Actusf : Meijo est le 3ème tome des Sentiers des Astres, de quoi cela parle-t-il ?
Stefan Platteau : Comme toujours, de l’humain, et des forces qui dépassent l’humain !
Le troisième tome poursuit l’exploration du Grand Nord, où soufflent des puissances anciennes, où des êtres redoutables guettent dans les ombres, sur la route des membres de l’expédition Rana. Une route qui se révèle et qui se perd, car les voies du Roi-diseur sont parfois nébuleuses…
Les tensions au sein du groupe sont plus vives que jamais, les personnages réticents à livrer leurs secrets. Vous n’êtes plus certain de connaître le lascar auquel vous confiez la garde de votre flanc ; vous ignorez s’il est un danger sournois, ou le compagnon providentiel sans lequel toute survie est illusoire. Tout de même, certains se dévoilent, délivrent le récit de leurs errances ; pourtant, plus ils évoquent leur passé, et moins vous avez le sentiment de savoir qui ils sont aujourd’hui.
Le point de vue s’élargit. Les astras, les géants et les reines laisseront entrevoir un peu plus leur folie et leur démesure. Le récit de la Courtisane nous emmène dans les cités et sur les routes du Royaume de l’Héritage : l’occasion de changer de décor, d’explorer la mère-patrie du Barde et de ses compagnons.
Au final, ce troisième tome prend un tour plus épique. Mais il nous emmène aussi sur les sentiers tortueux de l’âme humaine, au travers de relations complexes, dangereusement nouées. Dans les Sentiers des Astres, la vertu et le courage peuvent prendre bien des formes. L’héroïsme est un flambeau qui passe d’une main à l’autre, échoue parfois dans celles que l’on n’attendait pas. Votre compassion peut vous piéger ; parfois les salauds voient plus clair que les sages et les justes en viennent à poser des actes condamnables.
Actusf : La saga des Sentiers des Astres prend ses racines dans de nombreux mythes un peu partout sur la planète. Comment avez-vous choisi desquels vous inspirer ? Meijo est-il plus influencé par l'un d’eux ?
Stefan Platteau : Difficile de dégager des influences propres à un tome ou un autre. L’ensemble de la saga s’inspire de mythes hindous, celtiques, nordiques, grecs ou latins, avec une mention spéciale au Kalevala finnois, auquel je rends un hommage appuyé vers la fin de ce tome, par l’entremise d’un certain batelier.
"Au final, le plus difficile, dans ce roman, n’a pas été d’écrire au féminin, mais de traiter la thématique de l’emprise. Comment une personne intelligente, homme ou femme, s’y laisse-t-elle prendre ? Quelles vulnérabilités permettent au prédateur de vous piéger ?"
Actusf : Est-ce plus difficile, en tant qu’homme, d'écrire le point de vue d'un personnage féminin ?
Stefan Platteau : Tout personnage est une terre à explorer, qu’il soit ou non d’un autre sexe... Sur la plupart des aspects, hommes et femmes ne sont pas fondamentalement dissemblables, si l’on met de côté les différences induites par l’éducation genrée ou les normes sociales. Il s’agit de laisser s’exprimer ces êtres féminins que nous portons forcément en nous : nos mères, grand-mères, nos sœurs, nos compagnes passées ou présente.
Il y a, bien sûr, des aspects importants qui diffèrent, notamment quand il s’agit de sexualité, de maternité, de rapport au corps (au plaisir, à la souffrance…), ou tout simplement d’oppression sociale – plus souvent vécue par les femmes, à fortiori dans une société patriarcale comme le Royaume de l’Héritage. Pour tous ces aspects, il n’y a pas de miracle : un auteur masculin doit questionner, écouter les femmes, lire leurs récits. Observer leurs réactions et s’efforcer de ressentir leurs émotions. Il y a même des questions pour lesquelles un homme est définitivement aveugle, pour lesquelles il faut obligatoirement l’avis d’une femme d’expérience pour vous empêcher de raisonner en mec et de vous planter en beauté. J’ai pu compter sur plusieurs consultantes avisées, qui m’ont sauvé la mise à plusieurs reprises.
