C'est lors de la préparation du dossier Alan Moore que nous avions croisé la route de Gary Spencer Millidge, forçat tranquille du comic book. Dessinateur, scénariste, il édite à train de sénateur sa propre série. C'est Strangehaven, du nom de ce village des Cornouailles où un étrange concours de circonstances a amené Alex Hunter, un modeste instituteur en crise de quarantaine. Drôle de bourgade où semblent s'être rassemblés les plus bizarroïdes représentants de notre espèce, et où le délicatement insolite est la règle.
Ordre occulte secret
Au cours des précédents numéros nous avions fait la connaissance des nouveaux concitoyens d'Alex Hunter, et la situation semblait s'être cristallisée autour des Knights of the Golden Light, ordre occulte secret dont on ne parvenait guère à savoir s'ils n'étaient que des clowns costumés ou de dangereux mages. La pendaison suspecte de l'un des leurs avait jeté sur eux une lumière nouvelle, et semé le trouble dans le village. Le Sergent Clarke, le constable de Strangehaven avait décidé de démissionner de l'ordre pour mener son enquête en toute impartialité. Privé ainsi de deux de ses chevaliers, John Jones, le Grand Maître de la loge (et directeur de l'école du village dans le civil) s'était donc décidé à proposer à Alex d'intégrer les Chevaliers. Une proposition qui n'avait éveillé chez ce dernier qu'une incrédulité rigolarde.
C'est au lendemain de cette cérémonie que nous retournons au village. Le refus amusé d'Alex lui a valu une injection de somnifère et un retour dans ses pénates, où Doreen, l'artiste du coin, a veillé sur lui. Elle n'est pas étonnée de ce que lui raconte Alex, et lui propose de la rejoindre le soir même à une petite réunion qu'elle organise avec quelques amis inquiets eux aussi des agissements occultes des Knights. Pendant ce temps, Maureen, la très cynique épouse du Dr Houseman, n'a pas abandonné son projet d'assassiner son mari. Une fois encore elle tente de faire faire le sale boulot par George, son beau-frère, qui partage avec elle, outre le lit, une haine farouche du tatillon praticien des lieux.
Un coin du voile se lève enfin
Un coin du voile se lève enfin, et l'action s'accélère subitement, sans que pour autant, la magie pénétrante de Strangehaven ne s'évanouisse. C'est là le grand talent de Gary Spencer Millidge. En dépit du fait qu'elle soit en anglais, et qu'on ne puisse se la procurer que sur le site de son auteur (exception faite des deux premiers recueils que l'on trouve sur Amazon), cette série mérite votre attention. L'atmosphère d'étrangeté à l'anglaise qu'a su tisser son auteur vous gagne dès les premières pages. Certes attraper en route cette longue chronique d'un village pas si tranquille que ça est un peu ardu, mais la découverte de cet improbable petit monde en vaut la peine. Le style ultra figuratif de Millidge, son imaginaire foisonnant et personnel qui se teinte de cette extravagance tellement anglaise font de Strangehaven une série unique, dépaysante, et qui nous prouve qu'en la matière, l'originalité se fait hors des sentiers battus. Si vous lisez l'anglais, ne passez pas à côté de ce petit bijou.
Tolkien