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Sénéchal III, la fin d'un siège
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Sénéchal III, la fin d'un siège

Actusf : Sénéchal III est sur le point de paraître aux éditions Mnémos. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Grégory Da Rosa : Par le syncre-mort ! Oui, je le peux ! Et plus encore, je le veux ! Sénéchal III, c’est la conclusion de la trilogie. Étonnant, n’est-ce pas ? Une trilogie en trois tomes, quelle étrange idée. Et qui dit conclusion, dit révélations, surprises, actions, pertes et fracas. Lysimaque, capitale de Méronne, est toujours assiégée. Nous avons laissé à la fin du deuxième tome Philippe Gardeval, le sénéchal, en bien mauvaise posture. Le complot ourdit par l’ennemi et par un félon que nul n’a encore démasqué dresse les courtisans du roi Édouard les uns contre les autres. Alors que la guerre fait rage au-dehors, la bataille des égos prend une nouvelle ampleur au sein même du palais. Dans le troisième tome, Philippe écrit ceci : « Comment pouvait-on sauver un foyer du brasier si la mesnie qui y vivait s’invectivait au lieu de tenter d’éteindre le feu ? » Telle est la question ! Et la réponse arrive, pour le meilleur et pour le pire. J’espère d’ailleurs que mon aimable lecteur, qui aura suivi le fameux sénéchal depuis le « jour premier », aura gardé en tête quelques détails glissés dès le premier tome, car ils seront un petit plus non négligeable pour la toute fin du roman. Que ces détails soient politiques, amoureux, magiques, militaires, ils comptent tous. Tous ! Et l’heure est venue de relier tous les fils entre eux, de les nouer, de les agencer, pour que la tapisserie que j’ai joyeusement déchirée dès les prémisses reprenne forme et se dévoile dans sa totalité. Je peux vous dire une chose : je n’y suis pas allé de main morte, comme dirait l’autre.

"C’est une fantasy humaine qui dépeint les hommes et les femmes à travers le prisme d’un sénéchal lui-même perclus de défauts, d’erreurs de jugement et d’idées préconçues."

Actusf : Comment voyez-vous votre héros, Philippe Gardeval, grand sénéchal du royaume ? A-t-il changé depuis le moment où vous avez décidé de le créer ? A-t-il suivi la route que vous lui aviez tracée ou s’est-il entêté dans une voie inconnue de votre plume ?
Grégory Da Rosa : Philippe est un fieffé coquin qui a une trop grande bouche et des bras trop mous. Il a en effet changé au cours des tomes. D’abord sarcastique, ironique et quelque peu aigri, il a glissé vers un tempérament plus mélancolique, pessimiste, un tantinet désarçonné par ce beau fouillis que je lui ai joliment jeté entre les gigues. Dans le troisième volume, un évènement vient chambouler tout ça. Il se fait plus incisif et, disons-le franchement, il n’a plus rien à perdre. C’est qu’il est en colère, notre bon monsieur. Quant à savoir s’il a suivi la voie que je lui ai tracée, c’est difficile à dire. J’avais déjà une idée ferme et précise de la fin donc, dans les grandes lignes, je dirais que oui, en effet, il est allé là où je le voulais. C’est la nature du chemin, en revanche, que j’ai découvert en même temps que j’ai découvert Philippe. Le bougre a eu la fâcheuse tendance à préférer les chemins tortueux, pentus, parfois carrément assombris par les arbres imprévus qui sont venus encombrer son sentier. Je lui avais pourtant tracé une belle route pavée, au soleil et, surtout, sur le plancher des vaches. Pour tout vous dire, il n’en avait rien à faire. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » m'a-t-il jeté plus d’une fois à la trogne plus alors que je tentais de lui tenir la bride. J’ai donc suivi, l’œil inquiet jeté par-dessus son épaule, surveillant la date butoir de rendu du manuscrit qui n’arrêtait pas de nous traquer telle une chasseresse indécrottable. En définitive, quand nous sommes arrivés à bon port, je me suis rendu compte que le voyage avait été plein de surprises, enrichissant et, à bien des égards, bien plus intéressant ! C’est qu’il en avait gros sur le cœur, notre sénéchal. De fait, je crois avoir écrit une fantasy humaine. Non pas humaniste, mais bel et bien humaine, avec tout ce que les personnages et leurs histoires comptent de fatalités, d’orgueils, de bonnes intentions et d’espoirs déçus. Les personnages y trainent leurs lots de drames, de tragédies, de non-dits, d’erreurs, de bassesses et, aussi et parfois, d’instants de brillance. C’est une fantasy humaine qui dépeint les hommes et les femmes à travers le prisme d’un sénéchal lui-même perclus de défauts, d’erreurs de jugement et d’idées préconçues. La vérité est différente selon les points de vue. Il est donc bien loin le héros glorieux et bien-pensant, bien loin le caractère omniscient, moralisateur et interchangeable du narrateur. J’ai ainsi appris à connaître Philippe, à l’aimer comme à le détester ! et, immanquablement, j’ai appris à me connaître, moi aussi, en tant qu’auteur.

