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Stéphanie Nicot et les Contes de la fée verte

Poppy Z. Brite ( Auteur), Jean-Daniel Brèque (Traducteur), J-S. Rossbach (Illustrateur de couverture)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : 
Date de parution : 31/12/2010  -  livre
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Stéphanie Nicot et les Contes de la fée verte

« Nous attachions leurs poignets et leurs chevilles avec des dentelles noires, nous lubrifiions et pénétrions leurs moindres orifices, nous leur procurions des plaisirs qui leur faisaient honte. Je me souviens de Felicia une beauté aux cheveux mauves, qui parvint à un orgasme sanglotant, sauvage, grâce à la langue râpeuse d’un chien errant. » Dès les premières lignes de Sa bouche aura le goût de la fée verte[1], l’on devine que rien, ou presque, ne nous sera épargné. Quant aux antiennes sur l’écriture “féminine” et autres sottises sexistes, elles ne résistent pas une seconde à la lecture des nouvelles de Poppy Z. Brite.
 
Inutile de dire que le fantastique de Brite a très peu à voir avec les bluettes surannées, sans âme, et pour tout dire inoffensives qui font crouler les rayonnages des éditeurs de littérature générale, ce fantastique des familles qu’on étudie dans les meilleurs lycées, qui ne dérange pas les partisans de l’ordre moral, qui ne trouble ni critiques ni lecteurs... Avec Poppy Z. Brite, Éros et Thanatos célèbrent leurs sombres noces à toutes les pages, repoussant chaque fois un peu plus loin les limites du disible. L’auteur des Contes de la fée verte renoue, en ce qui concerne les thèmes tout du moins, avec la grande tradition du fantastique du XIXe siècle ; en effet, Poe, Gautier ou James évoquaient déjà, sous le masque d’histoires de revenants et de vampires, les pires horreurs sexuelles... Tout en injectant dans sa prose les signes de la modernité (surpopulation, violence de masse, ravages de la drogue), Brite s’inscrit dans cette histoire-là.
 
Comme le souligne Dan Simmons, dans une préface enthousiaste [2], il s’agit d’une œuvre au contenu « brillant, ténébreux, infiniment tragique et extraordinairement juste », une oeuvre qui parle « de sexe et de décomposition, des extrêmes ténébreux de l’amour où violence et passion se confondent. » [3]
 
On soulignera d’ailleurs, en passant, que certains des récits les plus brutaux et les plus désespérés de Poppy Z. Brite ont été écrits par une auteure qui avait, à l’époque, vingt ans à peine, et l’on se demandera quelles douleurs secrètes produisent une littérature aussi personnelle, aussi puissante, aussi radicale : « Il me tendra les bras, m’invitera à reposer avec lui dans son lit grouillant de vers. ».
 
Malgré l’adhésion justifiée des éditeurs et des critiques français, le public, jusqu’ici, n’a pas suivi, et les ventes encore moins. Pourtant, face à un tel talent, des directeurs de collection persistent à prendre des risques : si la parution en poche pouvait encourager les lecteurs d’ActuSF d’oser la lecture de ces contes vénéneux et superbes, l’un des meilleurs recueils de l’auteure, on serait redevable à Pascal Godbillon, le patron de “Folio SF”, de tenter à son tour d’imposer cette signature majeure de l’horreur.
 
Si le fantastique a encore un avenir littéraire, ce sera à des écrivains comme Poppy Z. Brite qu’il le devra.

Stéphanie Nicot


[1] Allusion à l’absinthe chère à Rimbaud et Verlaine.
[2] On se réjouit de le trouver ici associé à Jean-Daniel Brèque, sans conteste le traducteur de qualité qui s’imposait pour un tel recueil !
[3] Le fantastique est coutumier de ces faits. Personne n’a oublié que Laurent Boutonnat, avant d’écrire les musiques et les clips de Mylène Farmer, a commencé sa carrière par un court métrage, La Ballade de la féconductrice, interdit aux moins de 18 ans alors que son auteur n’en avait que 17 ! Les censeurs sont souvent des comiques qui s’ignorent…

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