduc François-Ferdinand. Quelques années plus tard, le fantôme de ce dernier cherche à empêcher Mussolini de prendre le pouvoir. Ici point d’homosexuels ou d’amateurs de corps torturés mais un détournement sympathique de l’histoire. Pour le reste des nouvelles, je dirai que quoi qu’on en pense, elles ont le mérite d’exister. Oui elles sont volontairement choquantes comme Lautréamont le fut en son temps. Mais elles permettent aussi d’explorer de nouvelles voies de la littérature même si cela gâchera sans doute le plaisir de la plupart des lecteurs. Finalement c’est à chacun de se faire sa propre opinion.
- Nous vous avons bien compris messieurs. Dernière question, doit-on acheter ce recueil ? Procureur ?
- On peut à condition de savoir à quoi on s’attend. L’expression « Ames sensibles s’abstenir » prend ici tout son sens.
- Avocat de la défense ?
- Ma réponse est oui si l’on veut découvrir quelque chose de différent.
- Messieurs, je vous remercie.
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