Actusf : Avez-vous des regrets par rapports à certains personnages ?
Grégory Da Rosa : Que nenni. Ils m’auront fort bien servi, ces grands drôles ! Loyaux, tantôt burlesques, tantôt grandiloquents, parfois exécrables, toujours cauteleux. Ils sont tous aussi hideux, caractériellement parlant, que je le souhaitais. Je trouve le casting très réussi, pas vous ?

Actusf : Vous écrivez de la fantasy. Pourquoi ce genre plutôt qu’un autre ?
Grégory Da Rosa : C’est celui qui m’a vu grandir et, dans les heures les plus sombres et apocalyptiques de ma vie, qui m’a fait tenir (je dis cela avec humour, mais c’est on ne peut plus vrai). Ce genre aura toujours quelque chose de plus à mes yeux. Que ce soit pour l’émerveillement qu’il procure, pour sa richesse, pour sa folie, pour ses extravagances, pour ses critiques aiguisées et à peine voilées de notre société, pour ses voyages, pour ses possibilités infinies, pour ses clichés (aussi) que je suis heureux de retrouver comme de vieux amis baroudeurs. À chaque passage de ma vie, la fantasy était, est et sera là. Je me souviens des livres que j’ai lus au moment où j’en avais le plus besoin. Ils ont une place à part. Évidemment, dis comme ça, ça paraît d’une mièvrerie sans nom. Eh bien, qu’importe ! Je peux vous dire sans sourciller et sans rougir que j’ai été bien heureux de faire la rencontre d’un Harry Potter au moment où ma vie adolescente était un bordel sans nom, et à quel point j’ai été ravi de rencontrer un Tyrion Lannister quand tout foutait le camp. Les autres genres, malheureusement, ne me parlent pas, ou trop peu, mis à part le roman historique et, depuis peu, la science-fiction. Je suis en premier lieu intéressé par le fait de faire un véritable voyage immobile. J’ai besoin de dépaysement, de divertissement, de grandeur, de lieux impossibles et de protagonistes démesurés. Je n’ai pas envie de lire un roman de 300 pages dans lequel des personnages froids comme un béton ciré ne font que voguer du canapé au balcon en passant par les toilettes, et ce tout en allumant leurs clopes. Ça, merci bien ! je le fais déjà chez moi !

"Quand des œuvres vous marquent, connues ou pas, je pense que vous vous sentez obligé de leur rendre hommage à votre manière."