Pour parler des personnages de la saga :
Au risque de décevoir certain(e)s lecteurs ou lectrices, la Courtisane n’est pas une héroïne en acier trempé. Pour des raisons de fond, j’avais besoin d’une personne « normale » sous bien des aspects, une personne qui a ses vulnérabilités, ses parts d’ombres, ses naïvetés et ses forces, ses moments lamentables et ses moments formidables, une personnalité qui se forge et s’endurcit au fil des épreuves, de ses erreurs aussi. Mais on peut être à la fois normal(e) et extraordinaire en actes : c’est tout le propos de la saga. Du reste, les personnages de la guerrière ou de l’aventurière intrépide ont déjà été largement exploités ; j’avais envie d’explorer d’autres profils. Par exemple, on ne voit pas souvent mises en scène des guindailleuses pochtronnes et braillardes. Quelle injustice faite aux femmes ! Et on ne rend pas non plus souvent hommage aux femmes entre deux-âges, à la richesse de leurs désirs, à leur caractère assertif. De ce point de vue, je me suis beaucoup amusé avec le personnage de Naayolé du Harfang…
Au final, le plus difficile, dans ce roman, n’a pas été d’écrire au féminin, mais de traiter la thématique de l’emprise. Comment une personne intelligente, homme ou femme, s’y laisse-t-elle prendre ? Quelles vulnérabilités permettent au prédateur de vous piéger ? Comment montrer que le personnage sous emprise n’est pas faible ou stupide, mais simplement la proie d’un musicien habile et malveillant, qui a su trouver les leviers de son âme ? Dans un récit héroïque, ce n’est pas si simple à mener. Or, dans la vraie vie, les prédateurs visent de préférence des personnes fortes, pour se nourrir d’elles ; et c’est précisément l’intelligence ou la capacité d’empathie des proies qui se retourne contre elles…
"Effrayant, n’est-ce pas, comme tout tient à un fil ? Parfois, je me laisse simplement conduire par l’action, et les choses s’enchainent toutes seules, les péripéties décident pour moi."
Actusf : Lorsque vous écrivez, vous avez toujours un plan ou laissez-vous votre plume vous guider ?
Stefan Platteau : J’ai un plan sur l’essentiel, mais pour les détails, je laisse souvent l’inspiration me guider. Parfois, je me laisse surprendre, ma plume souque ferme là où je ne l’attendais pas, et mon navire dérive en dehors du courant que je lui avais assigné. Dans ces cas-là, c’est intéressant de monter à la vigie, pour voir où conduit ce flux ; il se peut qu’il nous mène faire escale en des îles inattendues, et qu’on finisse par aborder le continent par l’autre côté.
C’est particulièrement vrai pour le destin des personnages : il m’arrive de changer les plans, de décider au tout dernier moment de la vie ou de la mort. Untel s’arrange pour que j’aie besoin de lui plus tard, et échappe à un sort pourtant fixé depuis longtemps ; il fera peut-être même de vieux os. À d’autres, je dis : désolé mon vieux, je sais que ton heure ne semblait pas venue, mais il est logique que tu rendes gorge ici. Effrayant, n’est-ce pas, comme tout tient à un fil ? Parfois, je me laisse simplement conduire par l’action, et les choses s’enchainent toutes seules, les péripéties décident pour moi. Ça rend leur déroulé plus naturel, et ça m’offre d’heureux accidents. Par exemple, des blessures qui n’étaient absolument pas planifiées (mais que les circonstances rendaient difficilement évitables) m’offrent de belles scènes pour la suite, et deviennent même d’importants moteurs d’action. J’aime beaucoup cette impression d’indéterminé, d’aléatoire, ce sentiment de ne pas tout contrôler. Un monde qui m’échappe est un monde qui vit sa propre vie (je suis un vieux rôliste, que voulez-vous…). J’ai besoin d’être encore surpris au cours du processus d’écriture, pour raviver ma flamme.
Actusf : Quels sont vos projets actuels et futurs ?
Stefan Platteau : Je suis vissé sur ma saga. J’ai encore bien de l’ouvrage ! Difficile de voir au-delà.
Actusf : Quelles sont vos prochaines dates de dédicaces ? Où peut-on vous rencontrer ?
Stefan Platteau : Au festival Echos et Merveilles, à Toulouse, les 27 et 28 avril. Au Cultura de Neuville en Ferrain, le samedi 19 mai. Aux Imaginales, fin mai. A la librairie Decitre de Grenoble, le samedi 9 juin. Aux médiévales de Souvigny, les 29 et 30 juillet. Et d’autres dates arrivent prochainement…