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Stéphanie Nicot et l'Archipel du Rêve

Christopher Priest ( Auteur), Damien Venzi (Illustrateur de couverture), Michelle Charrier (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 28/02/2011  -  livre
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Stéphanie Nicot et l'Archipel du Rêve

Alain Dorémieux le soulignait déjà en mai 1980, dans la revue Fiction(1) : « Priest romancier, c’est déjà quelque chose de remarquable ; mais Priest nouvelliste, c’est peut-être encore meilleur ». Les lecteurs l’avaient aussi constaté en lisant l’éblouissant Livre d’or de Christopher Priest, recueil élaboré par Marianne Leconte.(2) Il y a trente ans. Déjà !

Aujourd’hui, les nouvelles de Christopher Priest ne sont sans doute pas en adéquation avec le goût majoritaire (séries de fantasy, décalogies diverses et aventure spatiale…) du public actuel. Publier L’Archipel du rêve relève donc de ces actions propres à valoir à un éditeur,(3) lorsqu’il se présentera devant le peseur d’âmes, quelque indulgence plénière… Que nous lui accordons ici sans hésitation, on l’aura compris.

On conviendra, pour en revenir à l’essentiel, que les univers de Priest, en particulier les nouvelles de L’Archipel du rêve, font la part belle à l’impressionnisme ; elles ne sont donc pas d’un accès facile pour un lecteur intellectuellement paresseux. Peu d’entre elles, circonstance aggravante, s’achèvent véritablement ; il n’y a pas de chute, pas d’effet de suspense, et ces histoires donnent l’impression étrange d’avoir débuté avant de paraître à nos yeux et de se poursuivre après que le narrateur les a abandonnées... Il n’y a pas non plus de temps objectif chez Priest : le récit est reconstruit par la mémoire, infidèle et trompeuse.

Tout au long de L’Archipel du rêve, le lecteur baigne dans un climat de langueur et de morbidité ; on pourrait presque, il est vrai, parler de froideur ballardienne… Ce rapprochement un peu paresseux, évoqué par la 4ème de couverture, est malgré tout discutable; le parallèle est trop superficiel et tient seulement au climat désenchanté du recueil (on songe alors à Vermilion Sands) et non à la narration ou aux thématiques abordées… Marianne Leconte expliquait, dans une préface à une précédente édition du recueil, ce qui donne aux personnages de Priest cette sorte de goût pervers de l’échec, cette lancinante rémanence de la solitude : « Ils se révèlent incapables de faire un choix et suivent ce qu’ils croient être leur destin avec un certain fatalisme ». Priest enferme en effet ses tristes héros dans un carcan, une prison mentale dont ils ne peuvent s’échapper, condamnés qu’ils sont, comme Lenden dans La cavité prodigieuse, à revivre les mêmes doutes, les mêmes angoisses, la même honte de soi, la même confrontation avec la peur de l’autre avant le retour obligé à la case départ : solitude et échec !
Les véritables barrières de L’archipel du rêve ne sont donc pas les limites matérielles, mais plutôt la désolation intérieure et l’incommunicabilité qui sont la marque des protagonistes du recueil.

On a cité Ballard, pour rejeter tout rapprochement superficiel. On pourrait en revanche évoquer Le Désert des tartares de Dino Buzzati en ce qui concerne la toile de fond de la guerre perpétuelle et confuse qui sous-tend le recueil, un conflit vu et vécu derrière la ligne de front ou, comme dans La négation, par le surgissement imprévu d’un soldat ennemi et néanmoins si semblable…

On notera aussi que certains textes renvoient – par leur titre même(4) et souvent leur sonorité (il faudrait s’y pencher plus longuement) – à d’autres ouvrages, la nouvelle La négation, au sommaire de ce recueil, renvoyant ainsi à un roman : L’affirmation (stupidement traduit en France par La fontaine pétrifiante !).

L’Archipel du rêve n’est assurément pas un remède à la mélancolie ; mais c’est une littérature fascinante qui exerce une emprise durable sur tout lecteur qui sait ce que veulent dire littérature et beauté.


Stéphanie Nicot


Ce texte est une mise à jour d’une chronique publiée dans Fiction en 1981.
1 Numéro 308 : chapeau de présentation de Promenades mélancoliques dans le futur.
2 Pocket, 1980.
3 Gilles Dumay, avec sa collection “Lunes d’Encre”. Et Pascal Godbillon qui le réédite aujourd’hui en Folio SF.
4 Du moins les titres originaux, car les éditeurs français ne les ont souvent pas conservés, sans comprendre qu’ils détruisaient ainsi l’effet de résonance globale voulu par Priest !

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