Actusf : Avez-vous des inspirations en particulier ? L’intrigue se déroulant dans un cadre médiéval fantastique ; avez-vous dû faire beaucoup de recherches ?
Grégory Da Rosa : Ah ! Les inspirations, les fameuses ! Pour Sénéchal, elles viennent principalement de notre bon vieux XIVème siècle occidental. Je vais faire court et donner les principales et les plus connues. Je vais donc parler encore et toujours des Rois Maudits de Maurice Druon, du Nom de la Rose d’Umberto Eco et du Cycle d’Ogier d’Argouges de P. Naudin. Côté fantasy, l’indétrônable Trône de Fer de G.R.R. Martin et Gagner la guerre de J.-P. Jaworski. Eh oui ! C’est comme ça et pas autrement. Quand des œuvres vous marquent, connues ou pas, je pense que vous vous sentez obligé de leur rendre hommage à votre manière. Ce que je fais. Par ailleurs, dans Sénéchal III, je pense que mon avisé lecteur verra quelques clins d’œil, plus ou moins appuyés, au grand-maître Jacques de Molay, au sénéchal Blanquefort, à lord Walder Frey, à don Benvenuto et, pour la division du roman en heures canoniales, le huis-clos et la rédaction d’une éphéméride, au moine bénédictin Adso de Melk ! En ce qui concerne les recherches, elles sont constantes. Par exemple, sur une période de quatre heures pendant lesquelles je me suis pourtant promis d’écrire, je peux aisément en passer une ou deux à me documenter. Entre les ouvrages d’histoire médiévale, les centaines de post-it et de notes éparpillées, les thèses, les dictionnaires de moyen-français et les sites sérieux glanés vaille que vaille sur le web, c’est un joyeux bazar. Il me faut lire les informations, les comprendre, les confronter, les trier. Il y a un travail de documentation en amont, évidemment, et ce avant même la rédaction, mais il y a aussi un travail ponctuel, celui réalisé en plein milieu de l'écriture, qui vient parfaire mes connaissances, confirmer les informations trouvées ou les agrémenter, répondant à un besoin pratique et immédiat. Sans oublier que je n’ai ni formation littéraire, ni formation d’historien. Je me débrouille avec ce que j’ai : ma curiosité. Dans Sénéchal, j’ai pris le parti de me documenter sur les vêtements, l’art militaire, le vocabulaire, l’architecture, en bref, sur tous les éléments de détail, concrets, qui ajoutent une impression de densité, de réalisme ou, du moins, d’ambiance réaliste. En ce qui concerne ce qui est plus global, à savoir l’intrigue, l’histoire du monde, les ethnies, les mentalités, la géographie, les us et coutumes, j’abandonne un peu cette idée de réalisme à tout prix, et je laisse place à l’imagination. Après tout, ne se retrouve-t-on pas plongé dans un monde qui, un beau matin, a vu trois planètes quitter leurs orbites, se heurter, exploser puis fusionner en une grande terre plate ? Réalisme, vous avez dit ? Documentation ? Hum ?

Actusf : Troisième et dernier tome… Pas trop dur de quitter Lysimaque et ses intrigues ? Pensez-vous revenir plus tard dans cet univers ?
Grégory Da Rosa : En parlant avec des collègues auteurs et autrices, j’ai été prévenu de la dépression post-natale qui suit la fin d’une saga. On quitte des personnages qui, jour et nuit, n’ont jamais cessé de vivre dans tous les recoins de votre crâne, qui se sont chamaillés entre eux, qui n’en ont fait qu’à leur tête, qui vous ont donné de la joie (de l’exultation même !), vous ont aussi proposé des solutions et vous ont sacrément surpris. Bref, c’est un peu la famille Pierrafeu qui, pendant une paire d’années, brise des cailloux directement dans votre caboche et qui, d’un coup d’un seul, disparaît. C’est le silence. Eh bien, dans mon cas, ce silence me fait du bien ! Non pas que je n’ai pas aimé mes personnages, loin de là ! mais il faut dire que je les ai pressés comme des citrons. Je sais qu’ils n’ont plus rien à dire. Je sais aussi de manière sure et certaine que Philippe Gardeval ne sera jamais plus le personnage central d’une autre histoire. Il pourra faire une apparition quelque part si, vraiment, il insiste, mais il ne dépassera pas le stade de figurant. Il est prévenu. Son heure de gloire est terminée. Cependant, il est vrai que j’ai bel et bien eu l’idée saugrenue d’écrire sur le passé d’un personnage en particulier : Myr Gilmenas et son histoire mouvementée dans la cité des mages du Myrador, par exemple. Je ne suis pourtant pas spécialement partisan des préquelles. Je préfère les séquelles (imaginez mon rictus diabolique en écrivant ce mot à double sens). Oui, je suis attiré par le fait d’étendre mon univers vers l’avenir, bien plus que vers le passé. Et c’est justement ce dont nous allons parler, je crois, dans la prochaine question.

« Je n’en ai pas fini avec cet univers ! Je dirais même que je commence à peine ! »

Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Grégory Da Rosa : Je travaille sur deux romans à la fois, toujours dans le même univers. Oui, on pourrait dire que je m’éparpille, mais je répondrais que c’est une question de survie. J’ai vu ce que donnait l’écriture d’un seul et même roman pendant trois ans. À maintes reprises, j’ai cru faire péter les câbles bien trop tendus qui maintenaient par un miracle inconnu de moi mes neurones tous ensembles. On ne m’y reprendra plus. Donc oui, disais-je, j’écris deux romans à la fois, et si j’en abandonne un en cours de route, ma foi, ça sera tant pis. C’est l’heure, je crois, de faire des tests, d’échouer, de recommencer, etc. C’est l’heure de la création, en somme, et le chemin sera sans doute long. Je tiens de toute façon à produire des romans le plus aboutis possibles, quitte à taquiner mes limites. En tous les cas, même s’il est un peu tôt pour parler de la suite, je peux d’ores et déjà vous dire qu’il y aura, dans une prochaine histoire, un changement de continent. On ira voguer vers le désert du Haut-Raakghar, la péninsule aride du Zéhyr et l’archipel des ombres du Santugal. On rencontrera des peuples à peine évoqués dans Sénéchal, comme les Varaks, les Malsangs et les Archaï. Mes inspirations seront tournées vers l’orient, tout comme vers Al-Andalus, l’Espagne musulmane, ainsi que vers le Portugal de Magellan. Cette fois-ci, ce sera un roman bien plus épique qu’intimiste. Maintenant que j’ai l’expérience d’une histoire en huis-clos et que je sais dompter mes personnages (narrateur ou non), je compte éclater la narration entre plusieurs protagonistes, voyager à travers les déserts, les savanes, les océans et les plaines du Miragaï. C’est un autre challenge, mais il me tarde de le relever ! Pour dire la vérité vraie, l’univers que je compte mettre à la disposition des lecteurs est vaste et j’ai l’ambition (déraisonnable ? nous verrons bien !) de brosser un tableau qui s’étendra sur plusieurs siècles, d’où le fait que je préfère les séquelles aux préquelles. D’une certaine manière, Sénéchal est déjà la préquelle à la grande histoire que je veux développer (et que j’avais déjà ébauchée par le passé). « Je n’en ai pas fini avec cet univers ! Je dirais même que je commence à peine ! » suis-je en train de m’exclamer en retroussant vaillamment mes manches.

Actusf : Avez-vous des rencontres et des dédicaces dans les mois qui arrivent ?
Grégory Da Rosa : Vous pourrez me rencontrer prochainement aux Aventuriales de Ménétrol le 29 et 30 septembre, à la librairie Sauramps Odyssée de Montpellier le 20 octobre (en compagnie d’Elisabeth Ebory et de Jean-Laurent Del Socorro !), au Salon Fantastique de Paris le 2, 3 et 4 novembre, ainsi qu’au Toulouse Game Show le 1er et 2 décembre. Tout cela, en prime, avec le sourire (et le troisième tome, bien sûr) !

 

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